SUZUKI 1000 GSX-R 14
SUZUKI 1000 GSX-R 14
Le lycée Jacques-brel de Choisy-le-roi (94) a réalisé une 1000 GSX-R façon Barry Sheene.
La Suzuki GSX-R 1000 K5 du lycée Jacques-brel s’est donné des airs de Sheene. Un projet humain, pédagogique et historique.
Il faut avouer que ça a de la gueule d’inculquer la culture des Grands Prix à des élèves de bac pro en mécanique moto via une préparation Barry Sheene replica. Ce n’était pourtant pas du tout le but d’arsia, professeur au lycée Jacques-brel de Choisy-le-roi, en région parisienne. Il a un jour ramené dans les ateliers dudit établissement l’une des nombreuses épaves qu’il a achetée dans sa vie de motard et l’a posée là, telle quelle, sans arrière-pensée. La curiosité de ses élèves de cette année 2013 a bouleversé le destin qu’il réservait à la GSX-R tordue, modèle 2004. - « Monsieur, qu’est-ce que vous allez en faire de cette bécane ? - Je vais la remonter, il y a du boulot, mais rien n’est insurmontable, n’est-ce pas ? - On peut la refaire en cours ? » Banco ! Arsia s’en est retourné dans ses pénates, heureux de l’inopinée tournure des choses. Sur le chemin, son esprit a vagabondé, stimulé par la motivation de ses jeunes troupes. On était en plein boum de la « prépa vintage » sur base de Triumph ou BMW, selles plates en cuir, bandelettes sur les échappements… L’idée a germé entre savoir-faire et envie de faire savoir : pourquoi ne pas se lancer dans une néo-rétro sportive, velue, un vrai hommage en bonne et due forme à l’histoire sportive de la moto doublé d’un projet pédagogique ? De Suzuki à Barry Sheene, il ne restait que ce pas à franchir, que l’audacieux Arsia a initié sous son casque, un soir. La GSX-R allait s’offrir des airs de RG 500 d’usine de 1976, nom de code XR 14, le premier titre de Barry. Les lycéens, eux, ne se sont pas émus par la commémoration. « Barry qui ? Comme vous voulez, m’sieur. » Arsia mesurait bien, lui, l’ampleur du projet. La GSX-R qu’il avait acquise une bouchée de pain était pliée en quatre, après un gros high-side et quelques tonneaux. Jantes en trois morceaux, cadre vrillé, fourche en bec-de-lièvre, boucle arrière arrachée… Mais comme le dit Édouard Bracame dans le Joe Bar Team, « Le moteur n’a rien » . L’ambitieux prof a commencé par chercher des carénages de RG 500 qu’il a trouvés en Angleterre
L’IDÉE DE CETTE NÉO-RÉTRO SPORTIVE A GERMÉ ENTRE SAVOIR-FAIRE ET ENVIE DE FAIRE SAVOIR
chez RER, où quelques-uns se font des répliques de motos de course. Une fois l’emballage choisi, ne restait plus que le contenu. « Nous avons ensuite contrôlé toutes les pièces au comparateur car la bécane était très abîmée, continue Arsia. Le projet devenait très pédagogique. Alain Auffray, le magicien de RC3D, redresseur de cadres et soudeur expert, a accepté de se plier à des séances photo pour montrer comment on redresse un châssis. J’ai fait un site Internet du coup où j’explique tout ça : le calage sur le marbre, le trusquin pour vérifier l’alignement, l’usinage de la colonne de direction avant de la recharger en aluminium… » Les élèves en prennent plein les mirettes, enfin les plus motivés. « On a mis trois ans pour la terminer, avec des apprentis plus ou moins concernés. Parfois, je ne pouvais même pas donner une tâche simple à certains parce que ça aurait été trop dangereux… Mais avec certaines classes, ça a très bien fonctionné. » Si le projet pédagogique a une sacrée allure, il ne faut pas oublier la réalité des professeurs de lycées professionnels, souvent confrontés à des orientations hasardeuses, des jeunes gens qui se retrouvent là par dépit à la suite de mauvais résultats au collège.
Un prof impliqué et qui investit
D’autres y viennent bien sûr par passion, mais Arsia doit composer avec tous. Il s’y implique avec conviction et courage, et il en résulte une aventure humaine imprévisible. Il y met aussi ses propres deniers. « J’ai tout avancé. C’est moi qui ai acheté les pièces, la machine… C’est très compliqué d’avoir des budgets par l’éducation nationale, et ce serait aussi très difficile pour nous de justifier l’achat de chaque élément. On ne peut pas tout faire entrer dans un tableau Excel. Avec les élèves, même sur un très beau projet, on n’arrive pas à maintenir leur attention très longtemps. Donc il faut que ça pulse. Alors s’il faut remplir des dossiers avant de débloquer des budgets pour chaque pièce, on ne s’en sort pas. Dès lors, je les ai achetées sur mes propres fonds pour accélérer le projet. Chaque lycéen s’est occupé d’un élément pour participer à l’assemblage final. Il fallait qu’il y ait du répondant derrière. J’ai trouvé les pièces sur des sites d’annonces ou par des connaissances. Une fois la moto terminée, en revanche, Jacques-brel l’a mise en avant. Mais cette machine m’appartient. D’ailleurs, elle est en vente aujourd’hui parce qu’il faut que je récupère ma mise [voir la page Facebook Motor Gaz Factor pour prendre contact avec Arsia, NDLR]. » Une fourche et une jante avant de Suzuki Hayabusa, un té supérieur de Suzuki 750 SRAD, un garde-boue de FZR 1000, un carénage de RG 500… Au-delà de la collecte de
pièces venues de la production moto de ces vingt dernières années, entre débrouilles et calcul, il a fallu respecter l’esthétique de la fameuse RG championne du monde. « On s’est juste reposé sur une grande photo de la 500 d’époque. Mais là, je me suis aperçu, en fouinant, que la RG 500 de Barry Sheene n’était jamais la même ! Les motos de course évoluaient au fil de la saison, donc la RG 500 n’existe pas. C’est une perpétuelle évolution : les jantes, les freins… J’ai fini par choisir ce qui m’intéressait. Pour obtenir quelque chose de cohérent et de fonctionnel. » Arsia voulait trouver des échappements hauts pour respecter ceux de la Suzuki de GP, qu’une Honda Hornet 900 lui a fourni. « Je tenais à reproduire au mieux les fameuses sorties hautes de la RG 500. Il fallait que les tubulures ne soient pas trop visibles sur le côté. J’ai donc décidé de retirer l’amortisseur central pour libérer de la place aux lignes d’échappement. Ce qui nous a conduits à prolonger l’aspect replica de la RG 500 avec deux amortisseurs latéraux. Et la moto fonctionne très bien comme ça sur la route ! Les amortisseurs se sont retrouvés ancrés sur la boucle arrière, qui d’origine n’est pas très solide. Il a fallu fabriquer des platines qui prennent ces fixations d’amortisseurs et arrivent aussi à se river au cadre, avec un souci d’esthétique. Ces platines, nous les avons faites nousmêmes, sauf les soudures, réalisées par RC3D. Un professeur de construction mécanique a dessiné les pattes de fixation avec les élèves, pour donner le travail à faire à un tourneur-fraiseur. Il y a donc eu de la collaboration avec d’autres profs.
Générosité et soutien des pros de la moto
Ce qui m’a beaucoup touché, c’est aussi l’attitude des professionnels de la moto. Ils nous ont spontanément aidés, donné de leur temps. RC3D et AB Décométal nous ont tout fait gratuitement ! SW Motech nous a donné du matériel ! Un ami m’a aussi parlé d’un vidéaste qui a trouvé le projet génial et s’est proposé de venir le filmer pour pas un rond, alors qu’il a passé une quarantaine d’heures à monter cette vidéo. » Pour les pointilleux, apprenez que sur la route, la GS-XR 14 (son doux nom) se comporte très bien avec ses deux amortisseurs latéraux, dont l’inclinaison a évidemment été calculée par Arsia. Ils auront aussi relevé les étriers placés devant la fourche. « La plupart des commentaires négatifs ont porté sur cette position des étriers. Mais ça ne change rien à leur fonctionnement, contrairement à ce que les gens pensent. Pas en Motogp bien sûr, parce que les étriers derrière la fourche se rigidifient au contact des pieds de fourche. Quant à la route, ça ne pose aucun problème. Ces vis de 8 encaissent des contraintes de 500 kg. On a de la marge. Et on correspond mieux à l’esprit RG. » La moto a été terminée en 2016, l’année du 40e anniversaire du titre de Barry Sheene en 500. Arsia l’a réalisé quand il a envoyé la moto en peinture. Il a envoyé un courrier à Suzuki France pour faire connaître l’initiative et a reçu une réponse positive : « Ils m’ont proposé de me joindre à eux sur leur stand exposition ‘‘Préparations’’ du Salon Moto Légende. Ils avaient juste oublié de mettre un panneau devant la machine pour expliquer qu’il s’agissait d’un projet pédagogique du lycée JacquesBrel… Il était très important pour moi de mettre en avant le travail des élèves. J’ai aussi été surpris des réactions des gens, qui découvraient mon métier : ‘‘Ah bon, professeur de mécanique moto, ça existe ?’’ Les gens ne savent pas que derrière chaque mécanicien, il y a eu un formateur. » ❖