Moto Journal

Suzuki Hayabusa

- Par Michael Tora, photos Yud Pourdieu Le Coz

La nouvelle Hayabusa ne cherche plus à choquer. Ses 190 ch n’ont plus rien d’extraordin­aire, son compteur gradué à 290 km/h esquive la polémique, son respect de la norme Euro 5 en fait une amie de la planète et sa couche d’électroniq­ue rassure. Mais sous ce masque de conformité réside toujours une sportive routière hors normes.

Ça fait bientôt une heure que je fonce vers Marseille à 300 km/h. Pas de flics à mes trousses, mais de toute façon, j’ai mon masque chirurgica­l sur le museau, alors tout va bien. Du coup, je me détends et je bouquine un peu. Eh oui, on peut faire tout ça en TGV, ce train fabuleux qui parcourt la France à 300 km/h comme si on était dans son canapé. C’est tellement abouti qu’on en oublie presque l’exploit que ça représente. Le lendemain, à la même heure, je suis toujours à 300 km/h du côté de Marseille. Mais, cette fois, pas le temps de bouquiner, je suis au guidon de la nouvelle Hayabusa en pleine ligne droite du Mistral. Bien sûr, ça demande un peu de concentrat­ion pour ne pas oublier de freiner avant la courbe de Signes. Mais comme la veille, la performanc­e est vite banalisée. Et pas grâce à mon talent.

ÇA SOUFFLE AU MISTRAL

Je ressors comme une truffe du gauche rapide qui commande la ligne droite, en quatrième, presque en sous-régime. Je prends le temps de cacher mes 192 cm derrière la bulle, ce que permet la longue selle. Je constate que je suis bien encastré, genoux et jambes à l’abri des larges carénages et, enfin, je soude. Le quatre-pattes Euro 5 de 1 340 cm3 propulse alors la moto avec force, mais sans être démonstrat­if. La montée en régime est ultra-linéaire, comme le souligne la bande-son très propre et feutrée qui s’échappe des silencieux. Bon, je me borne à contrôler le compte-tours pour voir où on en est. 11000tr/mn, OK, je monte un rapport le shifter ultra-doux et c’est reparti. Montée en régime, contrôle des instrument­s, 11 000 tr/mn, changement de rapport. J’ai l’impression d’être un conducteur de train Corail tellement c’est facile et doux. La moto encaisse le relief en souplesse et pénètre l’air avec facilité et presque sans remous. C’est stable, c’est silencieux, c’est confort, mais ça semble s’essouffler. Contrôle des instrument­s : l’aiguille du compte-tours est bloquée sur 10 000 tr/mn. Et celle du tachymètre aussi, un peu au-delà de la dernière graduation à 290 km/h. De fait, la moto est bridée à 299 km/h. Mais tu parles d’un bridage, ça va vite quand même ! Tout ça presque sans s’en rendre compte, tous rétros sortis et avec des Bridgeston­e d’origine. C’est tout l’exploit de cette moto que de banaliser une telle prise de vitesse. Mais l’hayabusa ne se limite pas à ça. En bout de ligne droite forcément, il faut freiner fort et rentrer deux rapports. J’écrase donc le levier sans pudeur, avec une réponse douce mais bien présente. Le shifter excelle cette fois au rétrograda­ge, avec une action douce et sans accroc. La moto se tasse sur sa fourche, l’arrière balaye un peu, la Suzuki ne peut pas masquer son poids important de 264 kg à plein, ni ses réglages de suspension­s mollassons. Mais elle freine fort quand même et peut rentrer dans Signes sans problème, en profitant d’un train avant précis et pas si lourd à inscrire sur la trajectoir­e.

En sortie de virage, les excès d’optimisme sont bien régulés par le contrôle de motricité. Mais le couple énorme combiné au poids de la moto arrive à bout de la molle suspension qui engendre beaucoup de mouvement et indique qu’on ne pourra pas faire beaucoup mieux. En prenant confiance en milieu de courbe, c’est encore le poids et les suspension­s qui tassent inexorable­ment la moto et font frotter les repose-pieds, les flancs de carénage, l’échappemen­t, un peu tout, quoi ! Les limites sont donc atteintes, certes. Mais la moto ne devient jamais malsaine ni ne fait perdre la confiance au guidon. Plus surprenant, les pneus comme les freins conservent leur consistanc­e dans cet exercice du circuit pour lequel l’hayabusa n’est pas du tout conçue. Elle s’en accommode pourtant avec naturel, comme un champion de boxe retraité pourrait tenir 12 rounds face à un jeunot, sans pouvoir toutefois le mettre au tapis.

DOUCE BRISE

Le lendemain, on reprend l’hayabusa sur un terrain beaucoup plus naturel.

Et encore, pas d’autoroute au programme, mais du super-sinueux autour du Castellet. Pas l’idéal pour une mémère de 264kg dont le gros 1340 cm3 a besoin de place pour s’exprimer. C’est du moins ce que je pensais, mais, rapidement, l’hayabusa fait voler ces préjugés en éclats. Le temps de la relever de la béquille, en fait, puisque c’est l’un des rares moments où on réalise le poids important du bestiau. Ensuite, tout s’allège, y compris votre esprit qui laisse filer les incontourn­ables questions existentie­lles de rabat-joie comme : « À quoi peut bien servir un tel monstre à notre époque où l’on doit rouler à 80km/h ? » Dès les premières centaines de mètres en effet, à l’évidence, cette Hayabusa n’est pas un monstre. En tout cas, pas tout le temps. Le confort est remarquabl­e, notamment par le très bon boulot des suspension­s. La position de conduite penchée en avant n’est pas insupporta­ble et l’espace à bord est généreux, y compris pour les grands gabarits. Bien installé, on apprécie immédiatem­ent des commandes douces

et parfaiteme­nt calibrées. L’embrayage antidribbl­e à assistance réclame peu d’efforts en regard du couple à transmettr­e (15,3 mkg). Sans être molle, l’attaque du frein avant est prévenante et sa puissance est rassurante à mesure qu’on tire le levier. Le freinage est d’ailleurs l’une des modificati­ons importante­s de cette nouvelle génération. Les disques sont passés de 310 à 320mm et les étriers radiaux à 4 pistons sont fournis non plus par Tokico mais par Brembo avec leur modèle haut de gamme Stylema. La bonne nouvelle, c’est qu’à l’arrière, le freinage est du même calibre. Malgré un étrier à un seul piston qui pince le disque de 260 mm, on a toute la puissance et le feeling nécessaire­s pour ralentir, stabiliser et corriger efficaceme­nt les trajectoir­es de l’hayabusa sur route. Heureuseme­nt, d’ailleurs, parce qu’on a besoin de ce frein arrière. Quant à la poignée de gaz désormais Ride by Wire, elle est également douce et précise et offre le choix parmi trois modes de puissance aux différence­s bien sensibles. En ajoutant un angle de braquage très honnête et une souplesse record du gros quatre-cylindres (on peut descendre à 40 km et 1500 tr/mn en 6e et reprendre sans hoquet !), on peut vraiment aller acheter son pain en Hayabusa sans le moindre problème. Ou bien se balader pépère, en restant en cinquième et

en profitant du gras du moteur et de son grand silence de fonctionne­ment quand on ne le titille pas trop. On peut aussi tricoter de la boîte juste pour le plaisir, sachant qu’elle est douce, précise et bien accompagné­e du shifter réglable sur deux niveaux. Sur route, le niveau le plus lent permet de passer et rentrer les rapports sans heurt, même à bas régime et à faible charge. On enroule alors les courbes avec facilité, le Faucon se révélant très bien équilibré et facile à inscrire (surprenant, vu son gabarit !), et d’une stabilité remarquabl­e une fois sur l’angle (ça, c’est plus logique, vu son empattemen­t et la taille des gommards). Bref, l’hayabusa est une force tranquille que l’on peut savourer comme une gentille routière. Paradoxale­ment, c’est la démesure de son moteur qui offre autant d’agrément dans cet usage tranquille. Cette force titanesque qui vous pousse dans le dos avec bienveilla­nce.

ELLE FEND L’AIR DU TEMPS

En s’énervant un peu plus sur la poignée (bien entendu sur une autoroute allemande proche de Marseille, avec les distanciat­ions sociales qui s’imposent et après avoir désinfecté nos tétons au gel hydroalcoo­lique), la moto ne change pas de visage, mais le nôtre, si ! Toujours sereine, l’hayabusa conserve son équilibre et encaisse l’ouragan qui sort du 4-cylindres. Mais au guidon, nom d’une buse, ça va vite ! Les montées en régimes sont pourtant particuliè­rement linéaires. Et même si le bruit de moteur se fait plus présent, il ne laisse échapper aucun signe de rage à même de vous intimider. La stabilité de la moto reste également imperturba­ble et on a tout pour se sentir en confiance. Mais impossible de rester de glace face à la force pure du moteur et à cette sensation d’accélérati­on qui vous prend aux tripes. Elle peut bien arrondir tous les angles et respecter toutes les normes en vigueur, l’hayabusa n’a besoin que de cette force hors normes pour imposer le respect (pas des lois). Et la partie-cycle suit, même si c’est, cette fois, le poids qui impose le respect et limite l’improvisat­ion. L’électroniq­ue très complète, c’est l’autre grosse nouveauté de cette génération, fait aussi du bon boulot et permet d’exploiter plus sereinemen­t une partie du potentiel de la moto. Au final, on rentre au bercail avec cette impression d’avoir roulé sur une excellente moto, capable de vous donner des sensations et de rester tout à fait convenable et polyvalent­e quand on le décide. L’hayabusa a donc bien été policée pour suivre son époque. Mais elle ne perd pas l’essentiel, à savoir son gros coeur. Malgré son changement de statut en 20 ans, ce dernier modèle n’a rien d’un monstre déchu vidé de sa substance. Il s’adresse simplement à des motards qui préfèrent rouler que compter les chiffres.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? 1. Bridage oblige, l’hayabusa bloque à 10 000 tr/mn et 299 km/h compteur sur la ligne droite du Mistral. Il lui reste 1 000 tr/mn, soit théoriquem­ent 30 bornes de mieux.
2. Les rétros très profilés sont, de surcroît, efficaces sur route. 3. Les deux leviers sont évidés aux extrémités. C’est qu’à 300 km/h ou presque, la pression de l’air sur un levier serait capable de vous faire débrayer ou freiner ! 4. C’est bien beau de souder comme un âne, mais au bout des 1 800 m de ligne droite, faut freiner. Le nouveau système effectue cette difficile mission, avec de nouveaux disques de 320 mm (au lieu de 310) et avec le haut de gamme Brembo : des étriers à 4 pistons Stylema.
1. Bridage oblige, l’hayabusa bloque à 10 000 tr/mn et 299 km/h compteur sur la ligne droite du Mistral. Il lui reste 1 000 tr/mn, soit théoriquem­ent 30 bornes de mieux. 2. Les rétros très profilés sont, de surcroît, efficaces sur route. 3. Les deux leviers sont évidés aux extrémités. C’est qu’à 300 km/h ou presque, la pression de l’air sur un levier serait capable de vous faire débrayer ou freiner ! 4. C’est bien beau de souder comme un âne, mais au bout des 1 800 m de ligne droite, faut freiner. Le nouveau système effectue cette difficile mission, avec de nouveaux disques de 320 mm (au lieu de 310) et avec le haut de gamme Brembo : des étriers à 4 pistons Stylema.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? 5. Le faucon pèlerin est un rapace qui a déjà été mesuré à 340 km/h en piqué. L’hayabusa lui emprunte logiquemen­t son nom, en japonais.
5. Le faucon pèlerin est un rapace qui a déjà été mesuré à 340 km/h en piqué. L’hayabusa lui emprunte logiquemen­t son nom, en japonais.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? 1. L’éclairage est entièremen­t à Leds et rappelle la GSX-R dans sa forme. Mais les volumes de la moto restent typiques de l’hayabusa. Les bandeaux verticaux servent de feux diurnes mais aussi de clignotant­s. 2. et 3. Le passager profite d’une assise pas ridicule et d’une honnête poignée de maintien. En option, on peut la jouer solo avec une jolie coque aérodynami­que. 4. et 5. Le tableau de bord reprend les cadrans analogique­s des précédente­s versions. Mais un écran digital au centre donne accès à plein d’infos et à tous les réglages électroniq­ues possibles. Ces derniers sont facilement accessible­s via le commodo gauche très simple. Bravo ! 6. Bravo aussi pour le niveau de finition qui grimpe de deux crans ! La nouvelle Hayabusa est une moto particuliè­rement élégante, surtout (c’est personnel, mais largement partagé par les confrères) dans son coloris noir et or.
1. L’éclairage est entièremen­t à Leds et rappelle la GSX-R dans sa forme. Mais les volumes de la moto restent typiques de l’hayabusa. Les bandeaux verticaux servent de feux diurnes mais aussi de clignotant­s. 2. et 3. Le passager profite d’une assise pas ridicule et d’une honnête poignée de maintien. En option, on peut la jouer solo avec une jolie coque aérodynami­que. 4. et 5. Le tableau de bord reprend les cadrans analogique­s des précédente­s versions. Mais un écran digital au centre donne accès à plein d’infos et à tous les réglages électroniq­ues possibles. Ces derniers sont facilement accessible­s via le commodo gauche très simple. Bravo ! 6. Bravo aussi pour le niveau de finition qui grimpe de deux crans ! La nouvelle Hayabusa est une moto particuliè­rement élégante, surtout (c’est personnel, mais largement partagé par les confrères) dans son coloris noir et or.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France