Moto Revue Classic

MORBIDELLI V8

Si Morbidelli est connu pour ses deux-temps de Grands Prix, il ne faut pas oublier la 850 V8, un chef-d’oeuvre, au même titre que la Moto Guzzi 500 V8 ou la Laverda V6.

- Texte : Alan Cathcart - Photos : Kel Edge

La Morbidelli V8 est un chef-d’oeuvre, comme la Moto Guzzi V8 ou la Laverda V6.

Demandez à n’importe quel fan de technologi­e d’établir une liste des motos les plus exotiques jamais construite­s et vous y retrouvere­z à coup sûr la 500 Moto Guzzi V8 de GP des années 50, ou encore les Honda NR 500/750 à pistons ovales des années 80. Avec ses 32 soupapes et ses huit bielles, cette dernière était un V8 qui n’en portait pas le nom et qui personnifi­ait le talent japonais pour la pensée latérale et le contournem­ent des règlements techniques. La Morbidelli 850 V8 se doit également de figurer dans ce palmarès des machines exceptionn­elles. Après dix ans de développem­ent, cette GT sportive est sur le point d’entrer en production en 1998. Hélas, alors que les trois premières machines sont sur la ligne d’assemblage et que le carnet de commandes est bien rempli, le projet est abandonné. Laissons Giancarlo Morbidelli, son créateur, nous expliquer la genèse d’une machine mort-née. « Ma femme a insisté pour que nous partions un mois en famille dans une réserve africaine, avec du soleil à volonté mais rien à faire » , se remémore Giancarlo.

« Construire la moto de route ultime »

« Je m’ennuyais à mourir et pour passer le temps, j’ai décidé d’imaginer ma propre machine de route multicylin­dre. À l’origine, je voulais un V12 mais je me suis rabattu sur un V8, qui serait plus pratique pour la GT que je souhaitais créer. Ce n’était qu’un passe-temps au départ, mais lorsque je suis rentré de vacances, j’ai décidé de construire un prototype, sorte de vitrine technologi­que de notre entreprise de machinerie industriel­le. Il m’aura fallu quelque temps avant de pouvoir proposer une moto cousue main pour les amateurs de belles mécaniques. C’est chose faite en 1997, lorsque je décide de me retirer et de vendre l’entreprise. Hélas, la nouvelle direction ne souhaite pas poursuivre en tant que manufactur­ier de motos et arrête la production de la V8 avant qu’elle ne démarre véritablem­ent. Les trois premières machines étaient sur la chaîne, avec deux autres moteurs quasiment complets. C’est frustrant car nous avions effectué 95 % du travail de développem­ent et 75 % du chemin pour une homologati­on européenne (l’angleterre et l’allemagne formaient le gros du carnet de commandes). J’ai bien pensé à essayer de trouver un partenaire afin de reprendre le projet “otto vu” qui me tenait particuliè­rement à coeur. Hélas, personne ne s’est manifesté et il a bien fallu jeter l’éponge. C’est ma plus grande déception parmi toutes les années dans le milieu moto. » Vu son palmarès en compétitio­n, il eut probableme­nt été plus logique que Morbidelli cherche à construire une superbike homologuée sur route, à la sauce Lamborghin­i ou Ferrari. Eh oui, mais c’est que l’homme est imprévisib­le.

« J’en avais fini avec la compétitio­n, indique Giancarlo, et je souhaitais créer une machine de route véritablem­ent unique, avec des aptitudes sportives et des solutions techniques très innovantes, en utilisant les meilleurs composants du marché. En fait, je voulais construire la moto de route ultime, qu’un client pourrait apprécier pleinement sans être un pilote de course, d’où le choix de limiter la cylindrée à 850 cm3 et la puissance aux alentours de 100 chevaux. Ensuite, Weber-marelli est tombé d’accord pour développer et construire un système d’injection électroniq­ue miniaturis­é pour la moto, et nous avons copié sur les moteurs de F1 qu’utilisait mon fils Gianni chez Ferrari et Arrows : j’ai remplacé les papillons d’injection par des éléments rotatifs qui favorisent l’écoulement, tout en diminuant les dimensions de l’admission. De fait, nous avons gagné 20 chevaux sans autre forme de modificati­on ! » De retour des plages africaines avec le dessin général de sa moto jeté sur quelques nappes de son hôtel, Morbidelli confie le projet du moteur V8 à Giorgio Valentini, qui outre Guzzi et Cagiva a également oeuvré chez Porsche, Alfa Romeo et Abarth. « Je voulais que ce moteur ressemble à un V8 Cosworth miniature et il était donc logique que je fasse appel à quelqu’un du milieu automobile. » Le résultat ne peut être comparé qu’à la Guzzi V8, même si son moteur était logé transversa­lement dans le cadre. Le V8 Morbidelli, quant à lui, est en position longitudin­ale dans le cadre tubulaire dessiné par Bimota. « Je savais exactement ce que je voulais, explique Giancarlo. Et j’étais persuadé que cette implantati­on serait la plus esthétique. Comparé à une BMW K100, mon V8 est en fait plus court de 50 mm grâce au décalage sur chaque banc de cylindres. Il n’y a donc pas eu de mauvais compromis concernant les cotes du cade et je reste persuadé que, de cette façon, la moto est beaucoup plus fine et agile. » Tout comme le moteur Cosworth DFV, le moteur Morbidelli à refroidiss­ement liquide est un V8 à 90°, doté de 32 soupapes et quatre arbres à cames en tête. Dans le cas qui nous concerne bien sûr, on constate l’exquise miniaturis­ation du bloc installé sous le pilote plutôt qu’à l’arrière du conducteur. L’alésage x course de 55 x 44,5 mm donne une cylindrée de 847 cm3. Tournant sur cinq paliers, le vilebrequi­n est calé à 180 degrés, de sorte que le moteur se comporte comme une paire de quatre-cylindres en ligne, avec pour effet une sonorité d’échappemen­t caractéris­tique qui, à faible régime, s’avère étonnammen­t basse. Entraînées par le vilebrequi­n via des engrenages, deux poulies situées à l’avant du carter moteur en aluminium entraînent à leur

« NOUS AVONS COPIÉ SUR LES MOTEURS DE FORMULE 1 QU’UTILISAIT MON FILS CHEZ FERRARI ET ARROWS »

tour les courroies et les deux arbres à cames en tête par banc de cylindre. Notons au passage que des essais seront menés pour réaliser un bas moteur en fonte, comme sur le V8 Cosworth DFV ainsi que d’autres moteurs de Formule 1, mais que le projet sera abandonné en raison de problèmes de fonderie. Les quatre soupapes par cylindre – 21 mm à l’admission, 17 mm à l’échappemen­t – sont disposées comme chez Cosworth, avec un angle total de 28 degrés entre elles, avec l’allumage électroniq­ue multipoint Weber-marelli positionné au-dessus du moteur et au milieu du V des cylindres, dans le plus pur style DFV. Les cylindres sont gavés via des corps d’injection rotatifs minuscules de 25 mm. L’unique radiateur d’eau prend place au-dessus du moteur plutôt que devant celui-ci, afin de maximiser la vue sur ce moteur aussi beau que particuliè­rement compact : bien des quatre-cylindres présentent en effet un aspect plus encombrant. Ce V8 a beau être composé de 1 100 pièces, il n’affiche que 70 kg sur la balance. Une boîte de vitesses à cinq rapports est boulonnée à l’arrière des carters aluminium, avec un embrayage à double disque prolongé d’une transmissi­on finale par arbre, confirmant ainsi la vocation Grand-tourisme du V8 de 850 cm3. Le système d’échappemen­t est du type 8-en-1, qui pouvait recevoir un convertiss­eur catalytiqu­e trois voies, selon les volontés du client. On vous le dit, tout était vraiment prêt pour une production en (petite) série !

Le seul prototype trône au musée de Pesaro

Pourtant, lorsque la « moto la plus chère au monde » effectue sa première apparition en 1994, il y a visiblemen­t maldonne : afin de poursuivre dans l’inspiratio­n automobile initiée avec la copie d’un V8 Cosworth, Giancarlo Morbidelli fait l’erreur de confier l’étude de style au célèbre carrossier automobile Pininfarin­a, pour qui le design d’une moto est une première. Le résultat n’est guère probant, et c’est peu dire. Avec ses phares en forme de grenouille, l’accueil est unanime et Giancarlo abandonne le projet de style pour se tourner alors vers Bimota. Suivent un nouveau cadre et une ébauche de style beaucoup plus convention­nelle, pour ne pas dire anonyme, mais qui, au moins, ne nuit pas à la beauté du moteur. Le prototype effectue sous cette forme 5 000 km de tests aux mains de Gianluca Galasso – le pilote essayeur Bimota. Avant que le projet ne soit définitive­ment abandonné, le moteur a également tourné une centaine d’heures au banc. Selon Morbidelli, le carnet de commandes était bien rempli avec un prix de vente de 80 millions de lires en 1998 (environ 45 000 USD). Mais au lieu de cela, le seul prototype jamais construit trône au Museo Morbidelli de Pesaro. Heureuseme­nt que Giancarlo maintient la batterie toujours en charge… histoire de pouvoir faire un petit tour sur la Strada Panoramica qui serpente vers le Nord en longeant la côte Adriatique. ❖

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 ??  ?? 1- Il faut bien avouer que la première version dessinée par Pininfarin­a était très moche. 2- De trois quarts arrière, difficile de croire que la Morbidelli est animée par un V8. 3- La chaîne de montage de la V8 était prête mais les repreneurs de la société en ont décidé autrement... 4- Le tableau de bord néo-classique en ronce de noyer est aussi laid qu’il est illisible. 5- Avant de réaliser ce magnifique V8, Morbidelli avait construit un V deux-temps.
1- Il faut bien avouer que la première version dessinée par Pininfarin­a était très moche. 2- De trois quarts arrière, difficile de croire que la Morbidelli est animée par un V8. 3- La chaîne de montage de la V8 était prête mais les repreneurs de la société en ont décidé autrement... 4- Le tableau de bord néo-classique en ronce de noyer est aussi laid qu’il est illisible. 5- Avant de réaliser ce magnifique V8, Morbidelli avait construit un V deux-temps.
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