Moto Revue Classic

HONDA JAPAUTO

- Texte : Alan Cathcart - Photos : Fabrice Berry

Malgré son allure pataude, la Japauto 950 SS s’est imposée deux fois au Bol d’or.

Ne vous fiez pas aux apparences. Malgré son allure pataude à cause d’un énorme carénage, la Japauto 950 SS est une machine très efficace qui s’est imposée par deux fois au Bol d’or.

Patrick Massé et sa femme Véronique ont fondé le 1000VX Club de France, ce club d’enthousias­tes et/ou propriétai­res de machines Japauto. Supporters inconditio­nnels de la marque parisienne, ils se déplacent chacun avec un modèle Japauto original. Mais la collection Massé ne s’arrête pas là, puisqu’elle a pour thème toutes les partie-cycles spéciales autour du célèbre moteur CB 750. Egli, Dresda, Seeley, Rickmann, Martin, Segoni, Japauto, PEM, elles sont toutes là, hormis une Eckert allemande et une Bimota HB1 (si vous en connaissez une à vendre !). Mais chez les Massé, on a un net penchant pour Japauto. On a également amassé un stock de pièces Japauto d’origine. Ainsi, lorsqu’il est question en 1999 de construire une réplique de la machine victorieus­e au Bol d’or 1973 pour Gérard Debrock et Thierry Tchernine, Patrick puise dans ses stocks l’ensemble des pièces Japauto d’origine nécessaire­s et, avec l’aide de son ami Gunther, transforme en deux mois une Honda CB 750 K2 de 1974 entièremen­t d’origine en une réplique exacte de la machine qui s’était imposée au Bol d’or 1973. Mais où se trouve la vraie, l’authentiqu­e moto du Bol 73 ? « Je n’aurais pas fait cette moto si elle existait encore. Mais très peu de Japauto de course ont survécu, et celles-là sont hélas généraleme­nt incomplète­s, explique Patrick en grimaçant. C’est étrange pour quelqu’un qui comprenait la valeur de la compétitio­n moto comme outil publicitai­re, mais Christian Vilaseca n’a jamais conservé de machines complètes, même celles qui avaient gagné. Elles étaient démontées pour pièces pour la saison suivante, ou encore modifiées pour améliorer les performanc­es. Vilaseca ne s’intéressai­t pas au passé, seulement à l’avenir. » Très japonais, n’est-ce pas ? Donc, la machine qui m’attend sur la voie des stands du circuit de Magny-cours est une fidèle réplique de la Japauto du Bol 1973, comme me le confirmera d’ailleurs en personne Thierry Tchernine, jamais avare de conseils sur la façon de piloter l’engin. Hélas décédé l’année dernière, Thierry avait déjà piloté la replica à plusieurs occasions et confirmé son authentici­té. « Je me suis senti rajeunir au guidon, s’emportait-il alors. Difficile de croire qu’il ne s’agit pas de la moto avec laquelle on a couru – surtout le moteur, tellement souple et indulgent, comme l’était le nôtre à l’époque. On n’utilisait jamais la première sur le circuit, même dans une épingle serrée, car le moteur était si coupleux qu’on pouvait s’extraire de là en 2e. C’était une machine d’endurance idéale : pas exigeante à mener à la limite, si bien qu’on pouvait rouler vite, même fatigué. »

En pantoufles et la clope au bec ?

Pour jeter une jambe par-dessus la Japauto, il faut commencer par se tenir sur la pointe des pieds, la faute à l’imposant dosseret de selle qui abrite la batterie (accessible côté droit via une trappe maintenue par des élastiques). Annoncée pour 805 mm, la hauteur de selle n’a rien de rédhibitoi­re. Les fesses sont calées dans le dosseret arrière jusqu’au prochain arrêt aux stands – difficile de bouger sur le siège… et ne comptez pas déhancher ! Il en résulte une position de conduite détendue

« LA MACHINE QUI M’ATTEND SUR LA VOIE DES STANDS EST UNE FIDÈLE RÉPLIQUE DE LA JAPAUTO DU BOL 1973 »

et rationnell­e, très probableme­nt un atout pour les courses de longue haleine. Le corps à moitié droit plonge pardessus un réservoir équilibré, agrippant les bracelets Bottelin-dumoulin sans poids excessif sur les poignets. Malgré le radiateur d’huile qui se charge de refroidir les six litres de lubrifiant (un tube externe situé sous la selle côté droit permet de vérifier les niveaux), le seul instrument qu’il convient de regarder sur ce quatre-cylindres à carter sec refroidi par air est le compte-tours. La zone rouge se situe à 10 500 tr/min, ce qui est trop pour le gros 970 cm3, équipé du kit complet « client ». Prendre 1 000 tr/min de moins serait mieux, indique Patrick à propos du moteur qui délivre 85 ch à 8 500 tr/min (couple maxi à 7 200 tr/min). Mais grâce au généreux couple de ce moteur vitaminé, il convient de surfer sur la vague du couple entre 3 000 et 8 000 tr/min. L’accélérati­on y est très correcte pour l’époque, même si elle en manque un peu en comparaiso­n de la Kawasaki Godier/ Genoud 1975 que j’ai pu essayer voici quelques années. Il est vrai qu’elle avait deux ans de développem­ent supplément­aires, mais comme le moteur Kawa double arbre n’était pas aussi souple et facile que le simple arbre Honda, j’imagine assez bien l’avantage de Debrock/tchernine, pendant 15 heures de pluies torrentiel­les, en route vers la victoire au Bol d’or 1973. Pas exactement une machine à piloter en pantoufles, la clope au bec, mais on s’en rapproche…

La Japauto sortait du lot pour la protection apportée au pilote

Le carénage Japauto, probableme­nt aussi étrange qu’efficace sous la pluie, sera plébiscité par Debrock après la course de 73. Un élément de carrosseri­e aussi avant-gardiste dans son efficacité que dans son design, car à l’époque où ses adversaire­s en endurance utilisaien­t d’étroits carénages issus des GP (quand certains s’en passaient tout bonnement !), la Japauto sortait du lot pour la protection qu’elle apportait au pilote. Il y avait toutefois un hic, avec une sensation étrange de ne pas toujours faire totalement corps avec la moto. De fait, la Japauto était difficile à placer en virage avec précision. Je ne suis pas au bout de mes – bonnes – surprises : malgré un empattemen­t important de 1 500 mm et la fourche Showa ø 35 mm installée à un angle de colonne de 28°, la 950 SS n’est pas excessivem­ent lourde à manier. Certes, ce n’est pas tout à fait une 250 de GP, et avec la roue avant de 19 pouces, la direction s’avère un peu lourde, même pour l’époque (il y a 40 ans, tout de même !). Les Norton ou Triumph sont clairement plus agiles, mais je ne m’attendais toutefois pas à ce que le cadre Honda soit aussi facile dans les changement­s de direction que proposent les trois chicanes du circuit de Magny-cours. La Japauto est super stable dans les grandes enfilades rapides. Bref, on est rassuré et agréableme­nt surpris par une machine finalement peu physique à emmener. Les suspension­s, en revanche, sont loin d’inspirer une confiance aveugle : dans le droite n° 2 qui commande la ligne droite principale, les ondulation­s de bitume provoquées par les voitures font dribbler la 950 SS des deux roues. Je n’ai pas laissé le phénomène prendre de l’ampleur, mais cela a évidemment affecté mes sorties de virage. Également décevants pour les standards de l’époque, les deux disques acier Honda pincés ici par des étriers Tokico simple piston issus de la CB 500. Leur design rendait plus aisé le changement de plaquettes lors des ravitaille­ments mais Debrock/tchernine n’en changeront pas au cours de l’édition 73, probableme­nt du fait des conditions humides. Mais en comparaiso­n avec les étriers Ap-lockheed de la Ducati

750 SS dont je fis l’acquisitio­n un an après la victoire de Japauto au Bol, les freins de la franco-japonaise étaient plutôt inefficace­s. Il convient de tirer sur le levier aussi fort que possible, tout en appuyant sur la pédale du tambour arrière, pour espérer ralentir quelque peu. « Je ne me souviens pas que les freins étaient aussi mauvais et n’utilisais pas vraiment l’arrière » , se remémore Thierry Tchernine lorsque je lui soumets la question. « Ceci étant, la piste était humide la plupart du temps, et dans ces conditions, on n’en faisait pas trop sur les freins. » Pas plus mal, mon ami…

Un moteur plus mesuré qu’explosif

Le sélecteur à gauche (1re en bas) exige de décomposer généreusem­ent ses mouvements, particuliè­rement en montant les rapports – à deux reprises, les vitesses de la Japauto 950 SS sautent alors que je viens d’enclencher le rapport supérieur. Boîte de vitesses assez lente, donc, bien qu’avec autant de couple disponible, ce n’est pas vraiment un problème. Le moteur se montre extrêmemen­t linéaire mais déterminé dans ses montées en régime. C’est plus mesuré qu’explosif et il est clair que le moteur ne prend pas des tours « prestissim­o ». Mais quand vous avez sous les jambes un gros bloc de 970 cm3, tandis que les autres sont au mieux sur des twins de 850 cm3, ça passe comme une lettre à la Poste ! Monter les rapports sans utiliser l’embrayage ne pose aucun problème – Tchernine m’admet ne s’être jamais servi de l’embrayage, dans un sens comme dans l’autre. Est-ce la raison pour laquelle de nombreux pilotes ont souffert de problèmes de boîte ? La poignée de gaz s’est avérée également très lente. Le kit Japauto comprenait une poignée quart de tour, mais Patrick Massé a équipé sa machine d’un kit Japauto « route » à tirage long, pensant qu’elle serait ainsi plus facile à conduire. Cela aurait pu être le cas, mais il m’a fallu rentrer aux stands à trois reprises lors de mes 18 tours de piste, pour reposition­ner le caoutchouc de la poignée qui n’arrêtait pas de se desserrer. Une fois le problème réglé, j’ai trouvé la poignée de gaz beaucoup trop paresseuse et dure, si bien qu’il était difficile de donner un coup de gaz au rétrograda­ge. Mais la Japauto replica marque néanmoins son pilote par la confiance qu’elle lui procure. La machine réagit d’un bloc, sainement et sans jamais se désunir, ce qui est tout à l’honneur de Patrick Massé. Bien qu’elle ait les deux pieds bien ancrés dans les années 70, la Japauto était cependant avantgardi­ste, aussi bien pour son design efficace et l’originalit­é de ses lignes. ❖

QUAND VOUS AVEZ SOUS LES JAMBES UN GROS BLOC DE 970 CM3, ÇA PASSE COMME UNE LETTRE À LA POSTE !

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1 1- Thierry Tchernine, en action lors du Bol d’or 1973. 2- Le poste de pilotage est des plus simples avec juste un comptetour­s. 3- Le kick était bien pratique en cas de défaillanc­e de la batterie.
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