Moto Revue Classic

LES PIONNIERS FRANÇAIS

Si la France est aujourd’hui l’une des nations dominantes de l’enduro mondial, en 1970, la discipline n’existait même pas dans l’hexagone ! Retour sur les pilotes et les épreuves des débuts.

- Texte : Fred Van Hout – Photos : archives Moto Revue

Même si cela paraît assez invraisemb­lable aujourd’hui, c’est ainsi : en 1970, l’enduro n’existe pas en France ! Ni même la régularité tout-terrain, comme on dit depuis de longues années déjà dans d’autres pays européens tels que l’italie, l’allemagne, la Tchécoslov­aquie ou l’angleterre. En effet, si le concours internatio­nal des Six Jours est une tradition qui remonte aux années vingt, il y a belle lurette que nos pilotes ne s’y intéressen­t plus, ni n’y participen­t. L’hexagone est terre de motocross depuis la fin des années quarante, le trial y a percé depuis le début de la décennie suivante, mais le tout-terrain se cantonne à ces deux spécialité­s à l’orée des seventies. Cependant, il y a bel et bien quelques passionnés qui pratiquent dans leur coin et rêvent en évoquant à la veillée les exploits des Jawa, MZ, Zündapp et autres Gilera d’usine, des équipes tchèques, est-allemandes ou italiennes…

La débandade aux ISDT de 1968

Ils ont pour noms Marcel Seurat (expilote de vitesse, importateu­r des motos espagnoles Ossa puis Husqvarna, Ducati Cagiva et MV Agusta), Claude Thomas (motociste à Paris), Alain Chaligne (trialiste, motociste dans la région parisienne) ou Jean-louis Figureau (trialiste, dentiste en Auvergne) et, dès 68, les deux premiers s’engagent aux 43e ISDT (Internatio­nal Six Days Trial, comme on disait encore, trial signifiant concours) en Italie, respective­ment sur une 250 Ossa et une 175 Motobécane ! On imagine la débandade : pilotes et mécaniques insuffisam­ment préparés abandonnen­t vite fait. Mais le virus est inoculé et l’année suivante, à Garmisch, en Allemagne, c’est déjà une véritable équipe tricolore qui s’attaque au Graal des amateurs de tout-terrain : tous sur des Ossa, on retrouve Seurat et Thomas, accompagné­s de Figureau et Chaligne, plus Bernard Chauvière et Mario Liva.

Ce dernier ayant chuté assez tôt, il renonce, tout comme Chauvière, trop vite détruit physiqueme­nt. Chaligne, Figureau et Seurat connaissen­t pas mal de soucis mécaniques et eux non plus ne voient pas l’arrivée, mais Thomas va au bout, ce qui lui vaut une médaille de bronze, performanc­e inédite pour un Français ! Qu’il réédite en 70 en Espagne, alors que ses trois collègues engagés (Seurat, Chaligne et le crossman Jacques Vernier) doivent une fois de plus se retirer avant terme. En 71, à l’île de Man, patrie du Tourist Trophy et pour une fois du tout-terrain, ils sont plus nombreux au départ et deux d’entre eux reviennent de mer d’irlande avec une médaille – d’argent pour Figureau, de bronze pour un autre trialiste, Claude Formicari. À noter, la première participat­ion, malheureus­e, du crossman Joël Queirel, qui rentre quant à lui avec un plâtre, bras cassé…

En 73, la moisson prend du volume

Ils sont douze en Tchéco l’année d’après : Thomas, Chaligne et le crossman Nicolas Samofal (250 Ossa), Queirel, Figureau, le trialiste Jean-marie Huguet et le crossman Jean-pierre Juigné (175 Monark), beaufrère de Serge Bacou, Formicari et son copain motociste-trialiste Bernard Grenier de Monner (125 Monark) et le Réunionnai­s Denis Baillard (175 Greeves) ! Au bout, médaille d’or pour Figureau, l’argent pour Queirel, Huguet et Samofal, le bronze pour les anciens Chaligne et Thomas. Pour la première fois, la France apparaît même au classement par nations, neuvième au Vase d’argent. D’ailleurs, en 73 aux USA, la moisson prend du volume : Queirel et Figureau décrochent l’or. L’enduro entre alors dans la partie plus moderne, plus contempora­ine de son histoire. En 80, les 6 Jours auront lieu à Brioude, puis à Mende huit ans plus tard et une équipe de France au top y remportera la récompense suprême. Un exploit renouvelé lors de l’escale suivante du Mondial d’enduro par équipes sur le territoire, en 2001, comme on sait. Et aujourd’hui, la France est devenue une spécialist­e de l’épreuve avec 7 victoires depuis 2008 ! Mais revenons aux années soixante-dix. Nos amis les pionniers du

AUJOURD’HUI, LA FRANCE EST DEVENUE SPÉCIALIST­E DE LA DISCIPLINE AVEC 7 VICTOIRES DEPUIS 2008

début ont beau tenter une semaine par an l’expérience des Six Jours, leur amour de la régularité tout-terrain n’est pas comblé pour autant ! Ils songent avec envie à des organisati­ons moins lointaines et plus accessible­s, histoire de faire partager leur passion au plus grand nombre. Aussi quelques expériment­ations sont-elles tentées à droite et à gauche dès 70-71, des coups de moto entre copains d’abord, puis de véritables épreuves, plus ou moins réussies, tandis que le vocable enduro (venu des États-unis, comme il se doit) commence à se faire entendre. En 72, de vraies manifestat­ions d’envergure nationale ont lieu à Brioude, en Auvergne, mère patrie de la discipline (sous la houlette de Figureau, bien sûr), puis aux Rousses dans le Jura ou à l’isle-jourdain dans le Sud-ouest (un ratage plutôt rigolo resté célèbre). Et l’on commence à parler d’une série, d’un championna­t : l’année suivante, grâce notamment à Chaligne, véritable homme-orchestre de l’affaire, à quelques mordus comme Gilles Pernet, du journal L’équipe, à François Soulier (qui vient d’ouvrir la première boutique exclusivem­ent consacrée au tout-terrain, Zone 6, à Paris), aux journalist­es spécialisé­s Gilles Mallet (futur créateur du mensuel Moto Verte), Olivier de La Garoullaye et Christian Lacombe et à des sponsors compréhens­ifs (Marlboro, Mennen ou Castrol), un Trophée de France est mis sur pied. C’est le véritable point de départ de la spécialité.

Une première saison globalemen­t réussie

Évidemment, d’entrée, les initiateur­s du projet se heurtent à tous les tracas possibles et imaginable­s auxquels sont confrontés tous les organisate­urs de la terre, l’inexpérien­ce en plus : calendrier, autorisati­ons administra­tives, forces de l’ordre, propriétai­res terriens et même déjà écologiste­s ! Le premier calendrier établi est donc remanié un nombre incalculab­le de fois et finalement, seules trois épreuves ont lieu : Sancerre, Les Rousses et Brioude. En catégorie Nationale (les cracks, il n’y a pas encore d’inters), c’est un match entre Joël Queirel (Monark) et la nouvelle superstar du trial français, Charles Coutard (Bultaco), qui ne dédaigne pas de nouveaux challenges de temps à autre (on l’a aussi vu en cross 125). Finalement, le crossman troyen sort vainqueur de la confrontat­ion devant le trialiste lyonnais peu chanceux, suivent Jean-marie Huguet (Ossa), Christian Rayer (Yamaha) et Jacques Vernier (Ossa), tandis que chez les Débutants, le Trophée consacre l’enthousias­me de Pernet (Yamaha). En 74, enfin, vu la bonne tenue du Trophée, la FFM décide de donner à ce sport naissant qu’est l’enduro le label “championna­t de France”. Une fois de plus, l’entreprise repose sur les épaules d’alain Chaligne, qui se dépense sans compter pour la réussite de cette nouvelle avancée dans l’évolution de la discipline. Et si les contretemp­s restent nombreux, malgré les annulation­s des épreuves de Megève puis des Rousses, cette première saison véritablem­ent officielle est globalemen­t un succès : à Grasse, puis au Lioran, au Corbier (sous la neige !) et à Troyes, l’enduro prend définitive­ment son envol. Joël Queirel remporte le premier titre Inter de l’histoire, devant Figureau et Coutard. Mais ce n’était qu’un début et l’aventure a continué ! ❖

LE LANCEMENT DU TROPHÉE DE FRANCE MARQUE LE VÉRITABLE POINT DE DÉPART DE LA SPÉCIALITÉ

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 ??  ?? 1- Christian Rayer, habituelle­ment trialiste, roulait en enduro sur une Yamaha 360 RT1. 2- À Gaillefont­aine, ce couple d’agriculteu­rs donne un coup de main à un concurrent. 3- À Grasse, au milieu des années 70, ce pilote roule français avec un BPS 125 (moteur Sachs), une veste Soubirac et un casque Bayard !
1- Christian Rayer, habituelle­ment trialiste, roulait en enduro sur une Yamaha 360 RT1. 2- À Gaillefont­aine, ce couple d’agriculteu­rs donne un coup de main à un concurrent. 3- À Grasse, au milieu des années 70, ce pilote roule français avec un BPS 125 (moteur Sachs), une veste Soubirac et un casque Bayard !
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 ??  ?? 1- Le célèbre trialiste Charles Coutard a bien failli devenir champion de France d’enduro. 2- Dans les années 70, en France, les Ossa étaient nombreuses. La marque espagnole était importée par Marcel Seurat, également pionnier de la discipline. 3- Un autre document, la couverture du programme des Trophées de France Enduro organisés par le quotidien L’équipe et les magasins Zone 6 et sponsorisé­s par un cigarettie­r et une marque d’after-shave !
1- Le célèbre trialiste Charles Coutard a bien failli devenir champion de France d’enduro. 2- Dans les années 70, en France, les Ossa étaient nombreuses. La marque espagnole était importée par Marcel Seurat, également pionnier de la discipline. 3- Un autre document, la couverture du programme des Trophées de France Enduro organisés par le quotidien L’équipe et les magasins Zone 6 et sponsorisé­s par un cigarettie­r et une marque d’after-shave !
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