Suzuki Hayabusa
La nouvelle Hayabusa ne cherche plus à choquer. Ses 190 ch n’ont plus rien d’extraordinaire, son compteur gradué à 290 km/h esquive la polémique, son respect de la norme Euro 5 en fait une amie de la planète et sa couche d’électronique rassure. Mais sous ce masque de conformité réside toujours une sportive routière hors normes.
Ça fait bientôt une heure que je fonce vers Marseille à 300 km/h. Pas de flics à mes trousses, mais de toute façon, j’ai mon masque chirurgical sur le museau, alors tout va bien. Du coup, je me détends et je bouquine un peu. Eh oui, on peut faire tout ça en TGV, ce train fabuleux qui parcourt la France à 300 km/h comme si on était dans son canapé. C’est tellement abouti qu’on en oublie presque l’exploit que ça représente. Le lendemain, à la même heure, je suis toujours à 300 km/h du côté de Marseille. Mais, cette fois, pas le temps de bouquiner, je suis au guidon de la nouvelle Hayabusa en pleine ligne droite du Mistral. Bien sûr, ça demande un peu de concentration pour ne pas oublier de freiner avant la courbe de Signes. Mais comme la veille, la performance est vite banalisée. Et pas grâce à mon talent.
ÇA SOUFFLE AU MISTRAL
Je ressors comme une truffe du gauche rapide qui commande la ligne droite, en quatrième, presque en sous-régime. Je prends le temps de cacher mes 192 cm derrière la bulle, ce que permet la longue selle. Je constate que je suis bien encastré, genoux et jambes à l’abri des larges carénages et, enfin, je soude. Le quatre-pattes Euro 5 de 1 340 cm3 propulse alors la moto avec force, mais sans être démonstratif. La montée en régime est ultra-linéaire, comme le souligne la bande-son très propre et feutrée qui s’échappe des silencieux. Bon, je me borne à contrôler le compte-tours pour voir où on en est. 11000tr/mn, OK, je monte un rapport le shifter ultra-doux et c’est reparti. Montée en régime, contrôle des instruments, 11 000 tr/mn, changement de rapport. J’ai l’impression d’être un conducteur de train Corail tellement c’est facile et doux. La moto encaisse le relief en souplesse et pénètre l’air avec facilité et presque sans remous. C’est stable, c’est silencieux, c’est confort, mais ça semble s’essouffler. Contrôle des instruments : l’aiguille du compte-tours est bloquée sur 10 000 tr/mn. Et celle du tachymètre aussi, un peu au-delà de la dernière graduation à 290 km/h. De fait, la moto est bridée à 299 km/h. Mais tu parles d’un bridage, ça va vite quand même ! Tout ça presque sans s’en rendre compte, tous rétros sortis et avec des Bridgestone d’origine. C’est tout l’exploit de cette moto que de banaliser une telle prise de vitesse. Mais l’hayabusa ne se limite pas à ça. En bout de ligne droite forcément, il faut freiner fort et rentrer deux rapports. J’écrase donc le levier sans pudeur, avec une réponse douce mais bien présente. Le shifter excelle cette fois au rétrogradage, avec une action douce et sans accroc. La moto se tasse sur sa fourche, l’arrière balaye un peu, la Suzuki ne peut pas masquer son poids important de 264 kg à plein, ni ses réglages de suspensions mollassons. Mais elle freine fort quand même et peut rentrer dans Signes sans problème, en profitant d’un train avant précis et pas si lourd à inscrire sur la trajectoire.
En sortie de virage, les excès d’optimisme sont bien régulés par le contrôle de motricité. Mais le couple énorme combiné au poids de la moto arrive à bout de la molle suspension qui engendre beaucoup de mouvement et indique qu’on ne pourra pas faire beaucoup mieux. En prenant confiance en milieu de courbe, c’est encore le poids et les suspensions qui tassent inexorablement la moto et font frotter les repose-pieds, les flancs de carénage, l’échappement, un peu tout, quoi ! Les limites sont donc atteintes, certes. Mais la moto ne devient jamais malsaine ni ne fait perdre la confiance au guidon. Plus surprenant, les pneus comme les freins conservent leur consistance dans cet exercice du circuit pour lequel l’hayabusa n’est pas du tout conçue. Elle s’en accommode pourtant avec naturel, comme un champion de boxe retraité pourrait tenir 12 rounds face à un jeunot, sans pouvoir toutefois le mettre au tapis.
DOUCE BRISE
Le lendemain, on reprend l’hayabusa sur un terrain beaucoup plus naturel.
Et encore, pas d’autoroute au programme, mais du super-sinueux autour du Castellet. Pas l’idéal pour une mémère de 264kg dont le gros 1340 cm3 a besoin de place pour s’exprimer. C’est du moins ce que je pensais, mais, rapidement, l’hayabusa fait voler ces préjugés en éclats. Le temps de la relever de la béquille, en fait, puisque c’est l’un des rares moments où on réalise le poids important du bestiau. Ensuite, tout s’allège, y compris votre esprit qui laisse filer les incontournables questions existentielles de rabat-joie comme : « À quoi peut bien servir un tel monstre à notre époque où l’on doit rouler à 80km/h ? » Dès les premières centaines de mètres en effet, à l’évidence, cette Hayabusa n’est pas un monstre. En tout cas, pas tout le temps. Le confort est remarquable, notamment par le très bon boulot des suspensions. La position de conduite penchée en avant n’est pas insupportable et l’espace à bord est généreux, y compris pour les grands gabarits. Bien installé, on apprécie immédiatement des commandes douces
et parfaitement calibrées. L’embrayage antidribble à assistance réclame peu d’efforts en regard du couple à transmettre (15,3 mkg). Sans être molle, l’attaque du frein avant est prévenante et sa puissance est rassurante à mesure qu’on tire le levier. Le freinage est d’ailleurs l’une des modifications importantes de cette nouvelle génération. Les disques sont passés de 310 à 320mm et les étriers radiaux à 4 pistons sont fournis non plus par Tokico mais par Brembo avec leur modèle haut de gamme Stylema. La bonne nouvelle, c’est qu’à l’arrière, le freinage est du même calibre. Malgré un étrier à un seul piston qui pince le disque de 260 mm, on a toute la puissance et le feeling nécessaires pour ralentir, stabiliser et corriger efficacement les trajectoires de l’hayabusa sur route. Heureusement, d’ailleurs, parce qu’on a besoin de ce frein arrière. Quant à la poignée de gaz désormais Ride by Wire, elle est également douce et précise et offre le choix parmi trois modes de puissance aux différences bien sensibles. En ajoutant un angle de braquage très honnête et une souplesse record du gros quatre-cylindres (on peut descendre à 40 km et 1500 tr/mn en 6e et reprendre sans hoquet !), on peut vraiment aller acheter son pain en Hayabusa sans le moindre problème. Ou bien se balader pépère, en restant en cinquième et
en profitant du gras du moteur et de son grand silence de fonctionnement quand on ne le titille pas trop. On peut aussi tricoter de la boîte juste pour le plaisir, sachant qu’elle est douce, précise et bien accompagnée du shifter réglable sur deux niveaux. Sur route, le niveau le plus lent permet de passer et rentrer les rapports sans heurt, même à bas régime et à faible charge. On enroule alors les courbes avec facilité, le Faucon se révélant très bien équilibré et facile à inscrire (surprenant, vu son gabarit !), et d’une stabilité remarquable une fois sur l’angle (ça, c’est plus logique, vu son empattement et la taille des gommards). Bref, l’hayabusa est une force tranquille que l’on peut savourer comme une gentille routière. Paradoxalement, c’est la démesure de son moteur qui offre autant d’agrément dans cet usage tranquille. Cette force titanesque qui vous pousse dans le dos avec bienveillance.
ELLE FEND L’AIR DU TEMPS
En s’énervant un peu plus sur la poignée (bien entendu sur une autoroute allemande proche de Marseille, avec les distanciations sociales qui s’imposent et après avoir désinfecté nos tétons au gel hydroalcoolique), la moto ne change pas de visage, mais le nôtre, si ! Toujours sereine, l’hayabusa conserve son équilibre et encaisse l’ouragan qui sort du 4-cylindres. Mais au guidon, nom d’une buse, ça va vite ! Les montées en régimes sont pourtant particulièrement linéaires. Et même si le bruit de moteur se fait plus présent, il ne laisse échapper aucun signe de rage à même de vous intimider. La stabilité de la moto reste également imperturbable et on a tout pour se sentir en confiance. Mais impossible de rester de glace face à la force pure du moteur et à cette sensation d’accélération qui vous prend aux tripes. Elle peut bien arrondir tous les angles et respecter toutes les normes en vigueur, l’hayabusa n’a besoin que de cette force hors normes pour imposer le respect (pas des lois). Et la partie-cycle suit, même si c’est, cette fois, le poids qui impose le respect et limite l’improvisation. L’électronique très complète, c’est l’autre grosse nouveauté de cette génération, fait aussi du bon boulot et permet d’exploiter plus sereinement une partie du potentiel de la moto. Au final, on rentre au bercail avec cette impression d’avoir roulé sur une excellente moto, capable de vous donner des sensations et de rester tout à fait convenable et polyvalente quand on le décide. L’hayabusa a donc bien été policée pour suivre son époque. Mais elle ne perd pas l’essentiel, à savoir son gros coeur. Malgré son changement de statut en 20 ans, ce dernier modèle n’a rien d’un monstre déchu vidé de sa substance. Il s’adresse simplement à des motards qui préfèrent rouler que compter les chiffres.