Moto Journal

Honda CB 1000 R Black Edition

- Par Michael Tora, photos Matthias Lacombe

Dans cet essai paru en 1933, l’écrivain Junichirô Tanizaki soulignait l’importance de la pénombre pour sublimer l’esthétique traditionn­elle japonaise. Dans notre essai du jour, la nouvelle et très moderne CB 1000 R Black Edition semble s’appuyer sur la même logique. C’est sombre mais subtil.

En découvrant la nouvelle CB 1000 R Black Edition sur un parking à 13 heures, sous un soleil voilé au plus haut de sa course, la déception est à peine dissimulée : bon bah, elle est noire, quoi ! Un peu basique pour une moto vendue 1300 € de plus que la version normale disponible en trois coloris. Lesquels avaient l’air plutôt élégants en photos, avec un bâti arrière couleur alu, des caches latéraux en métal brossé qui claquent, une ligne d’échappemen­t qui prend des teintes irisées, bref, des touches métallique­s un peu partout qui apportent un peu de relief et de gaîté. Là, devant nos Black Edition, le regard se perd dans une marée noire qui semble insondable. Pourtant, en s’approchant de la moto et en laissant la rétine s’accoutumer à cette masse sombre, des subtilités émergent. Les nombreux détails usinés spéci ques à cette Black Edition nissent même par sauter aux yeux : sur les bâtons des jantes, les platines latérales du cadre, les carters moteur et le pontet de guidon. On distingue ensuite les différente­s nuances de noir, dans leur intensité comme dans leur traitement de surface. Le noir mat de la ligne d’échappemen­t apparaît presque comme une touche claire à côté de la peinture laquée du réservoir. Les jantes à l’aspect granuleux nissent quant à elles par contraster avec la surface brillante des tubes de fourche traités d’un revêtement noir et des fourreaux anodisés au métal nement strié. Loin d’avoir disparu, on apprécie en n le métal brossé des caches latéraux, mais aussi de la partie centrale de la coque de selle et du saute-vent. Du noir évidemment, mais un noir encore différent. Toutes ces nuances se révèlent encore mieux en n de journée, quand la lumière ambiante s’affaiblit pour laisser un lampadaire jaune caresser les surfaces de la moto. Cette CB 1000 R Black Edition est bien une moto qui s’apprécie dans la pénombre, comme l’écrivait Tanizaki : « De même qu’une pierre phosphores­cente qui, placée dans l’obscurité émet un rayonnemen­t, perd, exposée en plein jour, toute sa fascinatio­n de joyaux précieux, le beau perd son existence si l’on supprime les effets d’ombre. »

L’OMBRE D’UN DOUTE

« Ça suf t la littératur­e, parlons bécane ! » Ce serait avec plaisir, mais en dehors de ce coloris spéci que, du nouveau dessin du phare à Leds et des quelques retouches esthétique­s, la CB 1000 R ne change pas des masses. Si, il y a le nouveau tableau de bord TFT en couleurs. Plutôt sympa et complet, il propose 4 af chages différents, mais aussi une nouvelle possibilit­é de connectivi­té du tableau de bord avec un smartphone, à savoir le contrôle vocal via une applicatio­n de la navigation, de la musique, des appels et des sms. Et bien sûr, la nouvelle CB 1000 R passe le cap Euro5. Sans autre conséquenc­e que la perte d’un newton-mètre… sur 105. Mais rien d’autre sur le plan technique. Ce qui m’embête un peu, sachant que dans mes souvenirs du dernier essai de cette CB, elle n’en avait pas que des très bons. « Trop vive et imprécise du train avant malgré une belle gueule et un quatre-pattes sympa et rageur. »

Voilà ce qui me restait de cette jolie moto qu’on a envie d’aimer mais qui s’avérait moins homogène que sa petite soeur CB 650 R. Mais bon, la moto est là, il ne pleut pas et de belles routes nous attendent dans la région de Montpellie­r. Alors, en cette période chiante au possible, un bon coup de meule, ça se prend avec le sourire. Contact et c’est parti. Je retrouve une position de conduite typée sportive sans excès, une moto compacte mais pas insupporta­ble pour mon grand gabarit d’1,92 m. Je retrouve aussi ce moteur très vif qui jappe et qui réclame un peu de précision pour décoller, cet embrayage doux comme du beurre, ces freins mordants mais pas brutaux. Mais en sortant du centre-ville, en avalant les premiers grands ronds-points et les premières courbes, je ne retrouve pas cette sensation désagréabl­e d’un train avant qui se cherche et qui ne sait pas s’il doit vous demander de tirer ou de pousser sur un côté du guidon. Du moins, si la CB n’est pas parfaiteme­nt neutre dans ces phases de virage à basse vitesse, on capte tout de suite comment la manipuler. Elle aurait donc changé, sans rien changer sur

le papier ? Ça me tracasse un moment même s’il y a de quoi se réjouir. Un changement secret que Honda nous aurait caché ? Ma mémoire qui me jouerait des tours ? Un complot des templiers anti-vaccin ? Ou peut-être les pneus. Car ils ont changé en effet, dans l’ombre d’une fiche technique apparemmen­t identique, passant des Dunlop Sportmax D214 à des Michelin Power 2CT. Or les pneus, au chapitre changement technique, ça n’a rien de négligeabl­e. C’est donc encore dans la pénombre, celle des boudins noirs, que la moto se révèle cette fois à la conduite. Le mystère probableme­nt élucidé, l’essai se poursuit dans la joie et la bonne humeur. Parce que sous ses dehors sombres et son look rétro, elle est pétillante, cette moto. Le moteur n’a vraiment rien perdu de sa gouache en passant Euro5. Pas plus que de sa sonorité malgré le nouvel échappemen­t. Les montées en régime sont très vives et trahissent les origines sportives du bloc (dérivé de l’ancienne génération de CBR). Ça grogne, puis ça miaule avec de plus en plus d’intensité pour livrer 145 canassons. Le tout est accompagné d’une boîte un peu rugueuse au début mais qui devient très précise une fois le moteur bien chaud. Avec un shifter efficace quand on tire un boulet, mais aussi à bas régime, ce qui n’est pas souvent le cas. À la descente comme à la montée, on en abuse quel que soit le rythme, la souplesse des suspension­s et du moteur (on reprend à 40 km/h en 6e !) invitant à la balade pépère. Mais sitôt qu’une bosse se profile à l’horizon, on tombe deux rapports et on essore le gaz pour voir l’espiègle CB lever le nez. Le freinage redoutable enlève de son côté toute retenue à mettre du gaz sur une belle route à virage. Mais le jeu à ses limites. Sur route un peu bosselée ou tout simplement quand on commence à s’enflammer, elle perd en précision. Son train avant vif et dépourvu d’amortisseu­r de direction finit par s’alléger plus que de raison sur des changement­s d’angle un peu musclés, et on finit par calmer le jeu. Pas longtemps, car la CB vous titille et vous embarque pour un nouvel assaut avant qu’on ne se calme à nouveau. Une vraie partie de yo-yo cette arsouille.

ENTRE DEUX

Au final, cette CB évolue seule, tapie dans l’ombre de “concurrent­es“assez différente­s. Ses performanc­es et son côté fun la placent dans une autre cour que celle des roadsters plus paisibles au look rétro (BMW ninet ou Triumph Speed Twin). Mais elle n’a pas non plus la rigueur, ni l’explosivit­é des roadsters les plus énervés du marché (Aprilia Tuono V4, BMW S 1000 R, Ducati Streetfigh­ter V4 ou Yamaha MT-10 pour rester dans les 4-cylindres). Ce qui est clair comme en plein jour, c’est qu’avec sa présentati­on classique très soignée et son comporteme­nt sportif sans excès, la CB a le potentiel pour attirer l’oeil de motards en quête de nuances.

Avec un moteur vif et un comporteme­nt vif, impossible de broyer du noir au guidon de la Black Edition.

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Les gommes Michelin redonnent à la CB 1000 R le comporteme­nt naturel qui lui faisait défaut. La moto n’est toutefois pas au niveau des roadsters les plus sportifs du marché. Elle pèche par excès de vivacité quand on commence vraiment à attaquer. Mais on ne peut pas lui reprocher de manquer de
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