Moto Revue Classic

Portrait Éric Offenstadt Le pilote ingénieur

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En termes « d’ingénieur pilote » (ou vice versa), le Britanniqu­e Peter Williams est considéré, à juste titre, comme un virtuose. En concevant personnell­ement la Norton John Player monocoque qu’il a ensuite conduite à la victoire en Formule 750 au TT en 1973, il s’est assuré une place dans le livre des records pour l’éternité. Mais Éric Offenstadt, universell­ement connu sous le surnom de « Pépé », s’est avéré encore plus polyvalent que Williams. En effet, sa carrière de pilote motocyclis­te l’a amené à s’illustrer en tant que pilote de Formule 3 et Formule 2 avec des équipes aussi illustres que Matra et Lotus, où il a battu les futurs champions du monde Jackie Stewart et Jim Clark, avant de revenir à la compétitio­n moto huit ans plus tard. Né le 26 décembre 1939 à Cognac, il perd son père dans les premières semaines de la Seconde Guerre mondiale. Le reste de la famille s’installe à Paris après la guerre, où il grandit. « Mais quand j’habitais à Paris, j’étudiais dans un collège technique à Barcelone, se souvient-il, et une fois par mois, pendant deux ans, je faisais Paris-barcelone avec une 250 Matchless, en une seule journée seulement. C’était un bon entraîneme­nt pour les courses d’endurance ! » À l’âge de 19 ans, il rencontre Jean-claude Bargetzi, champion de France 250 et futur rédacteur en chef de Moto Revue, qui le convainc d’aller courir. Une Royal Enfield Crusader prêtée par un ami de Bargetzi remplace la Matchless et Éric se classe 2e derrière Bargetzi aux Coupes du Salon 1959 à Montlhéry, alors que ce n’est que sa deuxième course ! En 1960, il est champion de France Junior sur une Aermacchi 250 et il remporte le titre 175 Senior en 1961. Une carrière prometteus­e à moto se profile, car l’importateu­r français de Norton, Garreau, est prêt à lui fournir une Manx pour les Grands Prix. Mais Offenstadt préfère tenter l’aventure en automobile. « J’avais envie de relever de nouveaux défis et j’avais toujours rêvé d’aller courir en monoplace.

J’ai donc acheté une Formule Junior Lola avec l’argent d’un héritage. » Après avoir fait son apprentiss­age, il passe à la Formule 3 en 1964 avec une Lola, aidé par un nombre croissant de sponsors qui le soutiennen­t. Offenstadt remporte quatre courses du championna­t de France de Formule 3 cette année-là, mais perd le titre en finale à Montlhéry à

cause d’une boîte de vitesses cassée. Malgré ce revers, la saison 1964 a été satisfaisa­nte pour Éric, puisqu’il termine 5e de la course F3 du GP de Monaco – la plus prestigieu­se de la saison –, derrière le vainqueur et futur triple champion du monde F1 Jackie Stewart (Cooper). Le journal L’équipe le hisse au 3e rang des meilleurs espoirs mondiaux, derrière Stewart et le Suisse Silvio Moser, mais devant tous les autres Français. De 1965 à 1969, il va rouler successive­ment pour les écuries Matra (en F3), Lotus (en F2), Tecno (F2), puis Pygmée (écurie française engagée en F2), avec laquelle il achève sa carrière de pilote automobile, après avoir été victime d’un accident sur le circuit autrichien de Tulln-langenleba­rn dont il se sort miraculeus­ement indemne. C’est décidé : il en a assez et abandonne la compétitio­n automobile à 29 ans.

Rencontre à la boucherie du père Beltoise

La décision de Pépé de revenir à la compétitio­n deux-roues vient d’une rencontre fortuite avec un vieil ami au café du Stand 14 à Paris, en face de la boucherie du père de Jean-pierre Beltoise, où tous les amateurs deux-roues parisiens se retrouvent. Pendant les huit années qu’éric a passées en course automobile, la société SIDEMM de son ami Xavier Maugendre, fondée en 1968, est devenue l’importateu­r français de Kawasaki, une grande réussite. Maugendre convainc Offenstadt de revenir au deux-roues en lui offrant une place dans son équipe Kawasaki-baranne pour participer aux championna­ts du monde 500 en 1970, aux côtés de la star française, Christian Ravel. Éric va également disputer le championna­t de France 350 sur une Kawasaki A7R Twin, remportant plusieurs courses mais pas le titre. Au cours de la saison de championna­t du monde 500, Ravel et Offenstadt ont des problèmes avec le moteur de la H1R, qui consomme tellement qu’il nécessite souvent un arrêt au stand lorsque la course dure plus d’une heure. Éric remplace le gros et lourd frein à tambour Kawasaki par la fourche et le frein à disque avant d’une Honda CB 750. C’est la première fois qu’un frein à disque est utilisé sur une 500 en GP. Mais il y a aussi de bons moments, avec la 2e position de Ravel derrière l’inévitable duo Agostini/mv à Spa-francorcha­mps, tandis qu’à Imatra, Offenstadt échoue de seulement 4 dixièmes de seconde pour arracher la 3e place du GP de Finlande à Alberto Pagani. Ravel termine 7e du championna­t du monde, Éric 14e, dans l’hexagone, Ravel remporte le titre de champion de France 500 et en duo, les deux hommes s’offrent les 1000 km du Mans sur la Kawasaki 500 Mach III. Les problèmes de maniabilit­é et de consommati­on de la H1R ont convaincu Offenstadt de construire un cadre monocoque pour la saison 1971. « J’ai été surpris de constater à

quel point la technologi­e des courses de motos avait peu évolué au cours des huit années où je m’étais éloigné de ce sport, dit Éric. La meilleure voiture que j’aie jamais conduite était une monocoque Lotus développée par Colin Chapman. Il était logique d’adapter cette solution aux motos, d’utiliser le réservoir comme cadre pour la Kawasaki, ce qui permettait de transporte­r plus de carbu- rant et d’améliorer la répartitio­n des masses, de créer un cadre plus rigide et plus maniable, et d’économiser du poids. » Xavier Maugendre apporte son soutien au projet et pour la saison 1971, l’équipe Kawasaki-baranne aligne Ravel sur la H1R convention­nelle, et Offenstadt sur la version à cadre monocoque en alu. Celui-ci avait été construit au cours de l’hiver par Pépé lui-même avec l’aide de deux assistants, son nouveau mécanicien de course François Carrera (dit Gary) et Daniel Robin, son partenaire dans la société SMAC qu’il avait créée pour développer et commercial­iser des roues (magnésium pour la course, aluminium pour la route). Équipé du même frein à disque Honda CB 750 à l’avant, il pesait 6 kg de moins que le cadre tubulaire freiné par tambour de la H1R standard mais il était cinq fois plus rigide et contenait 37 litres de carburant – assez pour assurer à Éric de terminer n’importe quel GP sans être forcé de faire le plein. Le cadre monocoque fait ses débuts lors de la première manche du championna­t du monde à Salzburg. Éric démontre la valeur de la nouvelle moto en se qualifiant 2e sur la grille derrière Agostini, et en terminant 3e de la course.

et a terminé 3e du GP d’italie, tandis qu’un troisième cadre est parti au Royaume-uni pour Tony Rutter, en 1976. Avec un moteur TZ 350 Yamaha monté dedans, il a remporté la North West 200, terminé deuxième au Junior TT, troisième au Classic TT, et menait le Senior TT quand il a abandonné à cause de problèmes de moteur. Impression­nant !

Le projet d’une moto 100 % française

C’est également en 1974 qu’éric Offenstadt rejoint le constructe­ur français Motobécane pour développer une 125, mais avec un cadre et une suspension convention­nels, propulsée par un moteur de série développé pour la route. Elle remporte le championna­t de France en 1975 aux mains du regretté Michel Baloche et, équipée d’un moteur de course complet, s’imposera au plus haut niveau avec Guy Bertin (qui remportera cinq victoires entre 1979 et 1980 et sera vice-champion du monde en 1980). Mais c’est en 1976 que Pépé entreprend un projet sur quatre ans pour concevoir une moto de course 100 % française pour les Grands Prix 350 et 500, équipée d’une suspension avant à roue poussée et, bien sûr, d’un cadre monocoque et de freins à disque. Financé par la chaîne de magasins de meubles But, le projet a repoussé les frontières de la conception de motos, y compris le moteur, sans jamais connaître un réel succès. Puis, en 1981, Éric Offenstadt quitte le monde de la moto pour assouvir une autre passion : le vin et la cuisine. Il ouvre un restaurant à Pontoise, au nord-ouest de Paris, et grâce à ses talents de chef cuisinier et à la magnifique cave à vin qu’il a acquise au fil des ans, il s’agrandit rapidement et s’installe à Osny, près de chez lui, dans un grand restaurant appelé La Vigne Gourmande. En dehors d’une brève collaborat­ion avec Tecmas, Pépé s’est concentré sur le métier plus rentable mais tout aussi exigeant de restaurate­ur, jusqu’en décembre 2005 où il vend tout, dont la majorité de ses vins de collection, 600 crus de bordeaux, et se retire à Sète, sur les bords de Méditerran­ée où il vit actuelleme­nt. À l’occasion de son 80e anniversai­re cette année, Éric Offenstadt sera sans doute célébré comme un véritable esprit libre du design moto, ainsi qu’un pilote talentueux et de haut niveau. Joyeux anniversai­re, Pépé ! ✦

 ??  ?? En 1966, Éric Offenstadt est pilote automobile. À Montlhéry, il discute avec Jean-pierre Beltoise.
En 1966, Éric Offenstadt est pilote automobile. À Montlhéry, il discute avec Jean-pierre Beltoise.
 ??  ?? 1971, les débuts de la monocoque en Grands Prix.
1971, les débuts de la monocoque en Grands Prix.
 ??  ?? En 1977, il vante les mérites de sa fourche inversée en magnésium.
En 1977, il vante les mérites de sa fourche inversée en magnésium.
 ??  ?? 1. Les carburateu­rs Mikuni sont démunis de filtre à air. 2. La fourche provient de chez Rickman et les étriers de chez Lockheed. 3. Éric Offenstadt mène le GP d’autriche 500 devant Keith Turner et Agostini.
1. Les carburateu­rs Mikuni sont démunis de filtre à air. 2. La fourche provient de chez Rickman et les étriers de chez Lockheed. 3. Éric Offenstadt mène le GP d’autriche 500 devant Keith Turner et Agostini.
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 ??  ?? En 1971, avec la Kawa 500 H1R, Offenstadt est en tête du GP de RDA devant Keith Turner (Suzuki).
En 1971, avec la Kawa 500 H1R, Offenstadt est en tête du GP de RDA devant Keith Turner (Suzuki).
 ??  ?? Sur une grille de départ en 1972, Ago indique un problème à Offenstadt. En 1973, Offenstadt participe aux 200 Miles de Daytona sur une Kawasaki 750 H2R.
Sur une grille de départ en 1972, Ago indique un problème à Offenstadt. En 1973, Offenstadt participe aux 200 Miles de Daytona sur une Kawasaki 750 H2R.
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 ??  ?? 1. La But en action lors du Grand Prix de France 1978, ici en version 500 cm3. 2. Hervé Guilleux sur la But 350 au GP de France 1979. Derrière, Éric Offenstadt veille. Elle arbore fièrement le drapeau tricolore.
1. La But en action lors du Grand Prix de France 1978, ici en version 500 cm3. 2. Hervé Guilleux sur la But 350 au GP de France 1979. Derrière, Éric Offenstadt veille. Elle arbore fièrement le drapeau tricolore.
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