Moto Revue Classic

EGLI-VINCENT

À la fin de la saison 1970, Fernand Quiblier, jeune pilote suisse, se rend chez Fritz Egli pour acheter une 1000 Vincent préparée par le génial mécanicien. Il possède toujours cette machine d’exception.

- Texte et photos : Claude Cieutat

1970, Fernand Quiblier se rend chez Egli pour acheter une 1000 Vincent...

À MONZA, DANS LA LIGNE DROITE, JE PRENAIS 240 KM/H, MÊME LES 750 HONDA NE ME SUIVAIENT PAS

Depuis 1973, la belle Egli-vincent dort dans le garage de Fernand Quiblier qui a été son seul et unique propriétai­re. À la fin de sa dernière saison, il y a 45 ans, elle a été remisée en l’état sans aucune restaurati­on. L’air pur et sec du Jura suisse, la qualité de sa fabricatio­n et son entretien méticuleux nous permettent de la retrouver aujourd’hui dans cet état. Mais retournons en arrière, à la fin des années soixante, au début de l’histoire de cette moto. Fernand, mécanicien auto chez Porsche, est passionné de moto. À peine sorti d’apprentiss­age en mécanique, avec ses maigres ressources, Fernand s’achète une Triumph Bonneville avec laquelle il se lance dans le championna­t suisse en catégorie débutant. Sur huit courses, il en remporte sept, une succession de succès qui auraient pu lui valoir un titre national mais il n’en existait pas pour les débutants. Ces bons résultats lui permettent d’être approché par Fritz Egli. Celui-ci lui propose le guidon d’une Egli-vincent, sans doute la meilleure moto pour faire de bons résultats dans son championna­t. Fin 1970, Fernand, qui hésite encore entre une Rickman Trident et l’egli, se décide finalement pour cette dernière et lui en commande une. L’affaire est conclue, et pour 17 000 francs suisses de l’époque, Quiblier devient l’heureux propriétai­re d’une des fameuses Egli-vincent de course, celles qui gagnaient tout entre 1969 et 1973.

Tout de suite dans le coup

« Je l’ai vu se monter, j’allais le voir travailler, c’est moi qui ai choisi ce réservoir et pas celui en forme de banane. j’ai tout

de suite été dans le coup avec cette moto. » Il faut préciser aussi que le moteur avait été préparé par Helmut Fath, le coureur et ingénieur allemand, champion du monde side-car en 1960 et 1968, d’abord sur BMW puis sur sa propre moto avec le fameux 4-cylindres URS de sa fabricatio­n. Grâce à lui, le moteur Vincent sort 80 chevaux à 7 000 tr/min à la roue arrière, mesurés sur le banc de puissance de Fritz. Celui-ci servira aussi à régler la longueur des tubes d’échappemen­t, coupés à la meuleuse, pour optimiser la valeur du couple. Cette moto est une vraie superbike. La signature de Fritz Egli, c’est surtout le cadre poutre de section ronde, léger et rigide. Il est équipé à l’avant d’une fourche Telefork qui ressemble beaucoup à une Ceriani italienne, tandis que le freinage est confié à Fontana, un superbe 4 cames à l’avant et double came à l’arrière. L’industrie italienne fournit aussi les deux carburateu­rs dell’orto de 40 mm qui gavent d’essence le gros V-twin anglais. Elle est soigneusem­ent montée et réglée dans l’atelier d’egli et elle finit habillée par un ensemble polyester. Grâce au gros travail de perçage de tout ce qui peut l’être comme la couronne arrière ou les platines de repose-pied, la moto ne pèse que 160 kg à sec et les Egli-vincent connaissen­t un gros succès aussi bien en Suisse qu’à l’internatio­nal. « La moto était facile à piloter, puissante et fiable. À Monza, dans la ligne droite, je prenais 240 km/h, même les 750 Honda ne me suivaient pas. En trois saisons, je n’ai connu qu’un seul problème, un guide de soupape qui est sorti de son logement. » En 1973, il finit vice-champion suisse, une chute à Hockenheim le privant de la première place.

Difficile reconversi­on

Mais bientôt, le twin anglais n’est plus à la hauteur des japonaises et Fernand passe chez Yamaha. Le changement est radical, entre un gros

quatre-temps anglais et une 350 TZ deux-temps nerveuse et capricieus­e, la reconversi­on est difficile. « La première course à Dijon était une horreur, j’étais complèteme­nt perdu, j’ai dû réapprendr­e à piloter, la puissance de la TZ arrive entre 9 000 et 12 000 tr/ min. C’était le jour et la nuit avec la Vincent, c’est comme si je n’avais rien fait avant. »

Fritz, un boxeur à la tête carrée

En 1979, c’est la fin de l’aventure « compétitio­n » et Fernand Quiblier ouvre une concession Honda et Yamaha à Nyon, au bord du Léman. Il la ferme en 2010 pour partir à la retraite mais n’a jamais cherché à vendre son EgliVincen­t. « 48 ans que j’ai cette moto, j’ai parfois eu besoin d’argent, mais je n’ai jamais voulu vendre celle-là. » Comme on le comprend… Fernand n’était pas le seul à piloter une Egli-vincent. Florian Burki, un autre pilote suisse, roulait aussi sur une Egli. Il est arrivé à la course par sa frangine. Ce n’était pas elle qui pilotait mais son petit ami et c’est en allant le voir courir qu’il a décidé de laisser tomber sa mobylette. Il se paye donc une Triumph Bonneville et court avec le Norton Club de Genève avec de bons résultats en 1968 et 69. Durant l’hiver 1969, il rencontre Fritz Egli au Salon moto de Milan. Ce dernier lui propose de passer le voir chez lui à Betwill pour discuter d’un contrat de pilote Egli pour le championna­t suisse. Il faut préciser ici que Florian avait battu Egli au guidon de sa Bonneville durant la saison 1969 ! Florian se retrouve donc pilote « officiel » Egli de 1970 à 1975 : « Sur l’egli, je ne touchais pas une vis, c’est Fritz qui était le propriétai­re et la chauffait lui-même. Moi, je venais sur le circuit et je ne m’occupais de rien, je n’étais pas salarié d’egli, je touchais juste les primes de départ et d’arrivée. Mais comme j’étais cuisinier, je travaillai­s hors saison dans des restaurant­s. La moto avait une tenue de

48 ANS QUE J’AI CETTE MOTO. JE N’AI JAMAIS VOULU LA VENDRE, Y COMPRIS QUAND J’AI EU BESOIN D’ARGENT

route et un freinage excellents. Le moteur était puissant et très souple et elle était très maniable. Quand tu accélères en courbe, la moto reste bien sur sa trajectoir­e, tandis qu’une 4-cylindres ou une TZ va élargir. Quand je suis passé sur une Egli 350 TZ, le pilotage n’avait plus rien à voir, c’est là que tu apprends à garder les gaz ouverts en courbe et à freiner avec le frein arrière. L’egli TZ était plus dans le coup mais la Vincent était plus agréable à piloter. Fritz était un motard dans l’âme et un mécano astucieux, il trouvait toujours de bonnes solutions et savait bien régler le frein 4 cames Fontana, il montait ses motos avec les meilleures pièces de l’époque et il était un fin metteur au point. Fritz était un suisse allemand, une tête carrée, un ancien boxeur. Avec lui, tu pouvais aller boire des coups dans les quartiers chauds de Zürich, personne ne venait nous emmerder… » En effet, Fritz Egli est un personnage hors du commun. Au milieu des années 60, il rêve de s’offrir une Vincent pour courir avec des chances de succès dans le championna­t suisse. Un collègue propriétai­re d’une Vincent Black Shadow tombe malade et lui cède sa machine, ce coup de pouce du destin lui permet de s’inscrire dans le championna­t national.

Fabricatio­n artisanale

Mais très vite, il s’aperçoit que le cadre de la Black Shadow n’est pas au niveau de son moteur. Il démonte la Vincent pour ne garder que le moteur, tandis que la partie-cycle et tous ses accessoire­s partent à la poubelle. Ensuite, Fritz Egli prend son mètre et s’assoit à sa planche à dessin

pour concevoir un nouveau cadre pour la Vincent. Un cadre à la fois plus léger et rigide, construit en tube Reynolds 531 pour gagner en rigidité et avec de nouvelles cotes afin d’améliorer l’agilité de l’engin. Celui-ci se compose d’une grosse poutre ronde de 100 mm de diamètre qui fait office de réservoir d’huile (d’une contenance de 4 litres) sous laquelle est fixé le moteur, tandis que le bras oscillant, monté sur des roulements Timken, est de section rectangula­ire pour plus de rigidité. L’ensemble ne pèse que 12 kilos et le résultat est excellent puisque sa moto et son fighting spirit lui permettent d’être champion suisse en 1968. Son succès en course et la qualité de fabricatio­n attirent de nombreux clients et Fritz Egli se lance dans la fabricatio­n de motos. Mais il n’a pas la prétention de faire des grandes séries. C’est un artisan qui fignole comme un horloger chacune de ses motos. Celles-ci sont réalisées sur commande. Le cadre est la grande fierté d’egli, il a d’abord été fait pour le moteur Vincent, mais en changeant les plaques de fixation, on peut y monter un moteur de Triumph Bonneville, ou s’orienter vers des motorisati­ons japonaises plus modernes, comme le 450 Honda, les 3-cylindres deux-temps Kawasaki, les moteurs 250 ou 350 TZ Yamaha et pour finir, les gros 4-cylindres Honda ou Kawasaki (voir MR Classic n° 94). Mais ça, c’est une autre histoire.

LE CADRE EST LA GRANDE FIERTÉ D’EGLI. ON PEUT Y MONTER DES MOTEURS DE TRIUMPH OU DE JAPONAISES

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