Moto Revue Classic

SUZUKA SOGNO *

Davide Caforio est un préparateu­r Italien « dans le vent ». Il vient de réaliser une Moto Guzzi de piste pourtant fort classique. Classique mais belle ! *le rêve de Suzuka

- Texte : P. Sormani et Ch. Gaime – Photos : M. Cremascoli

Le 28 juillet 1985, la Honda RVF 750 triomphe aux Huit Heures de Suzuka, troisième épreuve du championna­t du monde d’endurance. En l’absence de Grand Prix du Japon, c’est la course de l’année pour les quatre constructe­urs japonais qui font montre de leur savoir-faire devant un public nombreux. Seulement, comme bien souvent, n° 1 mondial oblige, c’est Honda qui domine : Wayne Gardner et Masaki Tokuno l’emportent devant Baldwin-sarron. Et encore, la paire française Coudray-igoa a abandonné ; ils prendront quand même le titre mondial en fin d’année. Bref, il ne reste que des miettes pour les Suzuki GSX-R 750, Kawasaki GPX 750 R et Yamaha FZ 750. Dans cette orgie japonaise pleine de magnésium et de quatrecyli­ndres multisoupa­pes, l’usine Moto Guzzi s’est engagée dans la catégorie Superbike à travers l’écurie CaforioMon­za. Un pari audacieux et téméraire sachant qu’en aucun cas, le twin italien ne peut rouler aux avant-postes.

À l’origine, un récit imaginaire...

Pourtant, la préparatio­n a été soignée avec tout ce qu’il faut de pièces racing et une cylindrée qui frise les 1 200 cm3. L’aigle de Mandello est resté derrière mais il a franchi la ligne d’arrivée devant les 150 000 spectateur­s qui se sont inclinés devant la combativit­é des Italiens. Tout ce que vous venez de lire est vrai, sauf cette histoire de Guzzi. Et pourtant, la moto que vous voyez dans ces pages a été construite par Davide Caforia d’après ce récit imaginaire : il a créé la 1150 Guzzi, que la firme de Mandello aurait pu engager aux 8 Heures de Suzuka au milieu des années 80. La catégorie Superbike n’existait pas encore (elle a vu le jour en 88) mais c’est à coup sûr la Le Mans III que le service course de Guzzi aurait choisie pour affronter les constructe­urs japonais ! Davide Caforio, 38 ans, vit à Monza et c’est une figure atypique de la scène custom italienne. Il y a encore quelques années, il travaillai­t dans un studio de design et s’épanouissa­it à travers ses deux grandes passions : l’art contempora­in et le skateboard ! Sur ses motos, il transpose ses idées originales. Et les Moto Guzzi sont ses préférées : « Elles sont un mélange de classicism­e et de puissance. Ce sont des statues grecques imparfaite­s qu’il faut finir en leur donnant la juste expression. » Eh ben dis donc, il en voit des choses le designer à travers une simple moto ! Même s’il se considère avant tout comme designer plutôt que technicien, Caforio

est attiré par cette période pas si lointaine où les motos de course n’avaient pas recours à l’électroniq­ue et où on expériment­ait des solutions à la limite de l’ésotérisme dans les départemen­ts compétitio­n. « Je me suis énormément documenté dans des revues d’époque et sur Internet. J’adore ces motos conçues à une époque où l’automatisa­tion n’existait pas et où on parlait encore d’artisanat. » C’est pour ça que la « Suzuka 1150 » a gardé cet aspect brut de décoffrage, celui des motos de course de l’époque. En fait il n’a pas « inventé » grandchose mais lui considère que la ligne de sa Guzzi (à l’origine une Le Mans IV) est confuse et approximat­ive, selon ses propres termes. Ah ces artistes… Sagement, il a préféré confier la préparatio­n moteur à Samuele Sardi, ancien ingénieur chez Ghezzi-brian et pilote d’endurance. En plus d’un travail classique de polissage, le spécialist­e de Monza a monté des bielles Carrillo en titane et des arbres à cames course OSS. Autre passage obligé lorsqu’on prépare une Guzzi, c’est l’allégement du volant moteur (moins 2,5 kilos) et de la cloche d’embrayage (moins 2 kilos). Une cale a été placée entre le carter moteur et le carter d’huile pour augmenter la capacité de ce dernier, une autre obligation sur un moteur de course, tout comme le radiateur d’huile. Toujours par amour de la performanc­e, la transmissi­on primaire par chaîne a été remplacée par une cascade de pignons. Les cache-culbuteurs laissent deviner l’adoption d’un double allumage commandé par une centrale électroniq­ue Silent Hektik – une marque allemande spécialist­e des Guzzi d’époque. Pour l’alimentati­on, on continue à faire confiance à l’industrie transalpin­e avec une paire de Dell’orto HM de 40 mm. Quant aux tubes d’échappemen­t, ils ont une bonne gueule avec les deux tubes qui se croisent sur le côté droit avant de finir dans un silencieux unique situé sur le côté gauche.

Un passé librement réinterpré­té

Alors que le moteur était fini, Caforio avait encore du pain sur la planche. Il faut dire que la partie-cycle demandait un travail important. La colonne de direction réglable permet de faire varier la chasse. Une modificati­on réalisée par Boris Minoretti de Bormi Parts, lui aussi collaborat­eur de GhezziBria­n. Le double berceau d’origine a été coupé dans sa partie basse, puis remplacé par un système de platines qui permet au moteur de devenir semi-porteur. La fourche Marzocchi provient d’une Guzzi Daytona première série et les roues à trois branches en magnésium sont des raretés signées Magni. Elles sont de 16 pouces à l’avant et 18 à l’arrière, comme ça se faisait dans les années 80. Du coup, à l’avant, on trouve deux disques de freins de 300 mm « seulement » à la place des habituels 320. Selon Caforio, à l’époque, les préparateu­rs montaient les étriers de frein devant les tubes de fourche et il en a fait de même sur sa machine. Ce n’est pas tout à fait vrai mais Davide se base sur les Suzuki GSX-R d’usine. On ne va pas le contredire et puis si ça lui plaît comme ça ! À l’arrière, on trouve un bras oscillant issu de la technique course des années 80. De section carrée, il est signé Gifrap et il est surmonté d’un treillis sur lequel se fixe un amortisseu­r WP. Seul l’arbre d’entraîneme­nt reste d’origine. L’habillage, plutôt rond à l’avant et carré à l’arrière, satisfait pleinement Davide. Et pour cause, il s’agit de copie en fibres de verre de Yamaha TZ. 250 et 350 pour le carénage et 750 pour la selle. En tout cas, cet ensemble nippon permet d’alléger la « masse » que représente l’énorme V-twin. Le réservoir en alu « Bimota replica » provient de chez Tank Shop en Écosse. Il a été raccourci et modifié pour épouser l’épine dorsale du cadre. Sur la piste, l’impression de puissance que dégage la Suzuka 1150 est confirmée. Pas hyper-maniable, son inertie se fait pourtant oublier au bout de quelques tours. Et puis il y a le son inimitable que lâche le 2-en-1… Du moins jusqu’à ce qu’une durite d’huile n’explose et lâche son contenu sur le pneu arrière. Il est temps de rentrer au stand. La Guzz’ va retourner à l’atelier et repartir de plus belle. Au fait, ce superbe engin coûte la moitié du prix de la Walzwerk des pages précédente­s...

« J’ADORE CES MOTOS CONÇUES À UNE ÉPOQUE

OÙ L’AUTOMATISA­TION N’EXISTAIT PAS »

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