CHRONIQUE JEAN JUNIOR
JJ nous raconte la vie bien remplie de Paul Niedermann.
Il était l’un des derniers, peut-être le dernier, de la vague des journalistes apparus dans la presse motocycliste au lendemain de la dernière guerre.
Décédé en décembre dernier, Paul Niedermann (à gauche sur la couverture de Motocycles) aurait pu rejoindre l’équipe de Moto Revue, mais c’est à Motocycles, la concurrence, qu’il est allé. Il est vrai qu’au moment où il s’y est présenté, vers 1950, la rédaction de MR était au complet. Il est possible aussi que
Camille Lacôme, son directeur, ait jugé que le contingent de « nomades » européens dans sa revue avait atteint sa limite. Il y avait déjà le maître de la règle à calcul Jacques Birger, juif lituanien qui avait fui son pays envahi par les nazis. Bruno Nardini, engagé pour Scooter & Cyclomoto et qui deviendra rédac’ chef de Moto Revue. C’était un rescapé de Lipari, une île des Éoliennes où l’Italie fasciste de Mussolini déportait ses récalcitrants politiques. Enfin, toujours à Moto Revue, au rayon dessinateur, caricaturiste et retoucheur-photos, on trouvait Antonio Arguello, exilé espagnol de 1939 lorsque Franco, le dictateur ami d’Hitler, s’était emparé du pouvoir. Chassé de Karlsruhe, sa ville natale, parce qu’il était juif,
Paul Niedermann a connu de multiples aventures en se cachant de la Gestapo puis de ses sbires lorsqu’il arriva en France en 1940. Il a souffert la faim et le froid dans les divers camps de « regroupement » du gouvernement des collabos de Vichy (Gurs, Rivesaltes) avant de trouver refuge dans l’Ain, à Izieu où l’OSE (OEuvre de Secours aux Enfants) recueillait les enfants juifs, orphelins pour la plupart. Sa taille au-dessus de la moyenne risquant d’attirer des attentions malveillantes, il fut décidé de le faire passer en Suisse. C’est ce qui lui évita de subir le sort tragique des 44 autres enfants raflés en 1944 sur l’ordre de Klaus Barbie et envoyés directement vers les chambres à gaz d’AuschwitzBirkenau. C’est en mémoire de toutes les victimes de la Shoah que Paul Niedermann
consacrera de nombreuses années de son existence à témoigner. Il ne se voulait pas historien mais simple témoin. C’est d’ailleurs en tant que tel qu’il sera au procès de Barbie à Lyon en 1987. De collèges en lycées, il racontait ce qu’il avait vécu. Sur Internet, on trouve des extraits de ses interventions, utilisant des termes simples et précis tant il était soucieux d’être compris. Pas rancunier, il avait un faible pour les BMW. Au début des années 50, il fut donc assez content de débarquer un matin à Moto Revue pour présenter à J. B. (Jacques Birger) sa nouvelle acquisition : une R51/3 « raide neuve » rapportée d’Allemagne. Pour éviter les droits de douane importants à l’époque, il avait choisi un poste-frontière perdu dans la nature et auparavant, et avait roulé dans la gadoue afin de salir sa machine qu’il présenta aux gabelous comme étant une occasion. Birger, lui, pour la même R51/3, avait payé le prix fort chez l’importateur Latscha qui plus est au terme de plusieurs mois d’attente car les motos étaient contingentées comme beaucoup d’autres biens d’importation. Dans la petite communauté d’Allemands francophones et francophiles vivant en France, Paul s’était lié avec Christian Christophe (CH2) qui travaillait chez Motobécane et « pigeait » un peu à Moto Revue. Plutôt branché trial, Christophe était quand même intéressé par les épreuves d’endurance. Il avait d’ailleurs couru au Bol d’Or en 1938 sur une 100 DKW, puis en 1953 sur une 250 Tornax, une machine allemande à moteur ILO mono deux-temps.
Il ne rechigna pas à remettre le couvert
(il avait tout de même 51 ans) et participera à deux autres Bol d’Or en compagnie de Paul Niedermann. En 1954, ils se relaient au guidon (photo 3) d’une Adler 250 Adler attelée à un side-car lesté (60 kg) qu’ils mènent à la 20e place du général à 71,225 km/h. Niedermann n’avait jamais conduit un tel engin auparavant ! C’est seulement le dimanche d’avant le Bol qu’il avait fait des ronds en forêt de Meudon et vers Saint-Germain-en-Laye avec l’attelage BMW-Précision de Birger. Durant le Bol, pas d’autres problèmes qu’une fuite d’huile au carter de boîte et une rotule cassée sur le châssis du Steib. La soudure réparatrice a été exécutée en 15 minutes sur un stand ami (solidarité side-cariste !). Nouvel attelage, toujours lesté en 1955, cette fois avec une 600 BMW R69 qui sera contrainte à l’abandon au bout de 14 heures. Roulement d’embiellage mort. Les pilotes avaient oublié qu’un moteur fonctionne à l’essence et avec – aussi – un minimum d’huile... 1956 marque la fin du duo francophile, mais Paul est «vacciné Bol d’Or». Il passe à la concurrence allemande chez Zündapp. Toujours en 250, il fera équipe avec l’Allemand Hoffman, lui aussi un « ancien » du Bol de 1938. On le voit sur la photo 2, tandis que Niedermann essaie un plat ventre sur leur machine (1). À 97,850 km/h de moyenne, ils terminent à la 6e place du classement général et « seulement » deuxièmes de leur catégorie. « Seulement », car ce Bol 1956 a confirmé l’offensive des deux-temps de l’est. La menace s’était précisée au Bol précédent gagné par une 350 Jawa d’usine, profitant des ennuis à répétition de la Norton Manx de Lefèvre. En 1956, c’est encore une 350 Jawa « usine » qui termine juste derrière la
C’EST EN MÉMOIRE DES VICTIMES DE LA SHOAH QUE PAUL NIEDERMANN CONSACRERA SA VIE À TÉMOIGNER
Norton de Lefèvre-Briand (à la 15e heure, elle était même en tête !), tandis qu’en 250, la victoire revient à une Pannonia d’usine. Cette hongroise « Sport » est une mono deux-temps, double échappement, qui signe un étonnant 101,062 km/h. Pilote toujours partant, Niedermann s’engage dans le Bol 1957 avec pour partenaire Robert Court, journaliste lui aussi à Motocycles et Scooters. La rédaction de cette revue, contrairement à celle de Moto Revue, comptait plusieurs journalistes-pilotes. En plus des deux personnages précités, il y avait Nebout alias Tano (pour la vitesse) et Mouchet (motocross). Au vu de son bon résultat précédent, pour 1957, Niedermann a obtenu le prêt d’une Zündapp 250, la nouvelle version de la S avec fourche type Earles. Simplement dépourvue de son carter de chaîne et dotée d’un garde-boue avant allégé, elle roule en catégorie Sport qui interdit certaines modifications aptes à augmenter les performances. Essayée auparavant par Moto Revue, elle a atteint 131 km/h en position couchée. De quoi voir venir, donc. C’était sans compter sur une rivale allemande de choix, mais en 4-temps : la NSU Max à arbre à cames en tête, classée Sport elle aussi. Redoutable pas seulement dans sa catégorie puisqu’à la fin de la 21e heure, elle était troisième du classement général... lorsque son moteur se bloqua ! D’où la victoire de l’équipage Niedermann-Court avec une moyenne de 98 km/h et une place de 8e au général. À la fin des années 50, la moto va mal, comme on le sait, et le Bol d’Or s’étiole lentement avant de mourir en 1960. Toujours à Motocycles, Paul Niedermann suit la ligne éditoriale de la revue qui se tourne de plus en plus vers la voiturette, NSU Prinz, Zündapp Janus, Maicomobil et autres Goggomobil. Il essaie la Vespa 400, voyage jusqu’en Bulgarie dans une Isetta. Puis sa signature se fait plus rare. Elle disparaît à l’automne 1958. Les éléments biographiques sur lui sont alors inexistants. La vie a dispersé son entourage. On parle d’une carrière dans le journalisme dont on peine à trouver trace. C’est grâce à la moto que je vais le revoir. C’est Alain De Moor, de Moto Village, spécialisé dans le flat-twin germain, qui, un jour, m’a parlé de lui : « Un ancien journaliste moto qui s’intéresse aux BMW », quelque chose comme ça. J’ai fait le rapprochement. Je voulais lui montrer des photos de side-caristes trouvées en brocante pour qu’il les identifie. Je pensais qu’il s’agissait de Sabine et
Miron Slatyn, le couple qui avait hébergé les enfants juifs d’Izieu. Paul et moi nous sommes rencontrés à l’occasion de l’une des toutes premières expositions d’anciennes à Vincennes. Devant mes photos, il fut catégorique, ça n’était pas les gens qu’il avait connus. Nous en sommes restés là, après une courte évocation de nos souvenirs autour de Jacques Birger, Christian Christophe, François l’importateur Zündapp, etc.
Je crois me souvenir que Paul avait alors un magasin d’appareils photo, mais j’ai oublié de l’interroger sur son parcours après Motocycles. La dernière mention que je connaisse de lui a été sa signature de la traduction en français du Grand livre BMW de Stefan Knittel. Encore et toujours les flats teutons !