Kawasaki H2 SE
La Z H2 est probablement la moto la plus sauvage et sensationnelle de la production. La nouvelle version SE lui apporte plus de sophistication, avec des suspensions électroniques, un freinage amélioré et un coloris spécifique. Rassurez-vous, sur le fond, ça ne change rien !
Chez Kawasaki, SE, ça veut dire Special Edition. Mais pour les modèles haut de gamme de la marque, ça veut aussi souvent dire: Suspension Électronique. Des Showa en l’occurrence, avec un système semi-actif appelé EERA (pour Electronically Equipped Ride Adjustment) par l’équipementier, et que Kawasaki rebaptise sur ses modèles KECS (pour Kawasaki Electronic Control Suspension). Voilà pour la terminologie de ce système de suspensions dont le principe est d’offrir des réglages électroniques de l’hydraulique en temps réel en fonction des conditions de roulage. Les ZX-10 SE, Versys 1000 SE, H2 SX SE sont déjà passées par là. C’est aujourd’hui au tour de la Z H2 SE d’en profiter. Ces suspensions électroniques sont en effet la principale plus-value de cette Z H2 SE vendue tout de même 3250 € de plus que la Z H2 standard. La principale, mais pas la seule. Outre le coloris spécifique qui affirme un peu plus la moto, avec du vert étincelant qui ne se limite pas au seul cadre et à quelques lisérés, mais à des panneaux de carénage plus vastes, les selles spéciales bicolores et les fourreaux de fourche dorés, la Z H2 SE paye aussi un nouveau système de freinage à l’avant. Les étriers radiaux à 4 pistons proviennent toujours de chez Brembo, mais on a désormais droit aux modèles Stylema qui représentent le top pour les motos de route. Ces étriers sont reliés à un maître-cylindre Brembo et non plus Nissin, via des durites tressées et non plus en caoutchouc.
UNE MOTO DE CON PRESSÉ
Est-ce que qu’on ressent tout ça au guidon? Pas tout de suite. Parce que tout de suite, quand on visse la poignée de gaz pour la première fois, on ne ressent plus grand-chose, ou à l’inverse trop de choses à la fois, je ne sais pas. On est perdu! Comme un petit lionceau pris dans le flot déchaîné d’un troupeau de gnous (cherchez pas, j’ai maté Le Roi Lion ce week-end). On écarquille juste les yeux, pris de stupeur devant la sauvagerie de la poussée, pris de surprise aussi par ce 4-cylindres qui semblait si sage, et pris d’angoisse par cette roue avant qui ne peut plus rien guider. Cette première baffe me rappelle vaguement un autre essai il y a environ un an. Mais quelle moto déjà? C’était tout pareil, les yeux exorbités, les gnous, la sauvagerie… ah si, c’était la Z H2! Donc voilà, en une accélération, je peux conclure que, sur le plan des émotions, cette nouvelle version SE n’ajoute rien et ne retranche rien à la Z H2. On soude pour se prendre une claque jusqu’à atteindre une vitesse aussi indécente pour votre permis que pour vos cervicales. On fait donc retomber la pression avec, mais pas longtemps parce que le compresseur semble sous tension. À partir de 6000 tr/mn, même sur un filet de gaz, on sent que le compresseur charge les cylindres, on l’entend
roucouler façon alien, et on sait qu’il n’attend qu’un signal de la main droite pour faire exploser sa rage. Alors on ne résiste pas et on le libère. Et comme prévu, la tension extrême accumulée est relâchée sans aucun temps mort. C’est reparti pour le rodéo! Cette moto, c’est toujours de la folie pure. Un truc pour les imbéciles qui ne pensent ni à la police ni à l’hôpital, et qui se contentent de souder. Les imbéciles heureux! Tout se joue à 6000 tr/mn. En dessous, le moteur fait penser à un gros quatrepattes de 1300 cm3. C’est souple, c’est rond, c’est gras, mais c’est gentil. On essore la poignée et, quel que soit le rapport engagé, ça repart avec la même bonne volonté et la même bienveillance. À se demander pourquoi elle a une boîte six, cette Kawa. La 6e reprend dès 40 km/h et emmène assez loin, alors deux rapports auraient suffi. Tout ça dans un feulement typique de gros quatre-pattes, feutré et assez rauque. Le seul truc qui cloche, c’est ce ralenti un peu instable qui engendre une sorte
de grognement. Ça sent le traquenard, mais on finit par l’oublier pour profiter d’un gros roadster, sinon facile, au moins civilisé. L’angle de braquage n’est pas génial, le poids est important et la largeur du réservoir n’en fait évidemment pas une moto-école. Mais les commandes souples permettent de prendre rapidement en main la moto (à l’exception d’un frein arrière qui réclame un peu trop de force avant de livrer sa puissance). D’autant que pour trouver ses marques, trois niveaux de puissance sont proposés (100 ch, 150 et 200) à travers quatre modes de conduite (Rain, Road, Sport et le mode Rider personnalisable).
MODES ET GROS TRAVAUX
La nouveauté, c’est que ces modes sont désormais couplés aux réglages de suspensions électroniques. Et en mode Rain, ces dernières adoptent la stratégie Skyhook qui se concentre sur le gommage des imperfections de la route
En dehors de la H2 R, le mteur trouve dans ce roadster son application la plus bestiale.
pour préserver avant tout le confort. Et ça fonctionne, avec une souplesse vraiment appréciable en balade très pépère sur mauvaise route, ou en ville sur chaussée pavée. Mais attention à ne pas s’endormir sur la poignée dans ces conditions car, même avec 100 ch seulement, le couple du quatre-pattes tord la moto dans tous les sens. Pour commencer à jouer, il faut donc raffermir les suspensions. Une pression longue sur la flèche du haut au commodo gauche, et nous voilà en mode Road. Les suspensions abandonnent la stratégie Skyhook et se concentrent sur la tenue de route, avec des réglages moyens, un contrôle de motricité au niveau d’intervention moyen et un niveau de puissance… moyen? Raté, le mode Road passe directos aux 200 bourrins! Du coup, alors que le compromis confort/ rigueur des suspensions Showa s’avère excellent quand on commence à enrouler sous les 6000 tr/mn, la moto est encore débordée (et moi avec) quand on dépasse ce seuil implacable. Nouvelle pression longue et on est en mode Sport. Cette fois, le contrôle de motricité est encore moins intrusif, et les suspensions semi-actives partent sur une base encore plus ferme. C’est mieux, et c’est le seul mode qu’il convient d’utiliser pour tenter d’exploiter la cavalerie complète. Mais ça ne transforme pas pour autant la Z H2 SE en scalpel capable de gagner un rallye routier. La moto reste incroyablement sauvage et exigeante. On est secoué par ce moteur extraordinaire qui déleste sans cesse la roue avant quelle que soit la vitesse, et même en ligne droite, il faut faire preuve d’une sacrée concentration pour ne pas se faire piéger par une micro-bosse ou un raccord. Alors, en sortie de courbe avec un peu d’angle, on est dans l’état d’esprit d’un astronaute sur le pas de tir. Serrage de fesses, prière à qui on veut et advienne que pourra! En pleine courbe, le poids important de la moto reste sensible, et à moins d’être l’imbécile heureux cité plus haut, on conserve toujours une certaine réserve avec cette Z H2 SE. À l’opposé, par exemple, d’une Ducati Streetfighter V4 qui vous pousse à rouler toujours un peu plus vite, à prendre toujours un peu plus d’angle et à rouvrir les gaz toujours un peu plus tôt, la Kawa ne fait pas dans l’efficace mais dans le grand spectacle. On salue quand même le nouveau système de freinage Brembo impeccable, tant dans la puissance phénoménale qu’il confère que dans son feeling et sa consistance. On ralentit presque par télépathie tant le levier répond au doigt et à l’oeil.
RÉGLAGES PERMANENTS
Difficile toutefois de rester en permanence sur ce mode Sport pour rouler au quotidien. Le confort pâtit en effet des réglages très fermes de la suspension. On peut alors paramétrer comme on le souhaite le quatrième et dernier mode baptisé Rider. Mais encore une fois, aucune solution miracle ne s’applique à ce monstre de moto. Pour encaisser toute la puissance, il faut du ferme. Pour un peu de confort, il ne faut pas lâcher tous les chevaux. Pour un usage quotidien, j’ai donc paramétré le mode Rider avec une puissance intermédiaire de 150 ch et des suspensions aux réglages de base moyens avec quelques clics en plus en détente à l’avant comme à l’arrière (on peut en effet tout régler avec ce mode Rider). Un bon compromis à mon goût, qui n’empêche pas de basculer très facilement sur les modes Rain ou Sport pour jouer aux anges ou aux démons. Dommage que le mode Rider et les détails de son paramétrage masquent des infos intéressantes comme le trip, affiché quand les autres modes sont sélectionnés. Au final, on passe beaucoup de temps à trifouiller tous ces modes électroniques pour tenter de mettre la Z H2 SE dans les meilleures conditions possible. Heureusement, passer d’un réglage à l’autre est un jeu d’enfant qui peut même avoir quelque chose de ludique. Mais d’un autre côté, ceux qui pensaient que des suspensions semi-actives s’adaptent automatiquement aux différentes situations quel que soit le mode sélectionné se trompent. Il faut accorder de façon grossière la moto aux conditions du moment (via les modes) pour que les suspensions s’adaptent ensuite en temps réel sans être (trop) débordées. Alors oui, ces suspensions offrent une polyvalence que ne permet pas la Z H2 standard. Mais l’électronique est loin de dompter la moto pour la transformer en couteau suisse qui passe partout et qui rattrape toutes les erreurs. Cette Z H2 SE reste un méchant dragster qui impose respect et méfiance.