Une nouvelle ère française
Le sport moto est en train de prendre une autre dimension dans l’hexagone. L’engouement autour des GP grimpe en flèche et les audiences télé battent des records. Ça tombe bien, au Mans, Johann Zarco et Fabio Quartararo ont remis une pièce dans la machine en se retrouvant sur le podium. De quoi espérer beaucoup de cette saison.
Il est un petit peu plus de huit heures du matin, à la veille des premiers essais libres, quand Moto Journal arrive sur le circuit Bugatti. Le temps est maussade. Il caille. Bref, rien ne pousse à sortir le museau dehors. Pourtant, quelques spectateurs commencent déjà à arriver, par petites grappes. Malgré le huis clos et la météo, ils ont décidé de braver les éléments. Le rendez-vous avec Johann Zarco est fixé quelques heures plus tard, en fin de matinée. Mais la passion n’attend pas. Elle se vit. Johann s’en est rendu compte. Dès son arrivée à l’entrée sud du circuit, son Audi de fonction a été instantanément cernée. Pendant plusieurs dizaines de minutes, le double champion du monde Moto2, du haut de son toit ouvrant, a pris le temps de répondre à toutes les demandes. La banane collée au visage, il a signé des autographes à la pelle, s’est glissé derrière l’objectif des téléphones pour des selfies en rafale, tout en échangeant quelques mots. La veille, Fabio Quartararo s’était lui aussi retrouvé face à la même ferveur. Il faut dire que l’image de la moto, sous l’impulsion des deux Tricolores, est en train de changer. Longtemps considérée comme un sport de niche, elle est en train de sortir de son carcan, puisqu’on en parle de plus en plus, et sur tous les types de supports. Les chiffres et les faits en témoignent. Canal +, qui diffuse les Grands Prix depuis maintenant trois saisons, bat à chaque course ou presque, un record d’audience. L’équipe enchaîne pour sa part les unes dédiées à la Motogp pratiquement à chaque course. Et ça risque de durer. Après l’historique doublé au GP Doha, nos deux porte-drapeaux ont remis une pièce dans la machine en signant une nouvelle performance majuscule, avec les deuxième et troisième places. Les esprits chagrins diront que la victoire n’est pas au bout. Mais la dramaturgie, avec ce changement de moto (flag-to-flag dans le jargon) dès les premiers tours suite à l’arrivée de la pluie, et le suspense pour la victoire au cours des dix dernières boucles,
quand Zarco se rapprochait, dixième après dixième, de Jack Miller, auront sans doute encore séduit de nouveaux adeptes, en plus de conforter la passion des plus mordus. Pour nous, au journal, nous pensons que ce résultat au Mans est peut-être encore plus impressionnant que le doublé du Qatar. Pourquoi ? Déjà, parce que c’était à la maison, parce que c’est une confirmation. Mais aussi et surtout parce que les enseignements à tirer de ces deux performances sont particulièrement riches.
ZARCO N’A PLUS DE TEMPS À PERDRE
Ce genre de résultats n’arrive pas comme un cheveu sur la soupe. C’est la continuité d’une histoire, la réponse à des doutes et le résultat de la remise en question que nos pilotes ont pu s’imposer. Sans oublier les heures d’entraînement qu’ils s’infligent tous les deux, loin des caméras, chez eux, dans la garrigue
À nouveau victorieuse, la Desmosedici GP21 peut être désormais considérée comme la machine à battre en Motogp...
provençale pour Johann, et dans les montagnes andorranes pour Fabio. Il y a deux ans, ici, au Bugatti, Zarco traînait son spleen, triste et dépité par ses résultats avec la KTM, en plus de bien d’autres choses. Aujourd’hui, l’avignonnais a retrouvé le sourire, en même temps qu’il a renoué avec les premières places puisqu’il se bat à nouveau pour les victoires, comme il le faisait lors de ses deux premières saisons en catégorie reine, sur la M1 de chez Tech3. Mais pour ça, Zarco a dû prendre certaines décisions, parfois majeures comme en rompant son contrat avec la firme autrichienne. Il y avait des risques, il les a pris, les a assumés. Pour poursuivre la quête de son rêve : celui d’être champion du monde en catégorie reine. Romain Guillot était à ses côtés pendant cette période. Attablé en compagnie de Moto Journal en salle de presse au début de la troisième séance d’essais libres, le préparateur physique du pilote Ducati raconte : « En fait, il a tout mis en place pour revenir, pour poursuivre son rêve. Et puis le projet Ducati est arrivé. À partir de là, il s’est réfugié dans le travail. Il croit fort en son truc, tout simplement, et cela le fait avancer au quotidien. Il travaille pour ça. Il ne perd pas son objectif de vue. » Zarco est aussi un garçon qui marche à l’affect. Et il a trouvé le bon environnement chez Pramac. Pour sa quête du titre, il est aussi lucide et sait que le temps file. C’est pour cette raison que son souhait est de prolonger l’aventure chez les rouges et dans l’équipe de Paolo Campinotti, alors qu’une option pour 2022 existe déjà dans le contrat qui le lie à la firme de Bologne. Interrogé sur son avenir au Mans, le double champion du monde a expliqué le fond de sa pensée : « Mon but est de rester avec eux. Mon objectif, c’est le titre. Et si je change à nouveau de moto, je vais perdre trop de temps. Et je n’ai plus le temps de perdre du
temps... Voilà pourquoi le but est de rester chez Ducati, et même avec Pramac, vu que l’on travaille bien ensemble, que l’on bosse bien. C’est une équipe qui peut jouer le titre. J’espère aller dans cette direction-là. J’essaie donc de faire le boulot du mieux possible. » Sa deuxième place dans la Sarthe confirme en tout cas que son travail paye. Et que sa quête de titre est, plus que jamais, d’actualité. Avant le prochain GP au Mugello dans quinze jours, il occupe la troisième place du championnat, à douze points du leader.
QUARTARARO ENFONCE LE CLOU
Un leader qui n’est autre que Fabio Quartararo. Tranquillement, l’officiel Yamaha continue de tracer sa route. Les mauvaises langues lui prédisaient le pire au Mans, dans l’humidité locale. Mais sa prestation aura balayé d’un revers de main tous ces doutes. Solide troisième, il a montré qu’il savait désormais jouer avec les cadors de la discipline également dans des conditions d’adhérence particulièrement précaires. Et là, aussi, c’est une bonne chose pour la suite des événements. « J’ai beaucoup appris, confirme-t-il.
« Ça fait du bien, ça fait beaucoup de points, aussi. C’est génial pour le championnat ». Johann Zarco, Sudiste à l’aise sous la pluie !
Je pense que c’est une étape importante dans ma carrière. Pour moi, c’est un gros boost pour la suite. Sincèrement, c’est un peu comme une victoire. Dans des conditions comme ça, avant, un top dix aurait déjà été un bon résultat. Donc, là, finir troisième... Je suis vraiment satisfait. » De là à penser que c’est un déclic… Eric Mahé, son manager, ne le pense pas. « Pour moi, c’est une progression constante, confie-t-il à MJ, après la course. Il n’a que 22 ans... La course de l’année dernière, sous la pluie, n’était pas bidon non plus. Il y a eu une phase où il était un peu lent, oui, mais, à la fin, il avait quand même réussi à doubler trois mecs. Il ne passe pas de la nuit au jour. Il y a du travail sur le mouillé. En plus, ce week-end, il y a eu une petite galère au niveau électronique, avec des histoires de pression de pneus, ce qui expliquait un peu le résultat de la troisième séance d’essais. Et après, il a été solide. Il n’avait quand même jamais fait de course où on changeait de moto... Forcément, tu es aussi un peu stressé car tu sais qu’il y a des mecs qui roulent mieux que toi sur le mouillé. Mais il s’en est très bien tiré. J’aurai signé des deux mains pour un scénario comme ça. » Surtout, après ces cinq premières courses, le bilan du Français est plus que positif. Rapide, solide, à l’aise avec sa M1, il ne montre aucune faille. Et sans ce problème au bras droit à Jerez, où la course lui était promise,
son avance au championnat serait aujourd’hui un petit peu plus élevée encore. Est-ce que, du coup, on peut dire que les planètes sont alignées pour aller chercher le titre, à la fin de l’année ? « Mais les planètes, elles sont alignées depuis sa naissance, répond Mahé. Après, oui, il y a eu des aléas et une période où il s’est un petit peu perdu car il y avait des influences négatives autour de lui. Mais depuis qu’il est en Motogp, il ne fait que progresser. Pour moi, c’est le mec le plus talentueux de la grille, Marquez compris. Après, pour le championnat, on n’en parle pas entre nous. Et puis, de toute façon, pour le remporter, il faut gagner des courses, donc il faut se concentrer là-dessus. » Les planètes s’alignent pour le sport moto français. Engouement, audience, GP national qui est l’un des plus populaires, podiums, victoires, il semble que l’on entre dans une période dorée. Reste à espérer qu’elle dure au moins jusqu’au mois de novembre.
Prochain GP en Italie, le 30 mai au Mugello.