Aprilia Tuono 660
C’est pile le jour de la Saint-valentin qu’aprilia nous a présenté à la Tuono 660. Une moto vive comme l’éclair dont le nom signifie tonnerre en italien. Une moto ambitieuse aussi, à la personnalité marquée et au physique sculpté. Tout pour provoquer un coup de foudre, quoi !
C’est comme si je la connaissais depuis toujours ! » Voilà ce qui peut sortir de la bouche d’un amoureux lorsqu’il célèbre avec sa dulcinée leur première Saint-valentin. Le genre de mièvrerie que je me refusais même à penser, mais là, sur une route d’italie en cette Saint-valentin 2021, je l’ai prononcée ! Pas à ma dulcinée restée au bercail, non, à la nouvelle Tuono 660 qui me charme depuis quelques bornes.
SUR UN NUAGE…
Pourtant, je le sentais foireux, ce rendez-vous, car la Tuono 660 n’est pas mon genre. Déjà parce qu’un bicylindre de moyenne cylindrée capable de retenir mon attention, je n’en connais qu’un, et il vient de chez Yamaha. Ensuite parce que mon gabarit d’échassier d'1,92 m ne me paraît pas compatible avec l’extrême compacité de la Tuono. Enfin, parce que si le ciel est bleu, le thermomètre aussi, avec des températures autour de zéro qui n’invitent pas à profiter de toutes les qualités athlétiques supposées de la moto. La frustration qui plane au-dessus du casque et la déception en ligne de mire, j’enfourche alors l’aprilia sans préliminaire, et on y va. Tiens, je ne suis pas si mal assis ! Je suis même plutôt bien, les deux genoux calés sous les ailes du réservoir, comme sur la grande soeur Tuono V4 (référence de l’orgasme motocycliste pour moi et bien d’autres). Mes jambes sont assez repliées, mais pas autant que je l’imaginais en voyant une moto aussi petite. La selle pilote est assez vaste pour trouver une position parfaite et, au fil des kilomètres, le léger moelleux initial confirme sa présence réconfortante. Le haut du corps est légèrement incliné vers l’avant, exactement comme on l’entend sur un roadster à tendance sportive, sans jamais fatiguer les avant-bras en traversant des villes au ralenti. En interrogeant les confrères de différentes statures à l’occasion de quelques pauses, il semble que la Tuono procure le même bien-être au guidon quelle que soit la taille, et ça, ça compte ! Mieux, elle ne paraît pas totalement hostile au duo, avec une selle d’épaisseur et de surface tout à fait convenables qui permet au passager de dominer la route sans
avoir les genoux dans les oreilles. Certes, on n’a même pas de poignée de maintien, mais osez parler duo avec une concurrente pour voir : ce sera claque sur les fesses (de la passagère) et baffe dans la gueule (la vôtre) ! La Tuono n’a rien de la teigne exigeante qu’on pouvait redouter. Comme l’ont noté ses géniteurs lors de la conférence, « c’est la première fois qu’une Tuono est conçue en même temps que la sportive, et non pas directement dérivée de cette dernière. » Pas anodin puisqu’en pratique, je profite clairement d’un bon niveau de confort dans cette catégorie. Encore plus surprenant, la Tuono offre une certaine protection. Or, la protection lors d’une relation naissante, c’est important ! Attention, on n’est pas sur une GT non plus. Le saute-vent reste embryonnaire et les flancs de carénage sont percés de canaux pour former des sortes de petits ailerons. Il n’empêche qu’à haute vitesse, on n’a pas besoin de se cramponner au guidon comme un manche à air à son poteau. On prend de l’air sur le corps, mais pas n’importe comment. On résiste pour fendre le flot d’air, pas pour subir un chaos turbulent insupportable plus de 400 mètres. Quant aux suspensions, elles font preuve d’une étonnante souplesse en dépit d’un débattement restreint à l’avant (110 mm), du froid qui rend l’huile paresseuse et de l’ancrage
type Cantilever à l’arrière, pas réputé pour sa progressivité. Sur ces routes italiennes au revêtement franchement pourri, la Tuono filtre bien et encaisse les gros nids-de-poule en serrant les dents.
… QUI GRONDE
Pour notre plus grand plaisir, la petite Tuono parvient ainsi à se détacher du côté ultra-radical de sa grande soeur au V4. C’est une moto surprenante de facilité, qui peut partager votre quotidien sans une saute d’humeur. Mais quand arrive le moment de faire parler le moteur, on espère cette fois qu’elle n’a pas coupé tous les ponts avec l’aînée. Eh oui, quand on a connu un moment d’extase avec la déesse du Tonnerre, on a toujours peur d’être déçu par la suite. Mais, là encore, la 660 surprend ! Son bicylindre séduit d’entrée de jeu, avec un discours pourtant opposé à celui de la MT-07. Sur la Tuono, on n’a pas droit à une grosse louche de couple dès qu’on essore la poignée et quel que soit le rapport engagé. Non, en dessous de 6 000-7 000 tr/mn, rien d’extraordinaire, en fait. D’ailleurs, la sonorité du twin en mode balade n’est pas la plus gratifiante. La voix sonne un peu faux et pas mal de bruits mécaniques la parasitent. Cela étant dit, la Tuono reste souple malgré une 1re qui tire long. On ne galère jamais en ville, et si le twin n’est pas très coupleux, il possède juste ce qu’il faut de ressources pour relancer la moto sans avoir à tricoter de la boîte. On peut donc se contenter de l’aprilia de la sorte sans avoir à se plaindre, mais ce serait dommage. C’est en passant le seuil des 7 000 tr/mn que le bicylindre se livre totalement. Il part alors à l’assaut de la zone rouge, à près de 11 000 tr/mn, avec un mélange de rage et de vivacité unique sur le marché. Dans cette zone ou la MT-07 tire la langue, la Tuono s’épanouit. Avec en prime, une bandeson unique pour un bicylindre, rauque et métallique, mais riche en nuances. À tel point que, par brefs moments, j’entends comme un écho du V4 de la grande soeur. À la façon d’un 2-temps, on se régale à tirer les rapports pour profiter du coup de fouet. Rares sont les moteurs aussi expressifs dans cette cylindrée. Une cylindrée modeste qui est, paradoxalement, l’une de clés du plaisir qu’il procure. Parce qu’avec moins de 100 ch (95 exactement), on peut en profiter tout le temps ou presque. Non content d’être une réussite, le twin
Moteur vivant et partie-cycle vive se combinent en un ensemble très homogène.
Aprilia est couplé à une excellente boîte de vitesses qui permet de rester dans la zone de jeu quand on le souhaite. Avec un non moins excellent shifter montée et descente (une option à 97 €, mais prenez-la !) qui profite autant au confort en balade qu’à l’efficacité en pleine bourre. Reste la partie-cycle à l’attaque. Avouons qu’on n’a jamais eu l’occasion d’utiliser tout son potentiel lors de ce contact hivernal. Mais j’ai vraiment hâte de voir comment elle défendra sa position lors d’un prochain comparo, comment elle encaissera une bosse plein angle, comment son contrôle de motricité fera passer le couple en sortie de courbe rapide, comment le train avant se comportera sur les freins en entrée d’épingle, etc. Plein de questions dont on attend des bonnes réponses. Ce que j’ai pu entrevoir lors de cet essai le laisse espérer. Vive mais neutre et prévisible, la Tuono prend de l’angle avec naturel. Et la stabilité semble au rendez-vous malgré l’empattement rikiki et l’absence d’amortisseur
de direction. Quand la puissance est lâchée sur une bosse, l’avant se déleste facilement (les amateurs de wheeling devraient se marrer), mais retrouve son chemin sans brutalité. Le freinage est très efficace lui aussi, même si la puissance arrive d’un coup après une course morte. On parvient quand même à s’y accoutumer et à gommer cette brutalité. Déjà fini ? Ben oui, malgré le froid qui a traversé les huit couches de fringues, il y a comme un goût de trop peu en descendant de la Tuono. On a envie d’y retourner, et c’est le meilleur Le bicylindre fait 5 ch de moins que sur la RS 660. Ce bridage électronique maintient la sportive au sommet de la gamme. La Tuono se contente de deux ancrages au cadre au lieu de trois sur la RS, pour gagner en vivacité en sacrifiant un peu de rigidité.
signal qui puisse être. La 660 fait partie de ces motos qui ne laisseront jamais s’installer la routine. On découvrira toujours des choses à son guidon, au fil des ans, en jouant sur les infinies possibilités que donnent son châssis, à la fois facile, agile et précis, et son moteur à double face servi par une boîte remarquable. Tout bon, quoi, mais il n’en fallait pas moins pour justifier son prix élevé qui débute à 10 550 €.