COUP D'ESSAI COUP DE MAÎTRE
Harley-davidson, c’est d’habitude la marque qui essaie de te fourguer 350 kilos d’acier au prix de l’or. Et là, voilà que les Américains nous pondent un maxi-trail abouti, suréquipé, original, et surtout vendu à un tarif parfaitement bien placé.
Sincèrement, 18290 €, c’est pas cher! Attendez, avant d’accrocher ma tête de journaliste privilégié au bout d’une pique révolutionnaire ou de croire qu’à MJ, on est payé comme des patrons du CAC 40, patientez deux secondes et laissez-moi terminer ma démonstration. Une BMW R 1250 GS, sans la moindre option, est vendue à partir de 18100 €. Si l’on souhaite y inclure des fonctions qui la rapprocheraient de cette Harley, la voilà qui grimpe directement à plus de 22000 €. Même chose pour la concurrence qui, pour ses déclinaisons les plus proches de la Pan America Special, affiche une Multistrada V4 S à 22190 €, une Tiger XRT à 20300 €, une 1290 Adventure S à 18599 €, voire une Africa Twin Adventure Sports à 18099 €, bien que dans ce cas précis, la différence de puissance commence à être colossale (48 chevaux en défaveur de la Honda). Vous voyez, je vous l’avais bien dit que ce n’était pas si cher! Et ce n’est pas Christophe Couet, le DG de Harley France qui va dire le contraire: « C’est un choix délibéré de rentrer dans le segment des gros trails routiers en mettant la barre très haut. On a voulu une machine richement équipée afin de pouvoir jouer les premiers rôles dans la catégorie. Une technologie de pointe, donc, mais aussi un super rapport prix/prestations. »
BOEING 787
D’autant qu’à ce tarif-là, la Pan America Special embarque une technologie digne d’un avion de ligne. Que les plus allergiques aux acronymes, anglicismes et au modernisme en général se rendent tout de suite quelques lignes plus loin, ils risquent ici une crise d’urticaire. Au programme, on trouve tout d’abord des suspensions semi-actives Showa BFF (Balance Free Forks). Si les Japonais ont fourni les éléments, Harley tient à préciser que les logiciels gérant fourche et amortisseur ont bien été développés en interne. Le système comprend cinq profils préprogrammés qui évoluent suivant le mode de conduite choisi. Ceux-ci sont au nombre de sept: Sport, Route, Pluie, Off-road, Off-road Plus, ainsi que deux modes entièrement personnalisables où l’on règle à sa guise le couple moteur, le frein moteur, la réponse de l’accélérateur, l’intervention du contrôle de traction, de L’ABS et les niveaux d’amortissement des suspensions. Côté assistances à la conduite, on retrouve ce qui se fait de mieux aujourd’hui, grâce notamment à la présence d’une centrale inertielle à 6 axes qui inclut l’angle de la moto dans ses degrés d’intervention: système de contrôle de traction amélioré (C-TCS), contrôle de levée de la roue avant (FLM), contrôle du couple résiduel en virage (C-DSCS), aide au démarrage en côte qui bloque momentanément les freins (HHC), contrôle de pression des pneus (TPMS) et, petite innovation, la hauteur de conduite adaptative. Disponible en option, L’ARH (Adaptative Ride Height, 660 €) fait passer la moto d’une position basse à l’arrêt (830 mm) à une position plus haute une fois qu’elle roule (855 mm). Cela facilite l’accès à la selle et permet aux petits gabarits d’envisager plus sereinement l’achat d’un trail. À noter que ce système peut être réglé sur plusieurs configurations: automatique, délai d’abaissement court ou long et, enfin, position verrouillée. Pour terminer le tour du proprio, énonçons les quelques éléments de pointe restants, à l’image de l’écran TFT couleur tactile (6,8 pouces) et inclinable, de la connectivité Bluetooth, de l’application pour smartphone qui permet l’affichage d’une carte GPS au tableau de bord et de l’éclairage adaptatif. Ou encore les nombreux petits plus montés de série sur cette version Spécial: régulateur de vitesse, poignées chauffantes, protège-main, amortisseur de direction, pare-brise ajustable sur quatre positions, béquille centrale, sabot en aluminium et la pédale de frein ajustable, bien pratique quand il s’agit de virer les caoutchoucs des repose-pieds et se lancer dans les chemins. Alors, vous trouvez toujours ça trop cher?
A NEW HARLEY IS BORN
Courroie, culbuteur, refroidissement par air, chromes à gogo… Voici des termes que l’on attribue habituellement aux Harley, mais qui n’ont plus lieu d’être
lorsqu’on aborde le cas de la Pan America. La marque américaine débarque sur le créneau du trail routier en usant des mêmes armes que la concurrence, après avoir réalisé un gros travail d’enquête clients visant à faire ressortir les points essentiels attendus sur ce type de motos. « De la facilité, du couple, une technologie moderne et surtout, ne pas dénaturer le V-twin, voici les principales remarques qui nous sont remontées, souligne Christophe Couet. Nous avons ajouté le design, qui devait sortir des sentiers battus. » Ça, pour sortir des sentiers battus, difficile de faire mieux! Ou pire, selon les goûts de chacun. On vous laisse juge. Néanmoins, il faut reconnaître à Harley-davidson le mérite de n’avoir pompé sur aucun de ses petits camarades au moment de dessiner cette 1250. Affublée de cette barre horizontale qui accueille une trentaine de leds, cette imposante face avant cubique est bien loin des becs de canard des rivales. Et c’est tant mieux, un peu d’originalité ne nuit pas. Et puis, une fois passé l’effet de surprise quand
on voit la moto pour la première fois, on s’y fait finalement assez rapidement. D’autant que le reste de la machine n’est pas spécialement extravagant. Les commodos accueillent de nombreux boutons, mais ces derniers sont tous noirs et bien ordonnés. De même, le tableau de bord est sur fond noir lui aussi. C’est classe, certes, mais pas forcément très lisible. Certaines infos comme l’heure, les trips kilométriques, les températures moteur ou extérieure, et même l’indicateur de rapport engagé, ne sont pas écrits en très gros. En roulant, il faut se concentrer dessus et on peut difficilement les lire d’un simple coup d’oeil, dommage. Contact, notre machine d’essai équipée de L’ARH se baisse gentiment. Lorsqu’on est assis dessus, ça surprend. Et quand on est petit, il faut prendre le réflexe d’allumer la moto avant de grimper à son guidon, sinon ça ne sert à rien. Une pression sur le démarreur et le bicylindre en V s’ébroue dans un sympathique bruit métallique. Le volume sonore est dans la moyenne, y compris si l’on opte pour l’échappement Screamin’ Eagle proposé en accessoire. Un ajustement des leviers d’embrayage et de frein pour les mettre à portée de mes petits doigts, un coup sur le sélecteur pour enclencher la première, et c’est parti. D’emblée, la position de conduite accueillante rassure
sur la possibilité d’enquiller les heures de selle aux commandes de la Pan America. Le réservoir est assez long, l’avant de la moto plutôt loin, mais le large guidon qui remonte parfaitement vers le pilote offre aux bras une position très relax. Même chose pour les jambes, où la hauteur de selle réglable permet aux plus grands d’avoir les genoux plus détendus. Le dos est droit, le buste placé dans l’axe des pieds, les fesses reposent sur une selle bien dessinée et confortable. La Harley a respecté les codes du genre et, si son pilote est déjà habitué aux maxi trails, il ne sera en rien dépaysé. Un excellent point, tant le confort contribue sans aucun doute au succès de ce segment.
VENTOUX
Partant d’avignon, notre terrain de jeu promet d’être alléchant. On commence par quelques dizaines de kilomètres de voies rapides pour rejoindre
Carpentras. Parfait pour prendre la mesure de l’américaine et juger de ses prestations sur autoroute. À 130 km/h, le twin tourne à un peu moins de 5000 tours et envoie toutefois une bonne dose de vibrations, surtout dans les pieds. Malgré deux arbres d’équilibrage, l’un dans le carter, l’autre dans la culasse avant, le bloc de 1252 cm3 n’est pas avare en battements aux mi-régimes. Ça doit être le côté Harley, sans doute. Les amateurs apprécieront, les autres pourront trouver ça un poil pénible à la longue. J’essaie tant bien que mal de monter la bulle dans sa position la plus haute. Côté mécanisme, un manche muni d’une gâchette qui entraîne une sorte de roue crantée, on a déjà fait mieux, plus simple et facile d’utilisation. Côté protection aussi car, même lorsque le pare-brise est relevé au maximum, on sent toujours la pression de l’air au niveau du casque et des épaules. En revanche, peu de remous aérodynamiques devant et derrière le pilote. Face à des trails voyageurs comme la reine GS ou l’outsider Multistrada V4, la Pan America risque de manquer d’atouts sur le registre du tourisme au long cours. Rassurez-vous, dès qu’on quitte la double voie pour se diriger vers les tortueux abords du Ventoux, la Harley-davidson revient rapidement dans la danse. En premier lieu, par une partie-cycle qui ne manque pas d’agilité. Sur les premiers enchaînements de virage, le temps de prendre en main l’engin et de saisir le comportement des pneus, on a d’abord l’impression que la moto engage sur les premiers degrés d’angle avant de résister un peu. Puis, au fil du temps, on s’acclimate et tout devient d’une fluidité naturelle et agréable. Dans son comportement dynamique, la Pan n’est pas sans rappeler la Suzuki V-strom 1050. Et ça, croyez-le, c’est un sacré compliment! Même réglées sur le mode Route, les suspensions distillent une certaine fermeté qui jugule les mouvements de cheval à bascule lors des freinages et des accélérations. Cela a pour conséquence d’offrir une assiette plutôt stable, ce qui permet d’attaquer les courbes autant que les épingles serrées avec une sérénité totale, mais dégrade logiquement le confort général. Être juché sur la Pan America ne donne pas spécialement l’impression d’être avachi dans un canapé qui survolerait la route. Bien au contraire. Et c’est tant mieux, dans un sens, car
pour s’occuper des 150 chevaux du twin, mieux vaut ne pas somnoler.
PÊCHU
Du couple, il y en a suffisamment pour enrouler tranquillement, juste en surfant sur la force tranquille des bas-régimes et en enquillant les enfilades un rapport au-dessous. Même si, en termes de rondeur et d’onctuosité, certaines concurrentes font mieux. En revanche, à l’orée des 5000 tr/mn, on ne s’attendait pas à trouver un tel caractère. Les ingénieurs Harley savent faire d’énormes twins culbutés qui dépotent, pour peu qu’on laisse leurs échappements respirer un peu. Mais je peux vous dire qu’ils sont loin d’être des manches quand il s’agit de pondre un bicylindre liquide moderne à soupapes. Passé les mi-régimes, la Pan America hausse clairement le ton et dévoile un visage étonnamment sportif. Elle ne sera certainement pas la meilleure pour vous emmener voyager en se faisant discrète, à l’image d’une Kawasaki Versys 1000 par exemple,
mais question sensations et plaisir de conduite, elle se pose là! Avec l’américaine, à aucun moment vous ne pouvez oublier que vous êtes en train de faire de la moto. Surtout quand vous asticotez son moteur et qu’il vous répond constamment avec impertinence. Un passage en mode Sport, et le degré d’insolence grimpe encore. Si sur certaines machines modernes, il est parfois délicat de faire la différence entre telle ou telle cartographie, ce n’est pas le cas de la Pan. Là, les premiers millimètres de rotation de la poignée ont instantanément une incidence sur le comportement de l’américaine, qui bondit en avant avec avidité. Ils font du rodéo près de Milwaukee, ou quoi ? Rassurez-vous, la Harley est bien plus stable qu’un mustang dont on aurait sanglé les bollocks et, quand le rythme s’accélère, le châssis demeure impérial. 18290 € pour un maxi-trail dynamiquement au top et qui, en prime, vous file la banane, vous trouvez ça toujours trop cher?