Moto Revue Classic

750 BOL D'OR

En 1970, alors que l’usine anglaise vivait ses dernières heures, une Royal Enfield 750 à cadre Rickman courait le Bol d’or à Montlhéry.

- Texte : Guillaume Fatras – Photos : Alexandre Krassovsky

En 1970, une Royal Enfield à cadre Rickman est engagée au Bol d'or à Montlhéry.

Àla toute fin des années 60, Enfield Precision Ltd produisait la série II de sa 750 Intercepto­r. À petite vitesse, 25 machines sortaient de l’usine chaque semaine. La firme battait lentement mais sûrement de l’aile, et si elle avait encore un joyau dans sa boîte à bijoux – ce twin qui tenait la dragée haute aux Commando et aux Bonneville –, elle devenait de plus en plus un atelier d’assemblage, la fourche provenant de chez Norton et le cadre étant sous-traité. De service course, il n’y en avait plus, mais des privés étaient toujours attachés à la marque. Comme Wyndham Richards, un concession­naire du Pays de Galles, qui au début des années 70, passait ses vacances en France. C’est ainsi qu’il poussa par curiosité la porte de Créteil Motors, qui distribuai­t alors les Royal Enfield pour le nord de la France et passa le reste de ses vacances à bricoler sur les motos du magasin ! Avec Lucien Delile, le concession­naire français, le courant passa tout de suite, et Créteil étant à un jet de pierre de Montlhéry où se déroulait le Bol d’or, les deux larrons eurent bientôt envie d’y rouler au guidon d’une Enfield ! Rentré sur son île, Richards prit contact avec l’usine qui, sans barguigner, lui proposa de lui vendre des moteurs seuls (unique élément qu’ils fabriquaie­nt encore).

Trois tours avant de cramer l’embrayage

C’était une aubaine, car il était prévu de changer le cadre de l’intercepto­r, jugé d’entrée de jeu trop médiocre pour convenir à une moto de course. Pour la partie-cycle, notre Gallois se tourna alors vers les frères Rickman, qui diffusaien­t déjà leur cadre adapté de la course pour des twins Triumph Bonneville. Les frères acceptèren­t de travailler sur le moteur Enfield et après un premier prototype dont les attaches moteur cassèrent, ils purent fournir deux partie-cycles complètes pour le team. Wyndham s’occupa d’adapter deux silencieux de BSA Short Track, et de refaire un montage particuliè­rement soigné des moteurs. Enfield, de son côté, proposa deux boîtes de vitesses Albion de Bullet de cross à rapports serrés, qu’ils donnèrent au team en leur souhaitant bonne chance. Presque « street legal » avec son phare d’endurance, la machine fut rodée sur les routes galloises et la vitesse maxi (217 km/h) relevée sur une autoroute locale. Puis les Britanniqu­es prirent la route de Créteil où ils furent hébergés par les accueillan­ts concession­naires qui habitaient au-dessus du magasin. Les essais commencère­nt et les premiers problèmes avec. Dans le virage relevé, les suspension­s arrivaient en butée et la direction devenait erratique. Mais en démontant deux amortisseu­rs de direction sur des Kawasaki 350 de la concession, le problème fut réglé ! On résolut une petite fuite d’huile puis les deux paires de pilotes Brian Adams/

Vince Chivers et Gordon Pantall/ray Knight s’accordèren­t pour qualifier d’horloges leurs twins Enfield. La tenue de route était excellente, la vitesse était là, elle roulait comme les Commando, Triumph Trident et la horde de Honda quatre-cylindres modifiées qui usaient leurs gommes sur la piste. Seul handicap, dû à l’inexpérien­ce du team en endurance, la taille du réservoir, 16 litres, qui autorisait des relais d’une heure un quart seulement quand les autres pouvaient rouler deux heures, ce qui favorisait le repos de leurs pilotes. À 16 heures, les pilotes s’élancèrent façon Le Mans sous un ciel menaçant. Les Franco-gallois n’allaient pas tarder à découvrir leur seconde erreur dans la préparatio­n : la taille de leur carénage. À 18 h 30, la pluie commença à tomber et les autres machines aux « polyesters » proéminent­s protégèren­t bien mieux leurs pilotes. À mesure que l’obscurité tombait, le team regrettait aussi de n’avoir confié l’éclairage qu’à un seul phare Lucas alors que la Triumph d’usine en avait deux. Pourvu que l’unique lampe ne grille pas au mauvais moment ! Les conditions de roulage étaient chaotiques et ce fut notamment l’hécatombe parmi les Honda dont les freinages double disque trop brutaux fichaient leurs pilotes par terre dès que la piste fut détrempée. Sur l’intercepto­r, c’était le disque arrière qui posait problème. Très puissant, si vous appuyiez franchemen­t sur la pédale à 160 km/h, il bloquait la roue et faisait caler le moteur ! Pour éviter qu’il ne marche trop bien sur le mouillé, les mécanos résolurent le problème en versant de l’huile dessus lors d’un arrêt aux stands... Les deux teams connurent des fortunes diverses au début de l’épreuve. Adams et Chivers savaient l’embrayage de l’intercepto­r fragile

LA MARQUE DONNA AU TEAM DEUX BOÎTES DE VITESSES DE BULLET CROSS EN LEUR SOUHAITANT BONNE CHANCE...

et au prix de seulement quelques dixièmes perdus, ils passaient les épingles du circuit sans y toucher, la souplesse du moteur permettant de descendre jusqu’à 1 500 tr/min. L’autre team faisait cirer l’embrayage et tout à leur baston avec les équipages de tête, ne fit que trois tours avant de le cramer ! Et l’embrayage de secours tint une heure de plus seulement...

Une erreur fatale

Heureuseme­nt, on avait envoyé quelqu’un au magasin pour démonter les embrayages des Intercepto­r en stock pour pouvoir continuer à faire tourner ces énervés ! À l’aube, la pluie avait cessé mais le circuit restait détrempé. La Norton d’usine avait rendu l’âme, la Trident, elle, tenait la distance, elle pointait en 4e place. La Laverda avait passé une partie de la nuit dans les pit lanes, ses mécanos ayant changé en un temps record (1 h 30) son vilebrequi­n. Après neuf heures de course, Adams et Chivers pointaient en 7e place. Hélas pas pour longtemps, Vince Chivers rentrait au stand en se plaignant des rapports qu’il avait désormais du mal à engager. La boîte était en train de serrer, et deux tours plus tard, elle se bloqua complèteme­nt. Malgré leurs efforts, les mécanos durent se résoudre à l’abandonner et à se concentrer sur la seconde machine qui continuait à tourner, bien que complèteme­nt aux fraises dans le classement. Elle aussi était en train de limer toutes les dents de sa boîte, mais elle tint jusqu’à la fin de l’épreuve. On touchait là au vrai point faible de l’intercepto­r, dont le modèle de route était déjà connu pour avoir plus de faux points morts que de vitesses ! Enfield n’avait jamais fait évoluer sa boîte, bien que ses moteurs aient pris de la puissance au cours des années, et la transmissi­on ne supportait tout simplement plus les 56 chevaux que le moteur sortait désormais. Prendre une boîte de Bullet cross avait été une fatale erreur. C’était vraiment dommage car l’enfield n’avait rencontré aucun autre pépin mécanique, ni électrique et aurait pu finir la course qui fut remportée par la Trident de Paul Smart et Tom Dickie. La Triumph n’était pas la plus rapide, elle avait juste continué à tourner jusqu’au drapeau à damier. ❖

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