Moto Revue Classic

DE L’HUILE DANS LE GAZ !

La GSX-R 750 fête ses trente ans. Peu de motos ont autant marqué l’histoire récente, et plus encore que la sportive, le quatrecyli­ndres refroidi par air et huile s’est imposé comme un monument de la mécanique moto, de la GSX-R à la Bandit.

- Texte : Zef Esnault – Photos : archives Moto Revue

Aucun autre moteur n’a eu un tel succès pendant plus de vingt ans. Le quatre-cylindres Suzuki refroidi par air et huile (système SACS, pour Suzuki Advanced Cooling System) a propulsé vers la gloire la GSX-R dès 1985 puis la Bandit jusqu’en 2006, deux modèles au succès populaire colossal, qui ont inauguré l’ère des sportives carénées pour la première, celle des roadsters stars pour la seconde. On l’a aussi retrouvé au coeur des Inazuma, des GSX-F et de la magnifique GS 1200 SS, jamais importée en France. Ce quatre-cylindres en ligne aurait pu être tout autre, il s’en est fallu de peu qu’il ne soit pas V4. Etsuo Yokouchi, l’ingénieur en charge de développer la future GSX-R dès 1983, reconnaît avoir étudié plusieurs architectu­res avec son équipe. Munenori Kiryu et Yasunobu Fuji, affectés à la partie moteur, ont dirigé leurs recherches dans toutes les directions, sans limites, du boxer au moteur en étoile. Ils se sont attardés longuement sur le V4 et la culasse cinq soupapes, mais des contrainte­s de coûts, et surtout de poids, les en ont éloignés. Le quatre-cylindres en ligne

s’est imposé, dans la lignée des GS 1000 R et GS 750 E. Restait à tenir le pari engagé par Etsuo Yokouchi : fabriquer une moto hyper-performant­e dont le poids (à sec) parviendra­it à rester sous les 180 kg. « Impossible ! » , s’exclamait l’équipe réunie ce jour à l’usine d’hamamatsu, quand Yokouchi écrit à la craie sur un tableau noir « 176 kg » . L’ingénieur raconta plus tard quelle méthode permit l’exploit d’atteindre cet objectif grâce au système SACS : « Notre point de départ était le moteur de la GS 750 E. Nous avons passé des moteurs au banc. Les pièces qui supportaie­nt les tests d’endurance sans dégradatio­ns étaient marquées en bleu, celles qui cassaient ou s’usaient étaient marquées de rouge. Nous avons prolongé ces essais sur des périodes plus longues et éliminé encore d’autres pièces, pour garder toutes les bleues. Certaines étaient si solides qu’il y avait des possibilit­és de gain de poids, nous les avons donc allégées jusqu’à ce qu’elles cassent puis ajouté suffisamme­nt de matière pour qu’elles résistent. Souvent, il ne s’est agi que de quelques grammes, mais il ne fallait rien négliger. Lorsque la question de la fiabilité s’est posée, il apparut que le refroidiss­ement à air ne suffirait pas. C’est là que j’ai eu l’idée du refroidiss­ement par huile tel qu’il avait été déjà appliqué en aviation. » Le refroidiss­ement par injection d’huile interne – solution technique antédiluvi­enne dont les brevets avaient été déposés par RollsRoyce en 1924 (Rappelez-vous que rien n’a été inventé en mécanique depuis le début du XXE siècle...) – était utilisé par les avions américains Mustang P51 pendant la Seconde Guerre mondiale. Dominique Méliand, parrain de la GSX-R et team manager du SERT, en détaille les avantages : « Ces avions attaquaien­t en piqué, et passaient parfois de -30 à +15 ° en très peu de temps. Le refroidiss­ement par huile offrait de meilleurs résultats en termes de chocs thermiques que le refroidiss­ement par eau : il stabilisai­t la températur­e pour conserver le rendement du moteur. Concernant la GSX-R, souvenons-nous qu’en 1985, peu de motos étaient refroidies par eau. Le SACS mis au point par Suzuki tenait compte à la fois de la contrainte de poids et de l’exigence de performanc­e.

La première GSX-R : une 400 cm3

C’était aussi un moyen de se distinguer, non par fantaisie, mais pour valoriser la science Suzuki. » L’usine savait à l’époque que Yamaha mettait au point une culasse à cinq soupapes par cylindre (pour la future FZ 750) et s’enorgueill­issait de pouvoir communique­r sur des technologi­es inédites. Le SACS fut d’ailleurs la seule réelle innovation appliquée au quatrecyli­ndres, qui conservait ses ailettes et se voyait affublé d’un radiateur d’huile.

« LE REFROIDISS­EMENT PAR HUILE OFFRAIT UN MOYEN DE VALORISER LA SCIENCE SUZUKI » MÉLIAND

Un vilebrequi­n monobloc caractéris­ait aussi le moteur, nouveauté chez Suzuki mais déjà connu ailleurs. La toute première GSX-R fut une 400 cm3 (1984) réservée au marché japonais, moto méconnue aujourd’hui. Pensée pour le marché européen, la GSX-R 750 a été présentée par Suzuki à l’automne 1984 à L’IFMA, le Salon de Cologne. 100 chevaux, 176 kg à sec, cadre alu, les journalist­es la chronométr­èrent plus tard à 238 km/h en vitesse de pointe et 11,3 secondes au 400 mètres départ arrêté. D’autres avaient été plus puissantes qu’elles, comme la Kawasaki 900 Ninja, mais aucune moto à moteur quatre-temps n’avait approché un tel rapport poids/ puissance. Elle a remporté dès 1985 les 24 Heures du Mans (il s’agissait d’un équipage privé : Millet/bertin/guichon) et s’est illustrée avec Kevin Schwantz à Daytona, mais Rob Phillis fit à son guidon la course la plus farfelue de l’année, lors des 3 Heures d’adélaïde en Australie, où il courut seul au guidon de la GSX-R 750 pour ne pas avoir à partager la prime d’arrivée de 1000 dollars aux vainqueurs. Exténué, il gagna avec une seconde d’avance sur Len Willing et sa Kawa 900 Ninja. En France, Éric Delcamp remporta le championna­t Promosport 750 sans contestati­on. La base extrêmemen­t solide du 750 donna naissance en 1986 au 1100, doué de 130 ch. Cette GSX-R devint un rêve pour tous les motards de l’époque et est aujourd’hui un collector.

1995 : la révolution Bandit

La 750 et la 1100 ne cessèrent d’évoluer jusqu’en 1992, année du passage au refroidiss­ement liquide pour la 750 (1993 pour la 1100). Mais le moteur aileté refroidi par air et huile allait connaître un second succès avec la Bandit. Une fois encore, la première fut une 400, sortie en 1989 au Japon (en même temps que la 250 qui était refroidie par eau) et en 1992 chez nous. La Bandit 600 arriva en France 3 ans plus tard et révolution­na le marché moto, avec son cadre en tubes et son moteur de GSX-F 600, ultime extrapolat­ion du premier moteur de la 750 GSX-R. L’époque était aux trail-bikes 600 et 650 ou aux sportives de grosse cylindrée. La Bandit commit le même hold-up que la GSX-R dix ans auparavant et réinstalla les roadsters dans le paysage moto, jusqu’à aujourd’hui. Les réglages de carburatio­n et les arbres à cames avaient été modifiés pour améliorer le couple à mi-régime, la 600 développai­t 74 ch pour 5,5 mkg de couple. Un modèle 750 a également existé, pour le marché japonais, plus puissant de trois chevaux et plus coupleux d’un mètre/kilo. Mais la 1200 correspond­ait mieux au marché européen, qui préfère de longue date les grosses cylindrées. Elle hérita du moteur de la GSX-R 1100 de 1991, dont la cylindrée fut portée à 1 157 cm3, avec une boîte à 5 rapports et un cadre dont le dessin rappelait les Seeley. Jusqu’en 2006 – dernière année du modèle refroidi par air et huile –, la 1200 Bandit subit toutes les tortures possibles, avec des prépas à 1 340 cm3 et des circuits d’huile externes, des ajouts de bonbonnes de NOS, des tunings en tout genre... Elle reçut l’injection en 2001 et un réservoir de 20 litres, mais prolongea la vie du vieux bloc aussi longtemps que possible. Soit 21 ans de bons et loyaux services. Peu de moteurs se sont montrés aussi fiables, et les Bandit de plus de 100 000 km ne sont pas rares.

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