Moto Revue Classic

LES TRIUMPH DE BOBBY

En 1953, aux États-Unis, Bobby Sirkegian, 12 ans, avait déjà conquis deux titres en dragster. Retour sur son histoire et ses motos.

- Texte : Christophe Gaime - Photos : Bonhams & DR

Connaissie­z-vous Bobby Sirkegian, jeune pilote américain de dragster et de flat-track ?

De nos jours, il n’y a rien de surprenant à voir rouler en compétitio­n des gamins d’une dizaine d’années. Mais imaginez dans les années 50. De l’autre côté de l’Atlantique, en Californie pour être précis, un gamin de 12 ans a été deux fois champion en dragster en 1953. Si Bobby Sirkegian est revenu sur le devant de la scène ces derniers temps, c’est parce que ses machines, restaurées par ses soins, ont été proposées lors d’une vente aux enchères organisée par Bonhams. Bobby avait de qui tenir : son père, Bobby Senior, avait été pilote pour les usines Harley-Davidson, Indian et Excelsior en board-track. Puis il a ouvert une concession Indian à Fresno, en Californie, avant de monter la plus grosse concession de la marque sur la côte est, dans le New Jersey. Mais la famille est revenue en Californie quelques années plus tard et en plus de la marque Indian, a ajouté Triumph, Ariel, BSA et BMW à son portefeuil­le. De plus, Bobby Senior a construit des pistes de dirt-track (flat et TT) et a même organisé des courses. « Mon père a couru en board-track et en dirt-track de 1910 à 1928, se souvient

Bobby. C’est grâce à lui que je me suis lancé en compétitio­n avec succès. Sans son expérience et son soutien, je n’aurai rien fait de bien. »

Dès l’âge de 6 ans, Bobby s’est fait les dents avec une Corgi modifiée (une moto de l’armée qui était destinée à être parachutée) sur les pistes tracées par son père. Mais à l’âge de 12 ans, son amour pour la vitesse a pris une autre tournure lorsque son père l’a emmené sur une épreuve de dragster, une discipline en plein essor sur la côte ouest. Pour Bobby Junior, ce fut le déclic et il voulut à tout prix faire partie de la fête. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour convaincre Bobby Senior qui mit en chantier une moto de sprint sur base de Triumph Speed Twin de 1948 à partir d’une épave qui avait brûlé suite à un problème électrique. Après être passée entre les mains expertes du pater, la bécane était d’un tel niveau de finition qu’elle fut baptisée « Pretty Boy », « beau gosse » en langage d’aujourd’hui.

Rien ne lui faisait peur

À son guidon, Bobby participa à sa première course officielle en 1953 à Pomona et s’imposa dans les catégories 500 et 650 : « J’avais douze ans, j’étais pilote de dragster et double champion », raconte-t-il. La carrière, beaucoup trop brève, du jeune Américain venait de commencer. En plus de la 500, Bobby Senior avait construit une 650 baptisée tout simplement Pretty Boy II. Les moteurs des deux machines avaient été confiés à Fred Ford, le chef mécano de chez Sirkegian. Ceux-ci reçurent des traitement­s similaires avec des culasses préparées, un taux de compressio­n augmenté (12 à 1 au lieu de 8,5 à 1), un vilebrequi­n spécial, des gros carburateu­rs, etc., etc. De quoi transforme­r les paisibles Triumph en des bêtes de course. La 500, par exemple, atteignait plus de

DÈS L’ÂGE DE 16 ANS, BOBBY S’EST FAIT LES DENTS SUR UNE MINI-MOTO

177 km/h au bout de 400 mètres ! Et malgré son jeune âge, Bobby devint un compétiteu­r redoutable, il avait ça dans le sang.

« J’ai enchaîné avec quatre autres victoires à Dodge City en 1954, en 500 et 650 avec du carburant du commerce mais également en catégorie Fuel avec du carburant spécial et Top Eliminator. J’ai aussi gagné une épreuve sur route de 40 kilomètres réservée aux 200 à 350 cm3 sur une Triumph Tiger Cub de série. » Rien ne lui faisait peur. Le talent de ce jeune prodige n’a pas tardé à être reconnu dans tous les États-Unis et c’est pour cela que, malgré son jeune âge, Bobby a obtenu une dérogation pour s’aligner sur le lac salé de Bonneville au guidon d’une Triumph 650. Pour s’attaquer au record de sa catégorie, le twin anglais a bien évidemment subi une grosse préparatio­n : réalésage, culasse préparée, grosses soupapes avec ressorts S&W, carburateu­rs Amal GP et bien d’autres choses… Rollie Free, célèbre pilote Vincent et ami de la famille, offrit une paire de pneus Avon en 300 x 21 développée spécialeme­nt pour l’utilisatio­n sur lac salé. Avec sa Triumph, Bobby atteint 196 km/h, une vitesse insuffisan­te pour battre un record mais assez importante pour impression­ner un gamin de 13 ans ! D’ailleurs, ce fut la première et la dernière apparition de Bobby dans l’Utah.

Invincible sur les accélérati­ons

En revanche, il a continué à écumer les pistes de dragster avec succès et durant quatre saisons, il empocha pas moins de 200 victoires. « Lorsque le feu passait au vert, j’étais souvent le premier à partir et je bénéficiai­s aussi de mon poids plume pendant le run… » Autant vous dire que quand il était parti devant, il était impossible à rattraper.

Un autre fait d’armes de Bobby fut son apparition dans une émission de télévision nationale baptisée You asked for It (Vous l’avez demandé, en français).

Au guidon de sa Triumph, Bobby devait affronter, sur la piste de Pomona, une voiture dragster animée par un gros V8. Et Bobby, du haut de ses 14 ans, ne fit qu’une bouchée de la bagnole ! Devenu invincible sur les courses d’accélérati­on, il décida de se lancer dans le Grand National Championsh­ip qui regroupait à l’époque les courses de dirt-track et celles de vitesse. Il lui fallut trouver alors une monture plus adaptée et son père étant aussi revendeur BSA, son choix se porta sur Gold Star 500. « J’ai toujours voulu rouler en dirt-track et j’ai participé à ma première course en 1956. C’était encore plus excitant de devoir affronter une douzaine d’adversaire­s à la fois, spécialeme­nt quand je les battais ! », explique-t-il aujourd’hui. Entre 1957 et 1961, il est toujours situé dans les 10 premiers, aussi bien en catégorie amateur qu’en Expert.

Durant la saison, Il disposait de trois machines. Une pour

ENTRER DANS LA COURBE À 180 KM/H SANS FREIN, C’ÉTAIT QUELQUE CHOSE

les courses sur route – dont Daytona –, une autre pour les pistes en terre de 1 600 mètres (le mile) et une dernière pour les pistes en terre de 800 mètres (le half-mile).

À 17 ans, sa première saison complète en dirt-track fut couronnée par la première place en catégorie Novice. En 1958, il était prêt pour aller rouler à Daytona sur une BSA d’usine. La machine avait été envoyée par l’usine aux USA l’année précédente pour le pilote Al Gunter qui l’utilisa à Daytona. Il signa la pole position et termina 2e derrière la Harley-Davidson de Joe Leonard. En fin de saison, l’importateu­r américain la vendit aux Sirkegian.

Les exploits se succèdent

Elle était montée avec un gros réservoir qui permettait d’effectuer les 200 miles avec un seul ravitaille­ment. Les autres différence­s avec une BSA Gold Star étaient les ressorts de soupape, la boîte de vitesses RRT2, le frein avant de 190 mm, les amortisseu­rs arrières et le gros filtre à air. Cette moto assemblée par le service course BSA prenait plus de 200 km/h et rappelons qu’à l’époque, une partie de la course se déroulait sur le sable… Bobby se qualifia en première ligne de la course de 100 miles réservée aux novices et finit 4e. Dans le même temps, il écumait les pistes en terre et en goudron. Loin de faire de la figuration, il termina 2e derrière Joe Leonard (pilote officiel Harley) sur le tracé de Riverside. Impression­né par le V-twin américain, il abandonna brièvement sa Gold Star pour rouler sur une Harley mais il réutilisa l’anglaise jusqu’à sa dernière saison de course, en 1960. Le préparateu­r du gromono anglais n’était autre que Fred Carrillo qui se lança dans la fabricatio­n de bielles quelques années plus tard.

Les exploits se succédèren­t et il emporta 12 fois l’Ascot Park, un ovale de terre battue qui comporte un saut et un virage à droite (un TT steeple-chase) ! Pourtant, c’était sur les ovales de terre de 1 600 mètres qu’il se sentait le plus à l’aise : « Entrer dans la courbe à 180 km/h sans frein, c’était quelque chose. J’aimais aussi beaucoup l’ancien circuit de Daytona constitué à moitié de goudron et à moitié de sable… » En 1961, après une nouvelle victoire lors du Mile de Phoenix, son père mourut subitement et à 20 ans, Bobby mit un terme à sa carrière pour reprendre l’affaire familiale. « J’ai vécu de grandes choses et mes premières victoires en dragster à Pomona resteront gravées à jamais dans ma mémoire. Le frisson du dirttrack est aussi inoubliabl­e. » Sans la mort de son père, Bobby aurait peut-être pu devenir le meilleur pilote américain. Quoi qu’il en soit, depuis, aucun pilote US n’a réalisé d’exploits similaires à cet âge-là !

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Les Triumph de Bobby Sirkegian étaient préparées par son père, ancien pilote de board-track.
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Bobby en 1953 à Pomona. Il vient de s’imposer en dragster dans les catégories 500 et 650 cm3.
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Pour un show télévisé américain, Bobby Sirkegian a même affronté un hot-rod. Et il a gagné.
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1. Baptisée « Baby Mine », cette Triumph est une Thunderbir­d 650 de 1951. 2. Avec cette Triumph, Bobby a atteint 196 km/h à Bonneville. 3. La BSA 500 Gold Star ex-Al Gunter utilisée par Bobby en 1958. 4. Pretty Boy II a été vendue 22 350 € en 2010.
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 ??  ?? 1. Bobby Sirkegian sur sa première moto, une Triumph Speed Twin de 1948. 2. Bobby est devenu un champion avant même d’entrer dans l’adolescenc­e.
3. Avec sa petite taille et son poids plume, Bobby était imbattable lorsque le feu passait au vert.
1. Bobby Sirkegian sur sa première moto, une Triumph Speed Twin de 1948. 2. Bobby est devenu un champion avant même d’entrer dans l’adolescenc­e. 3. Avec sa petite taille et son poids plume, Bobby était imbattable lorsque le feu passait au vert.

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