UN JOLI P’TIT CUB
TRIUMPH 200
Certains de nos deux-roues nous ont marqués plus que d’autres. Quand je me suis retrouvé artilleur, à la fin des années soixante, je n’ai pas vraiment compris ce qui m’arrivait… À 19 piges, je devais abandonner le douillet cocon familial, ma CB 125 1964 « café racer », mes potes motards et surtout, tout espoir de compétition, ayant vite compris qu’au 402e de Laon, la moto n’était pas une activité sportive très développée. J’ai découvert ensuite que, sur quelques centaines de biffins voués à 16 mois de corvées de poubelles, manoeuvres diverses et autres revues de paquetage, nous n’étions que deux à posséder le permis moto : Favier, un Lyonnais super sympa et moi. Ce détail a priori anodin n’est pas passé inaperçu et au bout de quelques mois, on m’a annoncé que je devrais passer à nouveau le permis moto, mais militaire cette fois, afin d’être à même d’effectuer des missions en tant que « moto message ». On m’a proposé également de passer le permis half-track, ce que j’ai refusé avec toute la diplomatie dont j’étais capable... C’est ainsi que je me suis retrouvé titulaire du permis rose mais kaki, avec la certitude de pouvoir continuer à rouler à moto durant mon service, le rêve, ou presque. Or, la caserne se trouvait en ville basse et les transmissions en ville haute (où je devais crécher lors de mes missions) et il était fréquent que des messages papier soient envoyés du haut en bas et inversement, par une estafette utilisant non pas une Jeep ou un bahut style Marmont, mais une motocyclette. Et c’est ainsi que j’ai fait la connaissance de celle qui, durant des mois, allait devenir ma compagne d’infortune, une Triumph 200 Cub WD, peu affriolante dans sa robe kaki, y compris les jantes mais qui, en l’occurrence, me paraissait la plus belle du monde. Et comme les appelés des Transmissions étaient sympas, ils me gardaient les messages jusqu’au matin, ce qui faisait que j’avais quartier libre toute la soirée et même toute la nuit. Pourtant, en 68, il se passait des trucs chauds dans Paris. À 150 bornes de là, on n’avait que les postes à transistors pour se tenir à peu près au parfum, mais les messages pouvaient bien attendre. Alors, au lieu d’aller au cinéma ou chez les dames, je virais les sacoches en cuir de ma Cub et dès la nuit tombée, je me rendais dans la forêt de Saint-gobain toute proche où je découvrais pour la première fois, à la lueur du minable phare 30 Watts de la Triumph, les joies du franchissement d’obstacles. Éclectique, je m’adonnais dans la journée à la pratique de la course de côte, reliant la ville basse à la haute par une jolie route en lacets, ce qui me valut un jour les félicitations du Commandant du 402 dont j’avais croisé la Peugeot 504 alors que je rabotais mes rangers à la sortie d’un fort joli gauche. Dix ans plus tard, je ne pensais plus à la petite Triumph et aux bonheurs multiples qu’elle m’avait procurés, quand j’ai appris que l’armée vendait ses Cub. Or, à cette époque, le trial à l’ancienne démarrait et à côté des grosses anglaises lourdes comme des vaches mortes, on pouvait trouver les premières espagnoles et des Cub, parfois véritables motos de trial, le plus souvent motos militaires modifiées. Sur les modèles militaires vendus en France, il n’en restait que bien peu en bon état de marche. Le lot de trois motos que j’avais pu récupérer lors de la vente n’avait que peu attisé les convoitises malgré la modicité du prix de vente, toutes trois étaient incomplètes et l’une ayant même le réservoir lardé de coups de pioche ! Mais avec beaucoup d’huile de coude et les conseils éclairés de Marco Raymondin – un des piliers de l’afata, une association de gentlemen branchés trial à l’ancienne –, j’ai pu reconstituer une machine présentable et m’adonner à la pratique de cette activité, mais avec une attirance particulière pour les interzones. Pour moi, la moto devait obligatoirement posséder une coloration « vitesse » et toutes les occasions de bombarder dans les chemins étaient bonnes à prendre, même si ce n’était pas du tout le but du jeu. J’ai rapidement abandonné le trial, vendu la Triumph, sans regrets, pensais-je. Mais elle possède toujours une grande place dans mon coeur, bien plus que nombre d’autres engins nettement plus prestigieux qui me sont passés dans les mains par la suite !
« DIX ANS PLUS TARD, JE NE PENSAIS PLUS À LA PETITE TRIUMPH QUAND J’AI APPRIS QUE L’ARMÉE VENDAIT SES CUB... »