GRAND PRIX D’ESPAGNE
Marquez peut-il être champion cette année ?
Pendant que Jack Miller remportait un GP d’espagne longtemps promis à Fabio Quartararo, Marc Marquez se contentait de la neuvième place, après avoir dû passer une tête à l’hôpital la veille. Neuf mois après sa blessure, l’espagnol peut-il vraiment jouer le titre cette année ? Moto Journal a observé à la loupe le week-end de l’octuple champion du monde.
Samedi 1er mai, Jerez. Alors que la lumière matinale commence à inonder les collines entourant le tracé andalou, un large nuage de fumée s’échappe des graviers du virage sept. Quand la poussière commence à se dissiper, on aperçoit Marc Marquez, à terre, qui tente de reprendre ses esprits, visiblement sonné. À côté de lui, sa machine, entourée de nombreux débris, prend pratiquement l’apparence d’un cube, façon pièce de Lego. Dans le stand Honda Repsol, Santi Hernandez, le chef-mécanicien de l’espagnol, scrute, avec une certaine inquiétude, les images diffusées en direct sur l’écran de télé placé juste en face de lui. Inutile de dire que dans l’entourage du Catalan, on respire difficilement, et pas seulement à cause du masque FFP2 qui habille le visage de chacun des membres de son équipe. Quelques secondes plus tard, leur protégé est sur ses pieds, bien qu’un brin brinquebalant quand même. Son cuir est passablement râpé. On pense alors à l’état de cet humérus droit, opéré déjà à trois reprises et qui lui pourrit la vie depuis maintenant neuf mois. À le voir bouger et rassurer le personnel médical qui vient rapidement à sa rencontre pour prendre de ses nouvelles, les signaux repassent au vert. À l’intérieur du stand, on souffle... L’inquiétude grandit cependant à nouveau, peu de temps après. Car s’il se sentait bien après avoir été examiné au centre médical du circuit, il commence à tomber légèrement dans les vapes, juste après avoir posé les pieds à l’intérieur du camion qui lui sert de maison sur les circuits. « Je ne savais plus vraiment où j’étais, confie-t-il. Je perdais un peu la tête, en fait. J’ai donc appelé les docteurs pour leur dire
Sans faire de bruit, Bagnaia est aujourd’hui leader du championnat. Va-t-il poursuivre sur sa lancée ?
ce que je ressentais et nous sommes allés à l’hôpital pour vérifier tout ça. » Dès son arrivée, il passe un scanner. Une radio de contrôle au niveau de son humérus droit est également effectuée, même s’il ne ressent aucune douleur. Les résultats sont bons. « Et puis, au niveau de mon bras, pour être bien clair, si je suis là et que je pilote, c’est que les docteurs m’ont dit que, en cas de choc, j’ai la même chance de me casser aussi bien le bras droit que le bras gauche, clarifie Marquez. Mon os, cet humérus, est parfaitement rétabli aujourd’hui. » S’il n’a pas tenté le diable en qualification quelques heures plus tard en allant chercher finalement le quatorzième temps, Marquez a quand même pu enchaîner, à Jerez, un deuxième Grand Prix d’affilée après celui de Portimao, quinze jours plus tôt. Et les résultats commencent indéniablement à apparaître. Car si, sur le papier, la neuvième place obtenue en Andalousie pourrait être considérée comme décevante par rapport à sa prestation au Portugal, c’est en vérité le contraire, puisqu’il termine à seulement dix secondes du vainqueur, Jack Miller. À Jerez, Marquez a passé un cap important dans sa rééducation et sur la route qui doit l’amener, d’ici quelques semaines, à progresser encore dans la hiérarchie et à retrouver la place qui était la sienne avant sa chute, il y a neuf mois.
CETTE RCV DOIT (RE)DEVENIR LA SIENNE
Contrairement au Grand Prix précédent, où il avait dû tout d’abord reprendre simplement ses marques sur une Motogp, il a profité de ce passage en Espagne pour commencer à travailler un peu plus sur les détails, notamment sur les réglages de sa RCV. « Déjà, au niveau de mon physique, j’ai souffert, oui, mais moins qu’à Portimao. Mais, surtout, ici, à Jerez, j’ai commencé à sentir où nous devons travailler sur la moto. Par rapport à la saison dernière, je roule avec des réglages vraiment différents, le châssis n’est pas le même non plus. Bien sûr, je sens des points intéressants avec ce châssis et ces réglages, mais il me manque encore
« Je suis malchanceux, à cause des contrats, à cause du Covid... J’ai parlé de tout ça à Lin Jarvis. Il comprend » Franco Morbidelli à propos de sa situation avec la M1 2019
« C’est dur de se sentir comme ça à 28 ans mais je sais que tout cela sera bientôt de l’histoire ancienne » Marc Marquez, pilote réaliste qui songe à affiner ses réglages
beaucoup de choses pour bien faire tourner la moto et jouer avec le pneu arrière. C’est quelque chose que nous devons comprendre car, normalement, c’est un de mes points forts et là, je ne peux pas l’utiliser. C’est là où nous devons travailler en priorité. » À Jerez, la RCV a en effet été loin d’être à la fête, avec de nombreuses chutes, à l’image de celle du frangin Alex en course. Pol Espargaro, qui apparaissait passablement énervé à l’arrivée du Grand Prix, a quant à lui connu une nouvelle course compliquée, avec une dixième place. Finalement, seul Takaaki Nakagami, qui avait, à l’occasion de ce GP d’espagne, décidé de rouler avec la dernière évolution du châssis de la saison dernière, laissant au placard, au moins le temps d’un week-end, le modèle 2021, a pu sortir un peu du lot, en terminant quatrième. Bien qu’encore convalescent, Marquez a pourtant une bonne idée de là où se situent les carences actuelles de la RCV. « Là où on perd le plus, c’est entre le milieu et la sortie du virage, confirme-t-il. Nous devons comprendre pourquoi. C’est vrai que nous perdons beaucoup de temps sur certains points et que nous ne sommes pas dans la meilleure des situations. Mais Honda travaille dur et apporte beaucoup de nouvelles pièces. Avec ma condition physique qui s’améliore, je vais aussi pouvoir commencer à essayer des choses... Car désormais je pilote exactement comme je le souhaite, mais il faut encore que je trouve la bonne
mayonnaise au niveau de mes réglages. » Marquez avait de toute façon prévenu. Il savait, quand il reviendrait, qu’il ne pourrait pas jouer la victoire directement. Et aujourd’hui, même si son humérus va mieux, il doit continuer à affiner son physique. À Jerez, après la course, comme pour appuyer ses dires, il avait le cou bloqué. Il se plaignait aussi de certains autres muscles le tirant un peu, notamment dans le dos. Devant la tablette où il exprime, chaque soir, son ressenti et ses avis devant les journalistes, il est ainsi resté, après la course, quelques secondes les yeux fermés, les mains autour de son cou, à essayer de se détendre. Entre Portimao et Jerez, il n’a pas beaucoup pu s’entraîner, avec juste quelques sorties à vélo et à la salle à se mettre sous la dent. « Mon corps me demandait simplement un peu de repos, confiait-il en arrivant en Andalousie. Je continue aussi à prendre des antibiotiques. C’est vrai que c’est dur de se sentir comme ça à 28 ans, mais je sais que tout cela sera bientôt de l’histoire ancienne. Avec l’arrêt des antibiotiques, tout sera notamment plus facile. »
ÊTRE CHAMPION CETTE ANNÉE ? DIFFICILE !
Et puis, les Motogp n’ont peut-être jamais aussi été physiques que cette année, surtout avec la présence des ailerons, mais aussi le système permettant d’abaisser l’arrière des machines qui permet de sortir du virage comme une balle. Zarco, huitième
à Jerez, donne un aperçu de l’ampleur de la tâche. « Oui, on accélère plus fort, mais, avec l’aéro, on freine plus fort aussi, explique Johann. Je le vois personnellement. Si je n’avais pas gagné en force pure, à un moment, j’aurais été limité. » Marquez, lui, n’a pas roulé pendant neuf mois et ne peut pas, encore aujourd’hui, s’entraîner comme il le souhaite, même si une nouvelle réunion avec ses médecins était prévue après Jerez pour étudier la possibilité d’augmenter légèrement sa dose d’entraînement. Voilà donc tous les facteurs auxquels Marquez doit faire face. Ils sont nombreux. Mais cela peut-il l’empêcher réellement de jouer le titre cette année ? Pour sa part, quand on lui pose la question, il avoue ne même pas penser à ça, préférant se concentrer sur sa rééducation et ses sensations, en avançant étape par étape. Il compte aussi deux résultats blancs, après avoir fait l’impasse sur les deux manches au Qatar. Mais cela n’a rien d’insurmontable non plus quand on regarde son palmarès. La grille Motogp, aujourd’hui, est cependant ultra-compétitive. Depuis le début de la saison, les écarts entre les concurrents et les constructeurs sont infimes. Cela s’annonce donc tout de même difficile, même si, avec lui, on ne peut jamais dire que c’est totalement impossible. D’ailleurs, parmi les personnes que Moto Journal a interrogées, beaucoup pensent que, cette année, le challenge sera trop raide pour
« Nous sommes encore loin de là où nous voulons être. » Miguel Oliveira, 17e du championnat après Jerez
Marquez. Nous avons notamment parlé avec Régis Laconi, vainqueur d’un GP 500, en 1999. Il nous dit : « Pour moi, pour cette année, ça me paraît quand même très compliqué. La concurrence est tout de même énorme cette saison. Et, pendant son absence, il n’a pas pu développer la moto, Honda n’a pas pu s’appuyer non plus sur ses commentaires pour l’améliorer... L’adversité sur la grille et la moto sont, pour moi, les deux facteurs qui risquent de l’empêcher de jouer le titre cette année. Après, pour le physique, la concentration, la psychologie, il va retrouver facilement ses automatismes, c’est certain. » La prochaine grosse étape pour Marquez, désormais, va donc être de renouer avec la victoire. Car aujourd’hui, même si on ne sait pas quand elle interviendra, on sait, de manière quasiment certaine qu’elle arrivera, un jour ou l’autre. Il sera ensuite temps de penser au titre. Chaque chose en son temps... Prochain Grand Prix au Mans le 16 mai