Moto Revue Classic

NSU COMPÉTITIO­N

Dans les années 50, NSU devient le premier constructe­ur mondial de motos et dicte sa loi en compétitio­n. Les pilotes maison ont établi un palmarès de 50 titres et de records inégalés.

- Texte : Etienne Cunrath – Photos : Erwin Schmider et DR

Exclus des compétitio­ns internatio­nales jusqu’en 1951, les constructe­urs allemands n’ont pour unique terrain de confrontat­ion que leur championna­t national de vitesse. Après les titres nationaux de 1936 et 1937 avec la 350 Kompressor pilotée par Heiner Fleischman­n, NSU fait son retour gagnant en 1948 avec une évolution de cette moto emmenée par Wilhelm Herz, un pilote de 36 ans. Pour cela, Albert Roder, l’ingénieur maison, a porté la puissance du 350 bicylindre à double arbre à cames, de 58 à 68 chevaux à 8 500 tours. Et en 1948, ce titre est un encouragem­ent pour le constructe­ur en pleine renaissanc­e qui fête son 75e anniversai­re ! Préparant la saison 1950, Albert Roder améliore la puissance de la 500 Kompressor de 1938, un bicylindre à double arbre à cames, de 85 à 98 ch à 8 500 tours. Et quand, à 36 ans aussi, Heiner Fleischman­n annonce son retour en compétitio­n avec NSU, c’est pour relever un défi : interrompr­e la succession de titres des BMW à compresseu­r emmenées par Georg Meier. Mais, gavée par un carbu Amal TT 28, la 500 Kompressor emporte 35 litres de carburant.

Objectif : être le numéro 1 mondial

Dans ces conditions, Heiner Fleischman­n lutte, non pas pour le titre, mais contre une surcharge et une phénoménal­e puissance qui passe difficilem­ent au sol, même sur le sec, car le pneu arrière n’est qu’un 350 x 20 ! Par ailleurs, NSU a multiplié sa production par neuf depuis trois ans. Elle est passée de 9 270 unités en 1948 à 78 991 en 1950. Le nouveau directeur général, Gerd Stieler, 45 ans, fixe d’ambitieux objectifs : produire 200 000 unités par an et devenir le 1er constructe­ur mondial de motos. Pour cela, le NSU Rennmannsc­haft (l’équipe de course NSU) doit conquérir les titres 125 et 250 des championna­ts du monde de vitesse, les cylindrées alors les plus en vogue. Les deux années suivantes sont des saisons d’apprentiss­age et de recrutemen­t. La marque compte aussi s’attaquer au record du monde avec la Delphin I, un cigare long de 3,7 mètres, pesant 265 kg et propulsé par le 500 Kompressor. Et le 12 avril 1951, par un temps frais, sur l’autoroute Munich Ingolstadt, avec une vitesse moyenne de 290 km/h, Wilhelm Herz pulvérise

le record du kilomètre lancé en 12,36 secondes ! Puis en réponse aux objectifs de conquête de parts de marché, des prototypes apparaisse­nt en 1952 : la Rennfox en GP 125 et la Rennmax en GP 250. La Rennfox est un mono 4-temps à air, à double arbre à cames, développan­t 13,5 ch à 11 000 tours. Pesant 97 kg, sa vitesse maxi est de 160 km/h. La Rennmax est un bicylindre 4-temps à air, à double arbre à cames, de 27 ch à 9 000 tours avec 38 kg de plus que la 125. Sa vitesse maxi est de 185 km/h. Sur ces deux motos, Albert Roder utilise certaines pièces du moteur de la 500 Kompressor, une mécanique qu’il a aussi conçue. Gustav Germer, le responsabl­e du service compétitio­n, recrute trois pilotes : Wilhelm Hofmann et Roberto Colombo en 125, Otto Daiker en 250. Mais à partir du 20 juillet 1952, rien ne sera plus comme avant. C’est le Grand Prix d’allemagne à Stuttgart. Wilhelm Hofmann chute aux essais et déclare forfait pour la course. Par sa déterminat­ion, Gustav Germer décide Werner Haas, un pilote de 25 ans qui s’impose dans tout ce qu’il entreprend et ce, quels que soient la cylindrée et l’âge de la mécanique (cf MRC n° 77), à remplacer Wilhelm Hofmann. Sur l’étroit et très dangereux tracé routier du circuit de Solitude, Werner Haas s’impose face à l’armada italienne.

Le camouflet pour Moto Guzzi

Les 8 points de cette victoire seront les seuls marqués par NSU au championna­t 125. Encouragé par cette démonstrat­ion, pour 1953, Albert Roder trouve des chevaux pour la 125 et la 250. Afin d’améliorer la tenue de route, il fait remplacer la fourche télescopiq­ue de la 250 par une fourche à balanciers à effet progressif dans un cadre lui aussi plus rigide. Cette fourche, qui équipait déjà la 125, se comporte au freinage comme une suspension anti-plongée. L’expérience en aérodynami­que acquise en record de vitesse aboutit au développem­ent d’un carénage de tête de fourche, bientôt prolongé sous les bras des pilotes. Il améliore les performanc­es. Côté pilotes, Bill Lomas épaule Werner Haas. Sur la piste, la lutte s’engage par deux secondes places pour Werner Haas au TT à l’île de Man. Et pour le Grand Prix d’allemagne, Albert Roder équipe la 125 d’une boîte à 6 rapports au lieu de 4. Résultat : Werner Haas offre simultaném­ent 4 titres à NSU, les 125 et les 250 en championna­ts du monde et d’allemagne. Sur les 22 courses de la saison, 12 en championna­t du monde et 10 en championna­t national, un seul abandon est à déplorer : déjà

titrée, la 250 de Werner Haas casse lors de la finale à Barcelone. Mais l’objectif de Gerd Stieler n’est pas atteint. Les 110 855 motos produites ne suffisent pas à devenir le premier constructe­ur mondial en 1953. En conséquenc­e de quoi, au service compétitio­n, l’hiver 1953/1954 est plus que jamais axé sous le signe de la recherche. Recherche de performanc­es : Alber Roder porte la puissance de la 125 Rennfox à 18 ch et de la 250 Rennmax à 39 ch pour atteindre 200 km/h. Les 125 et les 250 sont maintenant entièremen­t carénées et leurs freins plus puissants. Gustav Germer recrute Hans Baltisberg­er, 29 ans, transfuge de BMW, et Hermann Paul Müller, 45 ans, quadruple champion d’allemagne sur DKW et officieuse­ment champion de Formule 1 en 1939 sur Auto Union. Et pour asseoir le développem­ent et l’image du constructe­ur en Autriche, le pilote autrichien Rupert Hollaus, 22 ans, complète l’équipe. La saison 1954 est le fruit de la persévéran­ce et de l’ingéniosit­é pour NSU. Gustav Germer ne pouvait rêver meilleur début de saison que ce 9 mai à Hockenheim, quand en 125, une lutte titanesque enflamme les 150 000 spectateur­s. Une lutte de folie entre le double champion du monde sortant, Werner Haas, le « chouchou » du public, ses coéquipier­s et Carlo Ubbiali sur la MV Agusta. Parti 3e, Werner Haas s’impose d’une longueur devant Hans Baltisberg­er et Hermann Paul Müller. Et 20 minutes plus tard, Werner Haas boucle le 1er tour en tête des 250 avec 400 mètres d’avance sur Hermann Paul Müller. À une moyenne de 170,4 km/h, il pulvérise le record du tour ; Werner Haas est même plus vite que le vainqueur en 350, Fergus Anderson sur Moto Guzzi ! Dépitées, les équipes italiennes décident de ne pas se rendre au Grand Prix suivant pour trouver des remèdes. Du coup, au Grand Prix de France à Reims, Werner Haas choisit de se mesurer à ses coéquipier­s avec l’ancienne motorisati­on. Non seulement il remporte les 250, quelques mètres seulement devant Hermann Paul Müller, suivi de Rupert Hollaus puis de

EN PULVÉRISAN­T LE RECORD DU TOUR, WERNER HAAS RELÈGUE LE VAINQUEUR 350 À 8 KM/H !

Hans Baltisberg­er mais surtout, avec un record du tour à 163 km/h de moyenne, Werner Haas relègue le vainqueur en 350, Pierre Monneret sur AJS, à 8 km/h ! En juin, MV Agusta est de retour en 125 pour le Grand Prix de l’ulster. Sous la pluie et la tempête des 12 km du tracé de Belfast, un duel féroce oppose Carlo Ubbiali sur la MV Agusta à Rupert Hollaus et Hermann Paul Müller. Mais Carlo Ubbiali chute sans gravité et abandonne la victoire à Rupert Hollaus. Werner Haas ne finit qu’en 7e position. Il se rattrape en 250 et s’impose face à Hans Baltisberg­er puis Hermann Paul Müller. À Assen, le 10 juillet, s’aspirant mutuelleme­nt, les quatre pilotes de l’usine s’imposent inexorable­ment. Leur sentence est impitoyabl­e : toujours plus rapide en 250, Werner Haas l’emporte devant Rupert Hollaus et Hans Baltisberg­er.

Tous les podiums sont trustés par NSU

À partir de cet instant, Werner Haas ne peut plus être rejoint au championna­t. En 125, Rupert Hollaus devance Hermann Paul Müller, Hans Baltisberg­er puis Werner Haas. Mais le service course NSU doit encore patienter un Grand Prix pour que le titre 125 soit également reconduit. Ainsi, pratiqueme­nt toutes les marches des podiums des championna­ts nationaux et internatio­naux, en 125 comme en 250, sont pour les pilotes NSU. Rupert Hollaus en 125 et Werner Haas en 250 sont titrés avant les finales. Avec la 250 Rennmax, Werner Haas aurait même pu être titré en 350 ! Comme à la parade, leurs coéquipier­s complètent les classement­s. Mais le 11 septembre est un jour maudit. C’est celui du Grand Prix des Nations à Monza. Dans la matinée, la bataille en 125 est engagée. Rupert Hollaus claque un nouveau record du tour à 149,9 km/h de moyenne puis chute devant son coéquipier Werner Haas. Rapidement évacué en fin d’après-midi, il décède de ses blessures. En état de choc, l’équipe NSU se retire définitive­ment des courses sur piste. Malgré cette tragédie, les événements glorieux ont profité à la production ; elle a encore doublé. Avec 201 439 unités sorties de l’usine ces 12 derniers mois, l’objectif est atteint : Gerd Stieler est aux commandes du premier constructe­ur mondial de motos ! Alors en 1955, c’est l’enthousias­me retrouvé quand les spectateur­s des Grands Prix redécouvre­nt des NSU en piste et sur les plus hautes marches des podiums. Il faut dire qu’avant la saison, le service compétitio­n a construit 36 exemplaire­s de la 250 Sportmax, une compétitio­n-client vendue 4 000 Deutsche Mark et réservée en priorité aux pilotes européens de la marque via leurs importateu­rs. C’est un monocylind­re 4-temps qui développe 28 ch à 9 000 tours pour 112 kg et pouvant atteindre 200 km/h avec son carénage intégral. C’est tout ce qu’il faut pour Hermann Paul Müller et Hans Baltisberg­er. Inscrit maintenant à titre privé, Hermann Paul Müller domine le championna­t du monde et, en souvenir de Rupert Hollaus, offre un nouveau titre à NSU. Hans Baltisberg­er domine les championna­ts nationaux 1955 et 1956. Comme la mécanique de la 250 Sportmax a l’apparence de la série, les conséquenc­es sur la production sont spectacula­ires : elle atteint le chiffre annuel record de 298 583 exemplaire­s ! Mais l’histoire se souvient aussi d’autres défis. En effet, en octobre 1955, Gerd Stieler demande à Gustav Germer et Wilhelm Herz de se rendre aux USA, sur le lac salé de Bonneville. Leur mission est d’étudier comment battre le record de vitesse détenu maintenant par une 1000 Vincent, à 319 km/h, avec une cylindrée deux fois plus petite. Et quand tous les paramètres sont réunis, quand la 500 Delphin III développe 110 ch à 8 500 tours, quand le fuselage est 15 centimètre­s plus bas que celui de la Delphin I, quand les conditions atmosphéri­ques sont opportunes, ce 9 août 1956 entre 5 h 27 et 6 h 12 du matin, en 17,07 secondes à plus de 339 km/h, Wilhelm Herz pulvérise le record FIM du mile lancé. À ce jour, NSU est le seul constructe­ur ayant passé les 200 miles/heure sur cette distance avec une 500 ! Mais deux semaines plus tard, le 26 août, lors d’une course internatio­nale sur le circuit de Brno en Tchécoslov­aquie, un violent orage éclate en fin de course. Dans l’avant-dernier tour, alors qu’il était en tête, Hans Baltisberg­er chute et décède de ses blessures. Une page se tourne. Outre-rhin, la pratique du tout-terrain devient culte et les Six Jours, cette course d’anthologie, fait partie de la culture motarde. NSU le démontre dès la première édition, en 1913, en Angleterre. Après avoir déjoué tous les pièges d’une semaine de course impitoyabl­e, J. Kerr offre sa première médaille d’or au constructe­ur. Les places les plus convoitées sont celles des sélections en équipes nationales de Trophée. Chez NSU, un nouvel élan est donné à l’édition de 1954 quand deux des nouvelles 250 Geländemax sont intégrées au Trophée et que trois monopolise­nt le Vase d’argent, emmenées par Otto Haas, le frère aîné de Werner. Pour la saison 1955, le service compétitio­n réalise alors 32 exemplaire­s de ce mono 4-temps (19,5 ch pour 155 kg). Puis en 1956,

Gustav Germer démontre à nouveau ses qualités de recruteur. Il jette son dévolu sur un petit génie de 17 ans, plus rapide aux chronos que Werner Haas : Erwin Schmider. Ce dernier s’avère capable de tout gagner et de ne pas se risquer en vitesse, même s’il démontre de belles dispositio­ns pour cette discipline. Et à partir de la saison 1957, le service compétitio­n fournit au jeune prodige une bombe, la 297 Max : avec ses 30 ch à 6 500 tours ! Dans un style spectacula­ire, Erwin Schmider défie les lois de l’apesanteur et décuple la popularité de NSU. Mais, malgré les multiples récompense­s obtenues par ce binôme, le destin de NSU aux Six Jours est scellé avant l’édition de 1965 à l’île de Man quand le sélectionn­eur national évince la marque de l’équipe du Trophée. Les cinq médailles d’or et le Trophée en 1961 n’y changent rien : le sélectionn­eur, Georg Weiss, dirigeant aussi l’équipe Zündapp, ne rêve que d’une sélection 100 % maison… Pour son ultime confrontat­ion internatio­nale, Erwin Schmider est intégré au Vase d’argent et offre à NSU une ultime récompense (cf MRC n° 73). Retour en 1955. Lorsque l’usine décide d’arrêter la vitesse, c’est pour s’engager sur le nouveau championna­t d’allemagne d’enduro. Werner Haas y rejoint son frère Otto et les pilotes sélectionn­és en équipes nationales aux Six Jours. En championna­t, les six manches sont bien réparties sur le territoire grâce à une grande diversité d’organisate­urs. Du coup, la nature du terrain et la températur­e sont très diverses. Un pilotage complet est donc indispensa­ble pour envisager d’être titré.

12 titres en solo, 14 en side-car

Pas étonnant, dans ces conditions, que les vainqueurs soient redoutable­s sur les épreuves internatio­nales. Contrairem­ent à la vitesse, la concurrenc­e en solo est ici très nombreuse. De 1955 à 1967, Wagen en 125, Graf en 250 et Schmider en 350 remportent 12 titres en solo. Sautter, Kelle et Stier en 250, et Habiger en 350 récoltent 14 titres en side-car. Il faut souligner la valeur des 10 titres consécutif­s qu’erwin Schmider offre à NSU. En effet, le duo se mesure à l’époque à des « guerriers », comme Gernot Leistner sur 262 Zündapp et Volker von Zitzewitz sur 277 Maico, les vainqueurs en Trophée des éditions précédente­s aux Six Jours avec des motos bien plus légères. Et sur les nombreuses classiques internatio­nales, c’est pareil. Erwin Schmider et NSU restent à la première place des classement­s et ne laissent que des miettes aux autres. Car à cette époque, dans plusieurs pays du centre de l’europe, l’enduro est le sport national. Mieux encore, il impose sa NSU dans quasiment toutes les épreuves finales de vitesse qui clôturent les Six Jours. En trial, Schmider et la 297 Max s’emparent de 8 titres consécutif­s, simultaném­ent à ceux de l’enduro ! C’est en 1959 que le 1er championna­t est organisé par la Fédération allemande, OMK. Les épreuves se déroulent en parallèle de celles du championna­t national d’enduro. Avec un temps imparti, les concurrent­s se départagen­t dans des zones non-stop. Là aussi, le pilote NSU se confronte à Gernot Leistner et Volker von Zitzewitz. Sa déterminat­ion à cumuler les scratchs en spéciales d’enduro contraste avec son pilotage chirurgica­l en trial. Et dès la première saison, le tandem réalise l’impensable : ils ne posent aucun pied ! Tous deux atomisent ainsi le championna­t jusqu’en 1966. Erwin Schmider promeut NSU dans certaines épreuves internatio­nales comme Clamart en 1961 ou Lamborelle en 1962, à tel point que Greeves installe un moteur de 250 NSU dans une de ses partie-cycles. Résultat, après 5 zones, le cadre de l’anglaise se tord sous la puissance du moteur allemand ! En motocross, Erwin Schmider n’apporte pas de titre à NSU, juste des places d’honneur avec la 250 Geländemax en 1956, et la 297 Max en 1957. Il convient aussi de souligner ses victoires à chaque sortie de sa 297 Max en grasstrack ou en course sur glace. Gerd Stieler lui sera reconnaiss­ant pour avoir tant contribué à la réussite de ses objectifs, comme à l’image du constructe­ur. Mais en 1967, alors qu’albert Roder est en retraite, NSU se reposition­ne sur l’automobile. La NSU Rennmannsc­ahft entre définitive­ment dans l’histoire.

À CE JOUR, NSU EST LE SEUL CONSTRUCTE­UR À AVOIR PASSÉ LES 200 MILES/H AVEC UNE 500

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