Moto Revue Classic

LES FRANÇAIS EN GP

Le 70e anniversai­re de la création des Grands Prix, nés en 1949, est l’occasion de célébrer l’époque dorée des pilotes français en Grands Prix. La Fédération française de motocyclis­me édite ainsi un livre consacré à cette période bénie.

- Texte : Zef Enault - Photos : archives MR.

Dans les années 70 et 80, les Français étaient nombreux dans le Continenta­l Circus.

Que s’est-il passé en France dans les années 1960 ? Pas grand-chose côté compétitio­n moto, mais d’immenses bouleverse­ments dans le quotidien de chacun, qu’il soit agriculteu­r ou collégien. Quelques aventurier­s me feront mentir, comme Jacques Collot ou Jacques Insermini, pilotes privés en championna­t de France et courses Inter, présents sur quelques Grands Prix. D’autres, profession­nels de la moto, faisaient aussi quelques incursions dans le Continenta­l Circus, comme Benjamin Savoye et bien sûr, Pierre Monneret. Une étoile filante a créé l’illusion, dans la première moitié de la décennie : Jean-Pierre Beltoise, onze fois champion de France, bataillait devant en GP avec son Kreidler 50. Non, vraiment peu de pilotes français tentaient leur chance en Grands Prix au moment même où la

France se relevait. Et aucun ne s’engageait dans la totalité du championna­t du monde.

Cirage

Il a fallu le yé-yé, la télévision, le blue-jean et Mai 68 pour que les jeunes Français se débrident et osent. Un pouvoir d’achat plus coquet, aussi. Et quelques entreprena­nts : Georges Monneret d’abord, qui a lancé l’Opération des Jeunes Tigres en 1966. Olivier Chevallier s’y est limé les crocs. Puis, en 1969, la victoire de Jean Auréal au Grand Prix de France 125, qui a éveillé les conscience­s. Deux ans plus tard, l’importateu­r Kawasaki, Xavier Maugendre, mit en place le premier team organisé français pour s’attaquer aux GP, Kawasaki-Baranne. Christian Ravel et Éric Offenstadt y ont brillé. Maugendre lance la Coupe Kawa 350, avec Moto Revue, en 1971 et Jean-Claude

Olivier, jeune responsabl­e de la communicat­ion et de la compétitio­n chez l’importateu­r Yamaha, Sonauto, ne voulait s’en laisser conter. Il prit Jean Auréal sous sa coupe en 1969, puis Christian Bourgeois et ensuite Patrick Pons, en 1973, après qu’il a remporté la Coupe Kawasaki. Un autre pilote, vainqueur du Bol d’Or en

1969, faisait son chemin en solo : Michel Rougerie. Le retour du Bol d’Or fut aussi l’un des moments clés du boum de la moto au tout début des années 1970. De même que l’arrivée des Kawasaki trois-cylindres et surtout, de la Honda CB 750. Puis Yamaha commercial­isa les TZ 250 et 350, des compéclien­ts abordables et performant­es. Tout était en place pour un feu d’artifice qui dura une quinzaine d’années.

DEUX FRANÇAIS SUR LA PREMIÈRE LIGNE EN 500 CM3 !

La France rigole alors, malgré le premier choc pétrolier de 1973. La jeunesse décomplexé­e rêve d’intensité. On ne pense pas à préparer les vieux jours, hypothèse lugubre, mais plutôt à souffler sur les braises de l’enthousias­me.

Locomotive­s

Michel Rougerie dit qu’il ne sait pas le matin ce qu’il va faire le soir. Il se lance dans l’aventure des GP en 1972, avec l’appui de l’importateu­r Aermacchi, en 250 et 350 cm3. L’année suivante, Patrick Pons le rejoint, sur des TZ préparées par les frères Maingret pour le compte de Sonauto. Ces deux-là montent sur les podiums des Grands Prix, roulent Porsche ou De Tomaso, figurent en couverture des magazines, continuent de s’aligner sur les grilles des courses françaises… Ils font rêver mais restent abordables. Et c’est toute une génération de jeunes motards qui veut leur ressembler. Au milieu des années 70, d’autres se lancent : Christian Sarron, Jacques Bolle, Guy Bertin… Certains couraient déjà en championna­t de France, comme Patrick Fernandez ou Jean-François Baldé, mais les GP leur semblaient désormais accessible­s.

À cette époque, on s’engage au dernier moment, selon le bon vouloir de l’organisate­ur de chacune des épreuves. En 1975, Rougerie passe tout près du titre en 250 cm3, Christian Sarron finit second de la Coupe Kawasaki.

Deux ans plus tard, ce dernier gagne son premier GP et termine à la troisième place du championna­t FIM 750, où l’on trouve de nombreux Français. Dès 1978, de nombreux podiums accueillen­t des Français. L’apothéose commence là. Patrick Plisson finit troisième du championna­t du monde 50, Patrick Fernandez fait de même en 250, Thierry Espié est cinquième en 125 et Michel Rougerie sixième en 350 et dixième en 500. On compte huit Français dans les dix premiers des cinq catégories, et Christian Sarron est troisième du championna­t 750. En 1979, le premier titre tombe. Ce n’est pas en Grands Prix, mais en championna­t du monde

750, et c’est Pons qui l’obtient. Plisson a, lui, réitéré son exploit en 50, et Fernandez est vice-champion du monde 350. Les portes ont cédé, la pression française est trop forte. En 1979, sept Français marquent des points en 250 et 350, neuf en 125, trois en 500 et deux en 50. L’engouement est tel que le rêve d’une moto française en GP a ressuscité : ABF en 50, Motobécane en 125 et bientôt Pernod en 250, sans oublier l’extravagan­te BUT d’Éric Offenstadt et les débuts du projet Elf.

TF1 retransmet des épreuves, L’Équipe fait ses choux gras des stars tricolores du Continenta­l Circus, Rougerie s’acoquine avec Johnny Hallyday, Monsieur Moto

(le présentate­ur Yves Mourousi) chuchote à l’oreille des politiques qu’il faut choyer les idoles de la jeunesse… La vitesse est tendance, elle fait dynamique, à l’image du Concorde ou du TGV. En 1980, Guy Bertin est

LES FRANÇAIS ONT ÉTÉ NOMBREUX EN 250 ET 350 CM3

vice-champion du monde 125 sur la Motobécane développée par Jean Bidalot en 1980. Jean-François Baldé l’imite en 1981, en 250, sur Kawasaki.

Des drames

Les pilotes performent, quelques préparateu­rs s’illustrent, dont Alain Chevallier, le frère du pilote Olivier, qui prépare depuis quelques années des motos parfois plus performant­es que les officielle­s. La France est la nation la mieux représenté­e en Grands Prix ! Ces deux années sont pourtant le théâtre de tragédies qui marquent durablemen­t le clan tricolore du paddock. Olivier Chevallier se tue sur le circuit Paul-Ricard en 1980, Patrick Pons perd la vie quelques mois plus tard, puis Michel Rougerie en 1981 (sans compter le roi de l’endurance, ancien pilote de GP, Christian Léon, qui se tue au Japon à l’automne 1980). Patrick Plisson décide d’arrêter, Christian Sarron mettra deux ans à se remettre de la disparitio­n de son ami Patrick. Mais la caravane poursuit sa route. Un presque inconnu apporte enfin le titre que la France espère depuis longtemps. Jean-Louis Tournadre, rapide, timide, sérieux, entouré de sa famille, prend la couronne en 250 en 1982, devant le favori Anton Mang. Il sera à tout jamais le premier pilote français champion du monde en GP. Christian Sarron enfonce le clou en 1984, son talent se concrétise enfin par un titre mondial en 250, le dernier sur une TZ 250. Il passe en 500 en 1985, alors que Tournadre a arrêté la course. Un autre Français a déjà ouvert la voie en catégorie reine, Raymond Roche, troisième du championna­t 500 en 1984 sur une Honda officielle. On attend maintenant la consécrati­on suprême, un titre dans cette catégorie devenue plus prestigieu­se encore que dans les années 1970, maintenant dominée par les Américains et les Australien­s. Malgré les époustoufl­antes performanc­es de Sarron, deux fois troisième en championna­t 500 en 1985 et 1989 (il reste le Français le plus performant de l’histoire des GP), et la persévéran­ce de Jean-François Baldé, la verve nationale a perdu de sa vigueur. Le monde a changé, plus angoissant, les paddocks dépendent des managers et des cigarettie­rs, l’exaltation romantique française ne s’y retrouve pas. Les Français restent compétitif­s (Dominique Sarron, Jean-Philippe Ruggia…), mais ils sont beaucoup moins nombreux. En 1986, ils ne sont plus que deux à figurer parmi les dix premiers en 250 et 500.

JEAN-LOUIS TOURNADRE A CONNU UNE CARRIÈRE ÉCLAIR MAIS RESTERA DANS L’HISTOIRE

 ??  ?? Christian Estrosi (en maillot de bain...),
après avoir été pilote de haut niveau, a managé l’équipe Pernod, quand Jacques Bolle (sur la moto) courait au guidon de la 250 française. À droite, Patrick Pons sur sa Yamaha TZ 750.
Christian Estrosi (en maillot de bain...), après avoir été pilote de haut niveau, a managé l’équipe Pernod, quand Jacques Bolle (sur la moto) courait au guidon de la 250 française. À droite, Patrick Pons sur sa Yamaha TZ 750.
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 ??  ?? 1. Sur la grille de départ des 500 au GP d’Allemagne en 1985, deux Français se tiennent prêts : Christian Sarron (n° 6) et Raymond Roche (n° 3). Sarron a remporté la course. 2. Patrick Fernandez a fait une très belle carrière en GP. Il a été vice-champion du monde 350 en 1979. 3. Guy Bertin s’est risqué sur la Sanvenero 125 en 1981, un an après avoir été vice-champion du monde 125 sur Motobécane. 4. Aux côtés de Patrick Plisson, Jacky Hutteau a obtenu de beaux résultats en championna­ts du monde 50 sur la française ABF.
1. Sur la grille de départ des 500 au GP d’Allemagne en 1985, deux Français se tiennent prêts : Christian Sarron (n° 6) et Raymond Roche (n° 3). Sarron a remporté la course. 2. Patrick Fernandez a fait une très belle carrière en GP. Il a été vice-champion du monde 350 en 1979. 3. Guy Bertin s’est risqué sur la Sanvenero 125 en 1981, un an après avoir été vice-champion du monde 125 sur Motobécane. 4. Aux côtés de Patrick Plisson, Jacky Hutteau a obtenu de beaux résultats en championna­ts du monde 50 sur la française ABF.
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 ?? (à gauche) ?? Éric Saul courait en 1982 sur une TZ préparée par Alain Chevallier. Ici, au GP d’Autriche, le paddock a dû composer avec la neige.
(à gauche) Éric Saul courait en 1982 sur une TZ préparée par Alain Chevallier. Ici, au GP d’Autriche, le paddock a dû composer avec la neige.
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 ??  ?? Hervé Guilleux a remporté le GP d’Espagne en 1983. Sa combinaiso­n montre à quel point les sponsors français ont alors suivi leurs pilotes. 2. Jean-Claude Sélini a longtemps couru en 125. Il a fini sixième du championna­t du monde en 1984, sur MBA. 3. Image unique dans l’histoire des GP : trois Français sur un podium en 250. Jacques Bolle a remporté le GP d’Angleterre 1983 devant Thierry Espié et Christian Sarron.
Hervé Guilleux a remporté le GP d’Espagne en 1983. Sa combinaiso­n montre à quel point les sponsors français ont alors suivi leurs pilotes. 2. Jean-Claude Sélini a longtemps couru en 125. Il a fini sixième du championna­t du monde en 1984, sur MBA. 3. Image unique dans l’histoire des GP : trois Français sur un podium en 250. Jacques Bolle a remporté le GP d’Angleterre 1983 devant Thierry Espié et Christian Sarron.
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 ??  ?? Michel Rougerie a développé les premiers prototypes Elf avec des moteurs Yamaha TZ 750 en 1979. 2. Jean-Louis Tournadre, premier Français champion du monde en GP, est ici en tête du GP de France à Nogaro en 1982, devant Jeffrey Sayle (n° 46) et Jean-François Baldé (n° 2).
3. Alain Michel, à droite, a contribué à l’âge d’or des pilotes français grâce à ses performanc­es en championna­t du monde de side-car. 4. Christian Sarron, ici en 1984, année de son titre, dit aujourd’hui que cette saison fut à ses yeux l’une des plus faciles de sa carrière.
Michel Rougerie a développé les premiers prototypes Elf avec des moteurs Yamaha TZ 750 en 1979. 2. Jean-Louis Tournadre, premier Français champion du monde en GP, est ici en tête du GP de France à Nogaro en 1982, devant Jeffrey Sayle (n° 46) et Jean-François Baldé (n° 2). 3. Alain Michel, à droite, a contribué à l’âge d’or des pilotes français grâce à ses performanc­es en championna­t du monde de side-car. 4. Christian Sarron, ici en 1984, année de son titre, dit aujourd’hui que cette saison fut à ses yeux l’une des plus faciles de sa carrière.
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