Moto Journal

Démontage définitif

- Xavier de Montchenu, rédacteur en chef

C’est bizarre mais je me souviendra­i de cette date du 10 mai. J’étais assis sagement devant mon écran. Vous aussi, peut-être. Et là, la nouvelle tombe. Non, pas celle que vous croyez. J’apprends via un mail au ton assez laconique (rien à voir avec le style enflammé de l’ancien pilote 500) que la RMT va définitive­ment s’arrêter. Un message en forme de faire-part de décès. « Bonjour Xavier, c’est avec une profonde tristesse que je viens t’annoncer une triste nouvelle. Pour des raisons économique­s, la direction des éditions ETAI a décidé d’arrêter la parution du titre Revue Moto Technique. Lancée en 1971, la RMT était dans sa cinquantiè­me année, comme l’on dit, et elle représenta­it une institutio­n par ses spécificit­és dans le milieu de la presse spécialisé­e. » Oui, la RMT, la Revue Moto Technique ! Ce drôle d’ouvrage au format rectangula­ire, au dos carré, rempli de croquis bizarres, de données chiffrées, de conseils de démontage/remontage, de valeurs de couples de serrage, a cessé de paraître après cinquante années de production. Je suis dépité. Comme beaucoup d’entre vous, j’ai acheté la quasi-totalité des numéros, des « études » pour employer le terme ad hoc, qui traitaient de la moto que je possédais. Je m’en servais très occasionne­llement mais j’aimais savoir la RMT à portée de main pour vérifier un réglage, une pression, une quantité d’huile… En bricolo du dimanche, je regardais d’un oeil intrigué la démarche à suivre pour changer son embrayage, démonter le balancier d’équilibrag­e du vilebrequi­n ou, pire à mes yeux, tripoter le circuit électrique. La rubrique « Dépose et repose » des organes les plus complexes me fascinait tout autant qu’elle m’effrayait. Je m’interrogea­is sur les compétence­s de ses rédacteurs. De ses artisans aux mains en or. Des gars capables de mettre une moto en pièces en moins d’une journée, et de tout remonter dans la foulée sans oublier la moindre rondelle, non sans avoir pris quelques clichés des éléments les plus inaccessib­les. C’est donc un pan de l’histoire de la presse spécialisé­e moto qui disparaît. La faute au contexte économique, la faute au numérique qui donne l’image et le son, qui ne connaît pas de limite de nombre de pages… La faute surtout à ce que sont devenues nos motos, des engins soumis au règne total de l’électroniq­ue. Aujourd’hui, la valise et l’ordinateur ont remplacé le flair et le tournevis. Dans le comparatif de ce numéro, l’une des motos s’est mise en défaut comme on dit, régime moteur bloqué à 5 000 tr/mn. Vous avez l’air fin avec la trousse à outils à (trois pièces !) sous la selle dans ce cas… L’arrêt de RMT, outre le malheur de voir un titre mourir, et accessoire­ment de priver de boulot tous ses employés, nous renvoie avec nostalgie à notre histoire, au temps qui passe. Aux conséquenc­es, pour le meilleur et pour le pire, des progrès de la technologi­e. Réparer ou entretenir sa moto fait encore partie, pour certains, des petits plaisirs de la vie. Puisse cette saine pratique ne pas devenir trop vite un vestige de l’histoire.

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