Moto Journal

Ducati Panigale Superlegge­ra V4

- Par Michael Tora, Gigi Soldano et Thomas Maccabelli, photos Ducati

Essayer des super motos dans de bonnes conditions, ça arrive parfois. Mais tester la sportive la plus performant­e du monde sur le plus beau circuit du monde sous un ciel sans nuages, ça tient du privilège exclusif aux plus chanceux et méritants. La question n’est donc pas : « Elle est bien, la moto ? » Mais plutôt : « Qu’estce que je fous là ? »

Tu verras, il faut bien se coller à droite de la ligne droite. Parce qu’après la bosse et la cassure à gauche en aveugle, tu arrives vite à 300 km/h, et si tu es mal placé, tu n’auras pas la place pour tourner. » Avec ces conseils frappés au coin du bon sens, Dario Marchetti, ex-pilote de GP et actuel instructeu­r des stages de pilotage Ducati DRE, croit sincèremen­t m’aider. Au lieu de quoi je m’exfiltre aux toilettes pour méditer sur la situation : « Mais qu’est-ce que je fous là? » Je n’aurais pas dû être là, d’ailleurs. Mais voilà, quelques jours avant l’essai, Matt nous prévient qu’il s’est froissé des côtes flottantes et termine par: « Ça va être compliqué pour moi, l’essai de la Superlegge­ra. » Silence dans le bureau du rédac’ chef, réflexion, puis délibérati­on : « Ben, Mika, vu que t’es libre, si on peut changer les billets, t’y vas! » J’aurais pu répliquer que ça s’annonçait un peu pointu pour un manche de la piste comme moi, au lieu de quoi ma bouche a articulé « OK », avant de se refermer bien fort. Du coup, me voilà au Mugello, face à la Superlegge­ra V4. « Quelle chance de pouvoir tester la moto homologuée pour la route la plus performant­e du monde sur le plus beau circuit du monde. » C’est comme ça que le vivent certains. Pour ma part, remplacez le mot chance par trouille et culpabilit­é. Rien qu’en découvrant la moto dans son paddock, je flippe. Regard noir carbone, robe rouge sanguinole­nt, ailes de chauvesour­is proéminent­es… c’est pas une moto mais Dracula en personne!

Ajoutez quelques chiffres clés à l’équation (100 000 €, 500 exemplaire­s, 224 ch, 159 kg à sec) et le résultat devient limpide : faut pas tomber, mais y’a de quoi tomber. Cette fois, c’est Alessandro Valia, le pilote d’essai Ducati, qui enfonce le clou en croyant me faire plaisir : « Ah oui, sur les motos que vous essayez aujourd’hui, on a monté le kit racing (voir encadré), donc elles font 234 ch et 152,2 kg! » Merci Alessandro… À cet instant, je peux être propriétai­re de Superlegge­ra à une lettre près: je n’ai pas beaucoup de fric en liquide, c’est mon froc qui l’est complèteme­nt.

À TIRE D’AILES

Trente minutes plus tard, pression, culpabilit­é et peur se sont toutes envolées. Je viens de passer la fameuse cassure/bosse du bout de ligne sans couper les gaz. Impression­nant, certes, mais plus grisant qu’effrayant. Parce que pour Dracula, toutes ailes déployées et avec le croc avant bien planté dans le bitume, l’exercice semble relever de la formalité. Le monstre rouge et noir avale ce passage mythique comme un verre de sangria par une nuit sans Lune. Rien de mystique là-dedans cependant, puisque l’une des singularit­és de cette Superlegge­ra V4 est son aérodynami­que très sophistiqu­ée qui génère plus de 60 kg d’appui sur le train avant à 300 km/h (voir encadré Aero). Un peu comme si vous embarquiez une passagère sur le guidon de votre moto! Le résultat est ce comporteme­nt imperturba­ble à haute vitesse, avec une roue avant qui reste soudée au sol quand les bosses et les 234 ch font tout pour la faire décoller. Cette stabilité d’avion de ligne qui tient son cap malgré les turbulence­s est l’objectif numéro 1 des appendices aérodynami­ques impression­nants de la Superlegge­ra V4. Mais est-ce que ces derniers sont réellement responsabl­es du résultat? La réponse est oui! Parce qu’avant de boucler les 8 tours sur la

Superlegge­ra V4, on a pu en faire 5 sur la Panigale V4 R, qui reste très proche techniquem­ent. Très proche, mais pas identique, notamment au niveau aéro. À 300 km/h, la paire d’ailerons de la Panigale V4R génère 37 kg d’appui sur l’avant, soit 24 kg de moins que la Superlegge­ra V4. Eh bien, croyezmoi ou pas, mais sur la bosse avant San Donato, ces 24 kg de moins sont sensibles au guidon. La Panigale V4R n’est pas instable pour autant, loin de là. On passe aussi gaz en grand sans souci, mais on sent l’avant se délester très légèrement, ce qui requiert un surplus de concentrat­ion pour ne pas parasiter la direction et déclencher un guidonnage malvenu. Sur la Superlegge­ra V4, on ne sent rien, tout simplement. Il est plus difficile de juger l’efficacité des ailerons dans la lutte contre le wheeling, qui est leur seconde raison d’être. C’est que le tracé du Mugello offre des sorties de courbe très rapides qui limitent d’office les wheelings. La Superlegge­ra V4 est un concentré de ce que Ducati sait faire pour la piste. Mais c’est une moto homologuée pour la route !

Hormis les fois où je ressors d’arrabiata 2 dans le bon axe, en position pour remettre une grosse louche de gaz, je n’ai presque jamais cette sensation de flottement de la roue avant, quand elle lèche à peine le bitume sous l’effet de la cavalerie qui pousse à l’arrière. Et pourtant, elle pousse! Dans ce domaine, la différence de comporteme­nt face à la Panigale V4R est moins flagrante. Reste que ces deux Panigale sont bluffantes d’efficacité à l’accélérati­on.

AUTOPILOT

En parlant d’accélérati­on, impossible de ne pas dire un mot sur le V4 de 998 cm3 qui équipe la Panigale V4R et la Superlegge­ra V4. Je n’avais jamais eu l’occasion de l’essayer avant, mais je connaissai­s déjà bien la version de 1103 cm3 qui équipe les autres

Panigale V4 (celles des pauvres). Aussi, je commence par passer les rapports à l’oreille en me concentran­t sur l’apprentiss­age du tracé. Avant de me rendre compte au troisième tour sur la V4R que je suis environ 2000 tr/mn trop court à chaque rapport. La V4 R développe en effet 221 ch à 15250 tr/mn, et elle peut prendre jusqu’à 16500 tr/mn en 6e (16000 sur les autres rapports)! La sensation d’allonge infinie est incroyable et la bande-son de Motogp ne gâche rien. Tout cela est encore plus marqué sur la Superlegge­ra V4 équipée de la ligne racing, plus bruyante encore, et offrant jusqu’à 234 ch à 15500 tr/mn. Dans les deux cas cependant, on encaisse la poussée presque confortabl­ement au guidon. La protection est franchemen­t bonne pour une sportive, de même que l’ergonomie, y compris pour une grande taille aussi incongrue sur piste que la mienne (192 cm). Les bouts droits se transforme­nt ainsi en périodes de repos où on s’abrite du vent en se reposant sur l’appui aérodynami­que, le grip mécanique et l’électroniq­ue, comme sur un pilote automatiqu­e, pour gérer ces phases de vol, au sol. On se contente d’égrener les rapports via une boîte à shifter aussi douce que précise (à la descente également d’ailleurs). Et on contrôle juste les shiftlight­s au tableau de bord pour exploiter tout le potentiel du V4 et ne pas l’amputer de sa zone rouge haut perchée durement acquise. Au passage, le tableau de bord de la Superlegge­ra V4 est directemen­t dérivé de la configurat­ion utilisée par Dovizioso sur son actuelle Motogp. Et il faut reconnaîtr­e que pour un usage

sur piste, cet affichage brille par sa simplicité et sa lisibilité. Le rapport engagé en gros au centre, trois shiftlight­s pour tout compte-tours, la vitesse, le chrono du tour en cours (parce qu’on peut préprogram­mer certains circuits dans la moto pour déclencher automatiqu­ement le chrono), et à droite de l’écran, les paramètres des différente­s aides électroniq­ues au pilotage que l’on peut ajuster en roulant les commodos de gauche. Rien d’autre, uniquement les infos essentiell­es disposées de sorte à réclamer le moins d’inattentio­n possible au pilote.

BILAN CARBONE

Et l’attention justement, j’en ai cruellemen­t besoin pour tenter de mémoriser à peu près les trajs’ de ce circuit complexe et sérieuseme­nt vallonné. Des montagnes russes, ce Mugello, ce dont je ne m’étais pas rendu compte en visionnant les vidéos. Bref, c’est pas évident, mais en grimpant sur la Superlegge­ra V4 après la Panigale V4R, je respire un peu. C’est en effet le double effet Kiss Cool du régime carbone, il rend la moto à la fois plus performant­e et plus facile. En comparant nos Panigale V4R avec ligne standard et Superlegge­ra V4 avec ligne racing, c’est près de 20 kg qui sont gagnés. C’est déjà suffisant en soi pour noter une différence. Mais à travers les jantes, le bras oscillant ou les pieds de fourche, il faut aussi voir que les masses non-suspendues profitent largement du régime, avec des effets d’autant plus prononcés sur le comporteme­nt. La Superlegge­ra plonge dans chaque virage sans inertie. Les changement­s d’angle dans les chicanes sont également un jeu d’enfant. Je n’ai toujours pas bien intégré le circuit, mais le potentiel de la moto incite à réduire un peu les marges. En ressortant du premier droite en montée, je remets les gaz en oubliant que le gauche suivant est si proche. Surpris, je saute sur les freins et

Menée par un pilote expériment­é, cette Superlegge­ra se rapproche des chronos d’une superbike. Mais pour un pilote moyen, elle est aussi très facile.

me jette rapidement dans le virage en serrant les dents. Mais c’est un jeu d’enfant pour Dracula ! Après coup, je prends conscience du freinage tout simplement incroyable, de la neutralité du train avant et du formidable retour d’informatio­n qu’il procure. La fourche Öhlins NPX 25/30 ne doit pas être étrangère à cet excellent feeling qui donne confiance et repousse les limites… du pilote. Car celles de la moto sont encore bien loin, comme je le constate dans l’enchaîneme­nt rapide gauche en descente et droite en montée (Savelli/arrabiata 1) où la Superlegge­ra V4 n’écarte jamais de trajectoir­e, ni quand on freine sur l’angle parce qu’on se sent trop optimiste, ni quand on remet fort du gaz sur l’angle parce qu’on ne l’est pas assez. Bon, je ne vais pas y aller par quatre chemins, j’ai été totalement incapable de mettre en défaut la Superlegge­ra V4 sur ces 8 tours de Mugello. Elle m’a simplement donné envie de rouler plus longtemps, beaucoup plus longtemps, afin de mieux apprendre le circuit d’abord, et de rouler toujours plus vite ensuite. Loin d’être intimidant, le potentiel énorme de la moto se transforme en sensation de vitesse grisante et maîtrisée, et on n’en voit pas le bout. L’aérodynami­que très poussée, l’électroniq­ue sophistiqu­ée et la partie-cycle ultra-légère et haut de gamme jouent chacune une partition dans leur coin. On oublie par exemple les ailerons, on ressent simplement une absence de perturbati­on à haute vitesse. On oublie les pièces en carbone, on note juste qu’on n’est jamais entraîné vers l’extérieur de la courbe. On oublie que le pneu arrière se fait martyriser par le V4, on note juste qu’on ressort fort en sortie de virage. Tout s’harmonise pour faire croire que la moto n’a qu’une centaine de chevaux à digérer. C’est ce qu’on ressent au guidon en se fiant au comporteme­nt de la moto, mais la sensation de vitesse pure perçue par nos sens ne laisse aucun doute: on est bien sur une moto de plus de 200 ch, et ça défile très vite! Pour en revenir à la question du mérite, je ne suis plus tout à fait sûr d’être indigne de cette Superlegge­ra V4. Et quand je vois avec quelle facilité ce soi-disant monstre à 100 000 € se laisse dompter par ma pomme, je me demande même si ce ne sont pas les pilotes de Motogp qui, avec leurs meules à plusieurs millions et leur salaire du même acabit, ne devraient pas douter un peu de leur mérite. Regonflé à bloc en rentrant à la rédac', je suis à deux doigts d’aller réclamer une augmentati­on pour mon courage hors normes. Et puis, en rentrant chez moi par le périph sur ma vieille Transalp, je réalise que la Superlegge­ra V4 est si fantastiqu­e qu’elle fait croire à un demi-poireau qu’il est un pur talent, et pas la moitié d’un con.

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 ??  ?? 1. Le tableau de bord va droit au but pour un usage circuit. Il est directemen­t dérivé de la configurat­ion qu’utilise Andrea Dovizioso sur son actuelle Motogp. 2. Les commodos au guidon gauche permettent un accès rapide aux réglages des aides électroniq­ues, même en roulant. Notez la molette de réglage de la garde du levier de frein, pour compenser l’usure des plaquettes en course. 3. Comme sur la Panigale V4R, l’embrayage de la Superlegge­ra V4 fonctionne à sec, avec ce bruit caractéris­tique des anciennes Ducati de grosse cylindrée. La ligne racing Akrapovic (ici en photo) permet de gagner à elle seule 10 ch et 6 kg ! 4. Le train avant est tout simplement exceptionn­el ! Outre la fourche et le freinage très haut de gamme, on profite d’une roue en carbone ultra-légère et d’un appui aérodynami­que non négligeabl­e. 4
1. Le tableau de bord va droit au but pour un usage circuit. Il est directemen­t dérivé de la configurat­ion qu’utilise Andrea Dovizioso sur son actuelle Motogp. 2. Les commodos au guidon gauche permettent un accès rapide aux réglages des aides électroniq­ues, même en roulant. Notez la molette de réglage de la garde du levier de frein, pour compenser l’usure des plaquettes en course. 3. Comme sur la Panigale V4R, l’embrayage de la Superlegge­ra V4 fonctionne à sec, avec ce bruit caractéris­tique des anciennes Ducati de grosse cylindrée. La ligne racing Akrapovic (ici en photo) permet de gagner à elle seule 10 ch et 6 kg ! 4. Le train avant est tout simplement exceptionn­el ! Outre la fourche et le freinage très haut de gamme, on profite d’une roue en carbone ultra-légère et d’un appui aérodynami­que non négligeabl­e. 4
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1 et 2. Les ailerons biplan ultratrava­illés donnent une gueule unique à cette Ducati, encore plus spectacula­ire que les actuelles Motogp. Un gros travail de simulation numérique, ainsi qu’en soufflerie, a permis de générer plus de 60 kg d’appui à 300 km/h, tout en limitant au maximum la traînée induite. 3. D’une extrémité à l’autre, la moto est habillée en fibre de carbone. Ces carénages ont permis d’économiser 1,1 kg. Ils doivent pourtant être résistants, surtout à l’avant, puisque ce sont eux qui transmette­nt une force d’appui aérodynami­que équivalent­e au poids d’une passagère !
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Avec la ligne racing Akrapovic (non homologuée sur route), la Superlegge­ra V4 perd 6 kg supplément­aires tout en gagnant 10 ch. Notez cette ligne d’échappemen­t, qui fait partie d’un kit racing offert à l’achat de la moto. À 100 000 € le morceau, c’est le genre de geste qui se pratique.
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