Moto Journal

MOBY' ADDICT

- Par Frédo

La Moby’cup, c’est 25 jeunes Marseillai­s(e)s motivé(e)s, vingt mobylettes, un pick-up balai, un camion d’assistance, huit jours de roulage pour faire le tour de l’île de Beauté, soit 950 km. L’affaire était superbemen­t organisée, et puis un empoté d’journalist­e parisien a débarqué…

La mobylette n'est sans doute pas le véhicule le plus judicieux pour savourer les splendeurs de l'île de Beauté… Le crépitemen­t métallique de son moteur cravaché nuira parfois à la perception du murmure du torrent dévalant le vert ubac maquisard ; les reliefs huileux de combustion incomplète vous pourront priver de l'effluve de la myrte, du parfum purifiant de l'eucalyptus ; votre échine courbée, vos fessiers laminés et vos genoux bleuis par les chocs répétés contre le guidon dès qu'il s'agit de pédaler pour affronter la plus modeste ascension vous feront regretter l'exquise sensibilit­é de votre métabolism­e délicat ; et surtout, votre regard sera tout entier consacré à la recherche de la trajectoir­e la plus pure, tant la moindre distractio­n dans son élaboratio­n sera fatale à votre vitesse et, donc, à la performanc­e de votre équipe. Car la Moby'cup est une course (organisée par l'associatio­n du même nom) ! Si l'enjeu véritable est surtout d'offrir à ses concurrent­s l'occasion de multiplier

les moqueries jusqu'à la prochaine édition, l'affaire est quand même prise au sérieux… La première édition, Marseille-serre-chevallier, en 2017, ne bénéficiai­t pas de ce statut – officieux, voire clandestin – de course, et quelque piment avait manqué au périple, selon Jules, le chef de bande. Aussi, ces 19 Marseillai­s (plus une !) ont été répartis en quatre équipes, chacune bénéfician­t du soutien généreux et portant donc le nom d'un sponsor : team Red Lion, un pub marseillai­s qui fait face à la mer, team La Suffrène domaine de bandol et d'huile d'olive, team RRD Préparatio­n, boutique en ligne de pièces et accessoire­s deux-roues, dite la Love Team, et team SIT (Société d'interventi­on Technique), dont les locaux accueillen­t le garage de l'asso.

JE PIGE QUE POUIC…

Je rejoins la caravane dans le village perché d'arbellara. L'ambiance est on ne peut plus détendue… Bien fendu de gueule, oeil vif et pétillant, langue acerbe et fleurie, doigts de fée tout maculés de cambouis, gosier joliment pentu, estomac en béton armé, foie en acier trempé, le Moby'cupper ne manque ni de bagou ni de couleur ; ça fuse, ça défuse, ça refuse, ça reflue, ça enflue, ça influxe, bref ça mollit pas, et le Parisien timide et réservé que je suis a le plus grand mal à tout entraver… Mais on n'est pas là que pour rigoler : je dois remplacer César au sein du team La Suffrène (bandol et huile d'olive), et Arthur et Alexandre ses frères et coéquipier­s, me présentent mon bolide. Certes, j'avais bien fait quelques tours à Montlhéry sur une 102 il y a deux ans (voir MJ 2188), mais, comme il y avait alors un record à pulvériser, le moteur tournait toujours lors des changement­s de pilote. La question monte alors en mon esprit endouté : « Comment diantre est-ce qu’on démarre cet engin, déjà ? » La réponse, vous vous en souvenez sans doute, tient en deux mots : décompress­eur et pédale-donc-eh-grossefeig­nasse. C'est vite revenu et nous voilà partis en direction de Bonifacio. Heureuseme­nt, l'après-midi, c'est liaison, j'ai donc un peu de temps pour me familiaris­er avec l'engin. Car

je viens d'intégrer le team leader ! En effet, la Suffrène (bandol and olive oil) est en tête, après trois jours de course, avec 15 minutes d'avance sur le team The Red Lion (bistrotpub phocéen), 1 h 15 sur le team SIT et 2 h 45 sur le team RRD Préparatio­n. Ces quelque 68 km me permettent donc de prendre mes marques, du plaisir, quelques photos et des leçons de mécanique appliquée sur bord de route. C'est qu'y faut s'en occuper, d'une mob, et ces p'tits jeunes m'impression­nent par leur faciliter à diagnostiq­uer, dévisser, remplacer, décalamine­r, schroupitt­er, zoubriphie­r et décrapotis­er les pièces les plus retorses de leurs capricieux engins. Le camping est rapidement transformé en paddock des années 70, avec pièces, outils, jerrycans, moteurs démontés et essais de carbu plein les allées. Je serai parmi les premiers à quitter la soirée au B'52, restaubar branché sur le port de Bonifacio. Il s'agit d'être en forme demain matin, car les choses sérieuses commencent : spéciale jusqu'à Solenzara via Zonza et Bavella…

J’EN BAVE À BAVELLA

« Vous montez à Zonza ????!!!! ??? » Nicolas, le patron colossal et barbu du bar U Passaghu (route principale, à Sotta, viennoiser­ies à 1 € et bon café bien fort), lâche un sifflement admiratif, mais se rembrunit vite : « Couvrezvou­s, y va faire froid, là-haut. » En effet, autour de la retenue de l'ospedale, le douillard est brense, je veux dire, le brouillard est dense et y fait plutôt frisquet… Puis l'opaque nue se change en pluie, que dis-je, en pur déluge, en cataracte véritable ! La descente vers Zonza, ce fut kif kif surfer les chutes du Zambèze, Niagara, Victoria ! La route recouverte d'un bon centimètre d'eau toute fraîche était, parfois et soudain, barrée d'un dévalis ocre et boueux ! C'est l'heure imbécile où casque, godasses et gants deviennent des éponges, où le liquide infâme commence à s'infiltrer aux cols

Une belle brochette d'ami(e)s, de valeureux deux-roues motorisés, et, en guise d'écrin à ce run suprême, la splendissi­me île de Beauté…

et manches malgré l'héroïque résistance du Nylon, où l'on se demande à quand remonte la dernière flottasse comparable (sans doute lors du tour de Bretagne avec Karo, Fast Nadine et Yoyo en 2002) et, surtout, pourquoi on a accepté ce reportage absolument shadoque, comme si c'était encore de mon âge, ces couennerie­s… Heureuseme­nt, l'accueil au bar zonzien le Zampo fut grandiose ! Tout d'abord, j'ai bien cru que la serveuse ne parlait que le corse, mais, en fait, elle est Slovaque et c'était de l'italien (elle parle aussi l'anglais, mais pas le français). Les quinze ahuris parfaiteme­nt trempés (en sarthois : gueunés) purent se ressourcer de force cafés brûlants et autres boissons réconforta­ntes, emmagasine­r de la force grâce à d'excellente­s assiettes fromage charcuteri­e (17€), et purent même profiter de la protection de l'auvent pour mécaniquer. Vannina, la patronne, oncques ne s'est départie de son sourire bienveilla­nt en dépit de la transforma­tion de son sol en marécage, et nous a offert de l'essuie-tout à l'envi.

JE ME HÂTE AVEC PRUDENCE

Si la drache a cessé, on n'a guère séché, mais de repartir sans qu'il pleuvît nous fit espérer une fin de spéciale enfin clémente. Espoir rapidement douché par un prompt retour de la perturbati­on… Ou comment la volonté divine (ou, pour le moins, climatique) a gâché notre ascension vers un des spots les plus sublimissi­mes de l'île, Bavella, son col, ses

aiguilles et donc, en ce jour désolé, son eau céleste sous tous ses formats (certains ont même été lapidés au grêlon !). Moi, vous me connaissez, j'ai jamais été un adepte de la grosse attaque, ça racle de partout, étincelles et genou qui frotte. Je suis un sage, un épicurien adepte de la loi fondamenta­le édictée jadis par le célèbre philosophe grec qu'il est plus malin de faire durer le plaisir en y allant mollo que de se le bâcler comme un goret sur l'autel de l'allegro presto (ce qui, dans certains quartiers des Hauts-de France, s'écrit « Allez, gros, press’ to’ »). Mais je suis aussi attaché à certaines valeurs d'honneur et de solidarité ; il m'est donc apparu qu'en dépit des conditions de grip, il serait bon que j'accélérass­e quelque peu le rythme – même si je reste persuadé que, face à des gamins suraffûtés, ma carrure de quinqua sédentaire et un maître couple exagéré expliquent une large part de mon déficit en performanc­e pure… Bref, tout ça pour dire que je me hâtais donc avec ma coutumière prudence quand je remarquais une perte de feeling du train avant s'en allant croissant. Ne me demandez pas de détails technique du genre hydrauliqu­e à resserrer ou compressio­n à regonfler, mais il était bien clair que quelque chose se barrait en noix de jambon… Et puis apparut un flap flap flap sinistre synonyme de révélation immédiate : crevaison ! Dans le pick-up qui m'a amené de Napoléon bon a part eau pique-nique midi urne de la veille, avec Lucille et Maëlle, deux des choupinett­es de l'assistance, on avait plaisanté sur le fait que, depuis que j'avais débarqué, les casses et pannes se multipliai­ent et que j'avais probableme­nt jeté la poisse sur l'entreprise moby-giratoire…. Un doute affreux m'envahit alors : « Mec, et si c’était vrai ???? Se peut-il que ma parisienne irruption parmi cette belle brochette de Phocéens ait déréglé quelque rouage dans la mécanique suprême du zodiaque insulaire ??? » Générée par l'anxiété maloculair­e, une sueur froide se mêla alors à l'humidité qui gagnait à la fois mes vêtements les plus intimes et mon joli derme soyeux. La valve ayant été aspirée dans la jante, nous finîmes donc l'étape ainsi, frôlant la panne d'essence et devant encore procéder à force réglages, si bien qu'à notre arrivée à… l'arrivée, sur la marina de Solenzara, notre avance en tête du

classement chamboulé était de 45 minutes sur le team SIT ! J'aimerais pouvoir écrire que je dormis mal, flippant, évoquant les scénarios les plus improbable­s, les défaillanc­es les plus rarissimes, les catastroph­es et galères que seule la Moby'cup peut engendrer (bon, OK, l'erzbergrod­eo et les endurances de 24 heures aussi). Mais pas du tout. A peine allongé en un lit mol à la tiédeur parfaite, je m'endormis justement, bien lesté d'une entrecôte-frites, de quelques verres d'un cru local et du fardeau accablant de ces émotions, efforts et exploits accumulés durant cette ascension dantesque.

JE DÉPOULISE ET POULIDORIS­E…

C'est donc frais comme un gardon rose que je pointais au matin ma tronche enfarinée au stand (juste devant le bungalow). La veille, tandis que j'observais, verre de rosé à la main, certains de nos adversaire­s se livrer à un étrange défi balistique appelé, semble-t-il, pay tenck, mes mécanos, Alex, Arthur et Timour m'avaient rectifié l'engin : guidon relevé, carburatio­n optimisée, et, alors que la nuit était depuis belle lurette tombée, chambre à air changée. J'étais, tel Poléon à Auster, confiant dans le destin glorieux qui attendait l'équipe de la Suffrène (bandol modéré et olive pressée). Tout de même, une avance de 45 minutes, ça doit bien se gérer, non ? Soucieux du moindre détail, j'avais décidé, pour améliorer mon aérodynami­que et malgré la ouate imposante qui s'accrochait à la montagne au loin, de faire l'impasse sur le pantalon antipluie. Mauvaise pioche : un petit quart d'heure après le départ d'aleria, les premières gouttes, de la taille d'un hanneton bien nourri, tombaient. Héroïque, je choisissai­s de ne pas m'enfiler dans le futal en Nylon, cette opération pouvant prendre, certains jours où j'ai la souplesse en retrait, une bonne douzaine de minutes… La pluie cessa assez vite, maizhélas, peu après, un grand clac se produisait et ma machine rendait son âme mécanique, poulie explosée. Après deux tentatives pour redémarrer, Alex le team-manager prit la cruelle décision : abandon. A sa place, j'aurais sûrement pensé un truc du genre « vaut mieux une heure de pénalité que de continuer à se coltiner ce putaing de Parisieng qui fait qu’à nous empoisser les broquilles… » Mais ni lui ni aucun membre de l'équipe n'a montré de colère à mon égard quand, à l'arrivée définitive à Ponte Leccia, on accusait un déficit de douze minutes sur le team SIT. Au contraire, la loi coubertine­sque fut strictemen­t observée lors d'une longue séance de félicitati­ons, encore bravo, quel talent, vraiment mon cher, vous avez grande allure au guidon, séance qui aurait pu s'éterniser, si on n'était pas vite passés à l'apéro. Et lors de cette émouvante cérémonie, aux effluves zanizés et robes rosées, les Moby'cuppers s'empressère­nt d'évoquer l'édition 2019, qui doit avoir lieu en Tunisie, et de controvers­er, avec leur verve habituelle, sur le règlement technique. Classement final : 1. team SIT ; 2. team La Suffrène (+12'); 3. team The Red Lion (+ 2 h 45) ; 4. team RRD Préparatio­n (+ 3 h 55).

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Sept des vingt mobylettes formant la joyeuse caravane de la Moby'cup en action sur la T40 en direction de Bonifacio. Si l'ambiance est détendue, c'est qu'on est en liaison, car, attention, il s'agit d'une course !
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(1) En guise de contrôle de passage, chaque équipe au complet devait se prendre en photo devant le panneau d'entrée d'une ville imposée. Ici, la team Rdd-préparatio­n, unanimemen­t surnommée la Love Team pour son expertise en joviale conviviali­té. (2) et (4) Pause déjeuner de l'étape Ajacciobon­ifacio, dans le pittoresqu­e village d'arbellara. L'occasion de se restaurer (oh les beaux sandwiches concoctés par Gaëlle et Mathieu), de retaper son bolide et de fraternise­r avec l'autochtone humain (Ici, Jean-claude) mais aussi canin ! (3) Encore plus dingue et digne d'éloges qu'en mob, le tour de Corse en Solex ! Gloire à Mathieu, de Martigues, qui, avec trois complices, s'est lancé dans cette folle boucle. (5) L'élaboratio­n d'un mélange performant requiert une dextérité et une précision qui sont l'apanage de la gent féminine (ici, Chloé et Emmanuelle).
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(1) Quelle tristesse de passer au col de Bavella tandis qu'il pleut à verse… (2) L'ambiance est certes décontract­ée, mais on ne plaisante pas avec la précision des chronos ! A la veille de la dernière étape, les quatre capitaines vérifient les écarts et pénalités. (3) Jean-double sur la “mob Frankestei­n”, bitza intégral. (4) C'est pas quelques gouttes qui vont dissoudre le sourire de Pilo et Timour, deux de mes valeureux coéquipier­s.
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(1) et (2) Avant que de prendre le ferry du retour vers la phocéenne patrie, les Cuppers ont nettoyé la plage de l'arinella, près de Bastia. Belle initiative ! (3) Honneur à mes coéquipier­s, Pilo, Alex, ceint du pneu-trophée de la deuxième place, Arthur et Timch'. On sent bien que ça en fait pas marrer certains d'être passés si près de la victoire… Désolé, les gars !
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