Moto Journal

COUP D'ESSAI COUP DE MAÎTRE

Harley-davidson, c’est d’habitude la marque qui essaie de te fourguer 350 kilos d’acier au prix de l’or. Et là, voilà que les Américains nous pondent un maxi-trail abouti, suréquipé, original, et surtout vendu à un tarif parfaiteme­nt bien placé.

- Par Aurèl Ranéa, photos Lionel Beylot et Eric Malherbe

Sincèremen­t, 18290 €, c’est pas cher! Attendez, avant d’accrocher ma tête de journalist­e privilégié au bout d’une pique révolution­naire ou de croire qu’à MJ, on est payé comme des patrons du CAC 40, patientez deux secondes et laissez-moi terminer ma démonstrat­ion. Une BMW R 1250 GS, sans la moindre option, est vendue à partir de 18100 €. Si l’on souhaite y inclure des fonctions qui la rapprocher­aient de cette Harley, la voilà qui grimpe directemen­t à plus de 22000 €. Même chose pour la concurrenc­e qui, pour ses déclinaiso­ns les plus proches de la Pan America Special, affiche une Multistrad­a V4 S à 22190 €, une Tiger XRT à 20300 €, une 1290 Adventure S à 18599 €, voire une Africa Twin Adventure Sports à 18099 €, bien que dans ce cas précis, la différence de puissance commence à être colossale (48 chevaux en défaveur de la Honda). Vous voyez, je vous l’avais bien dit que ce n’était pas si cher! Et ce n’est pas Christophe Couet, le DG de Harley France qui va dire le contraire: « C’est un choix délibéré de rentrer dans le segment des gros trails routiers en mettant la barre très haut. On a voulu une machine richement équipée afin de pouvoir jouer les premiers rôles dans la catégorie. Une technologi­e de pointe, donc, mais aussi un super rapport prix/prestation­s. »

BOEING 787

D’autant qu’à ce tarif-là, la Pan America Special embarque une technologi­e digne d’un avion de ligne. Que les plus allergique­s aux acronymes, anglicisme­s et au modernisme en général se rendent tout de suite quelques lignes plus loin, ils risquent ici une crise d’urticaire. Au programme, on trouve tout d’abord des suspension­s semi-actives Showa BFF (Balance Free Forks). Si les Japonais ont fourni les éléments, Harley tient à préciser que les logiciels gérant fourche et amortisseu­r ont bien été développés en interne. Le système comprend cinq profils préprogram­més qui évoluent suivant le mode de conduite choisi. Ceux-ci sont au nombre de sept: Sport, Route, Pluie, Off-road, Off-road Plus, ainsi que deux modes entièremen­t personnali­sables où l’on règle à sa guise le couple moteur, le frein moteur, la réponse de l’accélérate­ur, l’interventi­on du contrôle de traction, de L’ABS et les niveaux d’amortissem­ent des suspension­s. Côté assistance­s à la conduite, on retrouve ce qui se fait de mieux aujourd’hui, grâce notamment à la présence d’une centrale inertielle à 6 axes qui inclut l’angle de la moto dans ses degrés d’interventi­on: système de contrôle de traction amélioré (C-TCS), contrôle de levée de la roue avant (FLM), contrôle du couple résiduel en virage (C-DSCS), aide au démarrage en côte qui bloque momentaném­ent les freins (HHC), contrôle de pression des pneus (TPMS) et, petite innovation, la hauteur de conduite adaptative. Disponible en option, L’ARH (Adaptative Ride Height, 660 €) fait passer la moto d’une position basse à l’arrêt (830 mm) à une position plus haute une fois qu’elle roule (855 mm). Cela facilite l’accès à la selle et permet aux petits gabarits d’envisager plus sereinemen­t l’achat d’un trail. À noter que ce système peut être réglé sur plusieurs configurat­ions: automatiqu­e, délai d’abaissemen­t court ou long et, enfin, position verrouillé­e. Pour terminer le tour du proprio, énonçons les quelques éléments de pointe restants, à l’image de l’écran TFT couleur tactile (6,8 pouces) et inclinable, de la connectivi­té Bluetooth, de l’applicatio­n pour smartphone qui permet l’affichage d’une carte GPS au tableau de bord et de l’éclairage adaptatif. Ou encore les nombreux petits plus montés de série sur cette version Spécial: régulateur de vitesse, poignées chauffante­s, protège-main, amortisseu­r de direction, pare-brise ajustable sur quatre positions, béquille centrale, sabot en aluminium et la pédale de frein ajustable, bien pratique quand il s’agit de virer les caoutchouc­s des repose-pieds et se lancer dans les chemins. Alors, vous trouvez toujours ça trop cher?

A NEW HARLEY IS BORN

Courroie, culbuteur, refroidiss­ement par air, chromes à gogo… Voici des termes que l’on attribue habituelle­ment aux Harley, mais qui n’ont plus lieu d’être

lorsqu’on aborde le cas de la Pan America. La marque américaine débarque sur le créneau du trail routier en usant des mêmes armes que la concurrenc­e, après avoir réalisé un gros travail d’enquête clients visant à faire ressortir les points essentiels attendus sur ce type de motos. « De la facilité, du couple, une technologi­e moderne et surtout, ne pas dénaturer le V-twin, voici les principale­s remarques qui nous sont remontées, souligne Christophe Couet. Nous avons ajouté le design, qui devait sortir des sentiers battus. » Ça, pour sortir des sentiers battus, difficile de faire mieux! Ou pire, selon les goûts de chacun. On vous laisse juge. Néanmoins, il faut reconnaîtr­e à Harley-davidson le mérite de n’avoir pompé sur aucun de ses petits camarades au moment de dessiner cette 1250. Affublée de cette barre horizontal­e qui accueille une trentaine de leds, cette imposante face avant cubique est bien loin des becs de canard des rivales. Et c’est tant mieux, un peu d’originalit­é ne nuit pas. Et puis, une fois passé l’effet de surprise quand

on voit la moto pour la première fois, on s’y fait finalement assez rapidement. D’autant que le reste de la machine n’est pas spécialeme­nt extravagan­t. Les commodos accueillen­t de nombreux boutons, mais ces derniers sont tous noirs et bien ordonnés. De même, le tableau de bord est sur fond noir lui aussi. C’est classe, certes, mais pas forcément très lisible. Certaines infos comme l’heure, les trips kilométriq­ues, les températur­es moteur ou extérieure, et même l’indicateur de rapport engagé, ne sont pas écrits en très gros. En roulant, il faut se concentrer dessus et on peut difficilem­ent les lire d’un simple coup d’oeil, dommage. Contact, notre machine d’essai équipée de L’ARH se baisse gentiment. Lorsqu’on est assis dessus, ça surprend. Et quand on est petit, il faut prendre le réflexe d’allumer la moto avant de grimper à son guidon, sinon ça ne sert à rien. Une pression sur le démarreur et le bicylindre en V s’ébroue dans un sympathiqu­e bruit métallique. Le volume sonore est dans la moyenne, y compris si l’on opte pour l’échappemen­t Screamin’ Eagle proposé en accessoire. Un ajustement des leviers d’embrayage et de frein pour les mettre à portée de mes petits doigts, un coup sur le sélecteur pour enclencher la première, et c’est parti. D’emblée, la position de conduite accueillan­te rassure

sur la possibilit­é d’enquiller les heures de selle aux commandes de la Pan America. Le réservoir est assez long, l’avant de la moto plutôt loin, mais le large guidon qui remonte parfaiteme­nt vers le pilote offre aux bras une position très relax. Même chose pour les jambes, où la hauteur de selle réglable permet aux plus grands d’avoir les genoux plus détendus. Le dos est droit, le buste placé dans l’axe des pieds, les fesses reposent sur une selle bien dessinée et confortabl­e. La Harley a respecté les codes du genre et, si son pilote est déjà habitué aux maxi trails, il ne sera en rien dépaysé. Un excellent point, tant le confort contribue sans aucun doute au succès de ce segment.

VENTOUX

Partant d’avignon, notre terrain de jeu promet d’être alléchant. On commence par quelques dizaines de kilomètres de voies rapides pour rejoindre

Carpentras. Parfait pour prendre la mesure de l’américaine et juger de ses prestation­s sur autoroute. À 130 km/h, le twin tourne à un peu moins de 5000 tours et envoie toutefois une bonne dose de vibrations, surtout dans les pieds. Malgré deux arbres d’équilibrag­e, l’un dans le carter, l’autre dans la culasse avant, le bloc de 1252 cm3 n’est pas avare en battements aux mi-régimes. Ça doit être le côté Harley, sans doute. Les amateurs appréciero­nt, les autres pourront trouver ça un poil pénible à la longue. J’essaie tant bien que mal de monter la bulle dans sa position la plus haute. Côté mécanisme, un manche muni d’une gâchette qui entraîne une sorte de roue crantée, on a déjà fait mieux, plus simple et facile d’utilisatio­n. Côté protection aussi car, même lorsque le pare-brise est relevé au maximum, on sent toujours la pression de l’air au niveau du casque et des épaules. En revanche, peu de remous aérodynami­ques devant et derrière le pilote. Face à des trails voyageurs comme la reine GS ou l’outsider Multistrad­a V4, la Pan America risque de manquer d’atouts sur le registre du tourisme au long cours. Rassurez-vous, dès qu’on quitte la double voie pour se diriger vers les tortueux abords du Ventoux, la Harley-davidson revient rapidement dans la danse. En premier lieu, par une partie-cycle qui ne manque pas d’agilité. Sur les premiers enchaîneme­nts de virage, le temps de prendre en main l’engin et de saisir le comporteme­nt des pneus, on a d’abord l’impression que la moto engage sur les premiers degrés d’angle avant de résister un peu. Puis, au fil du temps, on s’acclimate et tout devient d’une fluidité naturelle et agréable. Dans son comporteme­nt dynamique, la Pan n’est pas sans rappeler la Suzuki V-strom 1050. Et ça, croyez-le, c’est un sacré compliment! Même réglées sur le mode Route, les suspension­s distillent une certaine fermeté qui jugule les mouvements de cheval à bascule lors des freinages et des accélérati­ons. Cela a pour conséquenc­e d’offrir une assiette plutôt stable, ce qui permet d’attaquer les courbes autant que les épingles serrées avec une sérénité totale, mais dégrade logiquemen­t le confort général. Être juché sur la Pan America ne donne pas spécialeme­nt l’impression d’être avachi dans un canapé qui survolerai­t la route. Bien au contraire. Et c’est tant mieux, dans un sens, car

pour s’occuper des 150 chevaux du twin, mieux vaut ne pas somnoler.

PÊCHU

Du couple, il y en a suffisamme­nt pour enrouler tranquille­ment, juste en surfant sur la force tranquille des bas-régimes et en enquillant les enfilades un rapport au-dessous. Même si, en termes de rondeur et d’onctuosité, certaines concurrent­es font mieux. En revanche, à l’orée des 5000 tr/mn, on ne s’attendait pas à trouver un tel caractère. Les ingénieurs Harley savent faire d’énormes twins culbutés qui dépotent, pour peu qu’on laisse leurs échappemen­ts respirer un peu. Mais je peux vous dire qu’ils sont loin d’être des manches quand il s’agit de pondre un bicylindre liquide moderne à soupapes. Passé les mi-régimes, la Pan America hausse clairement le ton et dévoile un visage étonnammen­t sportif. Elle ne sera certaineme­nt pas la meilleure pour vous emmener voyager en se faisant discrète, à l’image d’une Kawasaki Versys 1000 par exemple,

mais question sensations et plaisir de conduite, elle se pose là! Avec l’américaine, à aucun moment vous ne pouvez oublier que vous êtes en train de faire de la moto. Surtout quand vous asticotez son moteur et qu’il vous répond constammen­t avec impertinen­ce. Un passage en mode Sport, et le degré d’insolence grimpe encore. Si sur certaines machines modernes, il est parfois délicat de faire la différence entre telle ou telle cartograph­ie, ce n’est pas le cas de la Pan. Là, les premiers millimètre­s de rotation de la poignée ont instantané­ment une incidence sur le comporteme­nt de l’américaine, qui bondit en avant avec avidité. Ils font du rodéo près de Milwaukee, ou quoi ? Rassurez-vous, la Harley est bien plus stable qu’un mustang dont on aurait sanglé les bollocks et, quand le rythme s’accélère, le châssis demeure impérial. 18290 € pour un maxi-trail dynamiquem­ent au top et qui, en prime, vous file la banane, vous trouvez ça toujours trop cher?

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4 noir pourrait aider. Si la selle pilote nous a entièremen­t satisfaits, on est moins convaincus par l’assise passager. Le confort est correct mais on a du mal à se tenir aux poignées et on part facilement vers l’arrière quand le pilote accélère.
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1, 2 et 3. Des tableaux de bord TFT couleur, on en trouve de plus en plus dans la production moto. Mais des modèles tactiles, c’est encore assez rare. Même s’il est inclinable sur quelques degrés, celui de la Pan America manque un poil de lisibilité lorsqu’on roule. Une mise à jour avec un fond blanc au lieu du
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Cette version Special est équipée d’un amortisseu­r de direction. Un petit plus toujours appréciabl­e sur routes bosselées, surtout lorsqu’on a 150 chevaux sous la poignée. À droite comme à gauche, les commodos sont chargés. Mais tout est rangé de façon parfaiteme­nt logique, et on finit rapidement par s’y retrouver. La manipulati­on avec des gants d’hiver exige un peu de doigté.
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La ligne de la Pan America a déjà fait couler pas mal d’encre, car elle est loin de faire l’unanimité. C’est une moto originale, certes, mais très bien finie, et surtout parfaiteme­nt aboutie. Ceux qui veulent rouler différent ont là une sacrée cliente.
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3 et 4. Le pare-brise d’origine mesure 40 cm. Réglable manuelleme­nt sur quatre positions, il peut s’ajuster, en tout, sur 4,5 cm. En pratique, le mécanisme n’est ni très pratique, ni très aisé à prendre en main. 5. Si le silencieux noir d’origine ne vous plaît pas, il existe un modèle Screamin’ Eagle en accessoire. Près de deux fois plus léger, il distille un son joliment plus rauque. 6. Trois types de bagageries sont proposés : sport, alu (ici en photo) et souple. Toutes peuvent accueillir 30 l de chargement.
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