Moto Revue Classic

RENCONTRE

Avocat spécialisé dans la défense des motards et des automobili­stes, Éric de Caumont fut aussi un concurrent de la Coupe Kawasaki Moto Revue. Il roule au quotidien sur des deux-temps de cette époque débridée.

- Texte : Christian Batteux - Photos : collection De Caumont, CB et archives MR.

Spécialisé dans la défense des conducteur­s, Maître de Caumont a roulé en Coupe Kawa.

Rendez-vous avait été pris dans le cabinet de Maître de Caumont, situé dans le très feutré seizième arrondisse­ment de Paris. L’entretien a lieu dans le bureau d’une collaborat­rice, le sien étant, dixit l’intéressé,

« trop encombré » pour y discuter. L’épais dossier (déformatio­n profession­nelle sans doute !) consacré à la Coupe Kawasaki étalé devant lui, Éric de Caumont se lance dans ses souvenirs de jeunesse avec un plaisir non dissimulé. Inutile de préciser que nous n’aurons pas vraiment besoin de beaucoup le relancer sur un sujet qui le passionne toujours autant. Précisons, pour une meilleure compréhens­ion de ce personnage, qu’il possède aujourd’hui une quinzaine de motos, presque uniquement des deux-temps, parmi lesquelles des Kawasaki 250 S1, 350 S2, 400 S3, 500 H1 ou 750 H2, des Suzuki T 500 ou – plus récentes – RG 500 dont une, avec laquelle il n’a jamais roulé, ayant appartenu à Coluche. Achetée lors d’une vente aux enchères, c’était la dernière des machines vendues ce jour-là, « ce qui m’a permis d’en devenir l’heureux propriétai­re, tous les autres amateurs présents ayant tout dépensé avec les motos présentées auparavant » ! Quand on parle de passion, chez Éric de Caumont, cela remonte à loin, puisqu’il avait 12 ans quand le coup de coeur s’est produit, une vraie révélation, lorsqu’il se retrouva à l’arrêt face à une Honda 125 CD aux Galeries Lafayette de Caen, où elle était exposée. « Et là, j’ai dit à ma sainte mère : “Maman, je veux faire de la moto.” Ce à quoi ma mère a sans doute répondu que c’était très bien mais que l’on verrait cela un peu plus tard… Puis elle a commencé à se poser des questions lorsque je lui ai dit qu’à partir de là, je ne voulais plus aucun cadeau pour mon anniversai­re ou pour Noël, mais de l’argent que j’allais économiser sur mon compte d’épargne, pour me payer ma moto lorsque j’aurai 16 ans.

Mes parents ont rapidement compris que j’étais déterminé. » À l’approche de ses 16 ans, en mars 1973, le jeune Éric, qui rêvait d’une Kawasaki

500 Mach III trop chère pour lui, se rabat sur une Suzuki T 500. Une machine dont la brochure ramenée à la maison précise qu’elle atteint les

180 km/h en vitesse de pointe.

Partage familial

De quoi refroidir des parents certes bienveilla­nts, mais un peu inquiets tout de même à l’idée de voir leur progénitur­e grimper si jeune sur un engin aussi puissant. Un marché est alors conclu : son père, ancien motard, lui propose de payer 50 % de la machine qu’ils pourront partager, mais sa pratique de la moto remontant à un peu loin, pour reprendre contact, il opte pour une… BMW R50. « J’étais piégé. Mais j’ai fait contre mauvaise fortune bon coeur. Nous l’avons achetée en février 1973, j’ai donc eu le permis en juillet, entre-temps, mon père la rodait. Il était conseiller général – aujourd’hui, on dirait conseiller départemen­tal – et allait à la préfecture à Caen, à moto, avec son casque Premier Gold Diabolo, décoré de motifs orange pailleté, c’était assez spécial (sourire). » Jusqu’à la fin de l’année 1974, le jeune de Caumont fait ses gammes en multiplian­t les sorties avec le moto-club d’Hérouville­Saint-Clair. « Ils m’avaient surnommé “Crédit Agricole”, parce qu’ils avaient tous des

H2, des H1 ou des quatre-pattes (sourire)… J’attaquais comme un demeuré pour les suivre, faisant frotter à l’excès la moto jusqu’à attaquer les cacheculbu­teurs. Ils m’ont conseillé de faire de la compétitio­n, sous-entendu : “Tu serais plus en sécurité sur un circuit.” »

La graine est désormais dans le fruit. C’est ainsi qu’Éric de Caumont, en septembre 1974, assiste « pour voir ça de plus près » à la Coupe Kawasaki organisée au Mans, en prélude du Bol d’Or. Le choc est à la mesure des attentes de notre apprenti motard de course. « Je me souviens très bien avoir pensé, à les voir rouler, que soit j’allais être complèteme­nt largué, soit je serais dans le coup… Je lisais Moto Revue et Moto Journal

toutes les semaines, j’ai suivi la procédure pour m’inscrire pour l’année 1975. » Une année 1975 qui, après un « deal » passé avec ses parents, sera presque entièremen­t sabbatique après qu’il a passé son baccalauré­at,

« à ceci près que pour m’occuper un peu – et puis sait-on jamais, si je ne devenais pas champion du monde, que j’aie déjà une perspectiv­e d’avenir ! –, ils m’avaient inscrit au concours d’entrée de Sciences Po », brillammen­t passé, cela va sans dire. Mais Éric, qui a aussi entamé à la rentrée 75 une première année de droit, va abandonner tout cela pour ne se consacrer qu’à

UNE ANNÉE SABBATIQUE APRÈS LE BAC POUR COURIR LA COUPE KAWASAKI

son projet de Coupe Kawasaki. « Sciences Po, je me suis vite rendu compte que ce n’était pas ma tasse de thé. En revanche, arrêter le droit a été une erreur. » Nous savons depuis que Maître de Caumont, qui avait repris dès 1976 le cursus de droit, a très vite retrouvé le chemin de sa véritable vocation. Mais alors, cette Coupe Kawasaki ?

44 années à s’excuser

Eh bien, dès les Journées K, cadre des qualificat­ions pour les finales régionales, Éric, s’il se qualifie sans trop de problèmes, fait cependant une grosse frayeur à ses chers parents : « Pour cette saison de Coupe Kawasaki, nous partions tous les trois avec une voiture et la moto dans une bétaillère que l’on nous prêtait. Ils prenaient les chronos. Cette fois-là, je suis tombé… juste en face de l’endroit où ils étaient installés. En fait, ma mère venait de dire à mon père que je n’allais pas tarder à arriver, puis elle a levé la tête et m’a vu en train de glisser ! Il a fallu beaucoup de diplomatie pour la rassurer, mon père non plus n’en menait pas large même s’il n’en montrait rien. Je me suis ensuite excusé auprès d’elle pendant les 44 années qui ont suivi, car elle a vécu une année 1975 un peu trop forte en émotions… Enfin, j’étais qualifié, et c’était tout de même pour ça que j’étais venu. Il y avait trois courses au programme : Rouen, Magny-Cours à nouveau et Karland. À Rouen, les essais se passent plutôt bien, je dois être sixième ou septième. En course, on part sous la pluie. Le contexte était particulie­r : un peu plus tôt, lors des essais de la course inter, René Guili avait été victime d’un grave accident, il avait tapé un rail et c’est la première des deux fois où il a été déclaré mort. Donc, nous prenons le départ en ayant – pour ceux auxquels il restait un peu de neurones – un semblant d’anxiété à l’esprit. Malgré tout, sous la pluie, tout le monde attaque la descente du Nouveau Monde à fond, en coupant joyeusemen­t les bandes blanches sur l’angle. Je me fais doubler dans la descente et je les repasse dans la montée, ça a duré comme ça toute la course... que je finis septième ou huitième. Un résultat très correct. Ensuite, c’est Magny-Cours. Sous un déluge, décidément… Aux essais, parti en retard suite à un petit problème mécanique, j’ai la piste libre, et je fais mon

temps dès le deuxième passage. Au début de mon troisième tour, dans ce qui est aujourd’hui le freinage d’Adélaïde, je bloque l’avant et je m’étale, à environ 140 km/h, sans me faire mal. Sans frein avant, le maîtrecyli­ndre explosé, je rentre donc aux stands en étant résigné à être mal placé sur la grille.

En paquet entre Sarron et Saul...

Sauf que j’ai le quatrième ou cinquième temps, je crois que j’étais à côté de Le Liard sur la grille. Bon, on va être honnête, je sais que le fait d’avoir un tour clair m’a probableme­nt aidé à faire ce temps, je sais ce que je vaux, et que je n’aurais jamais pu gagner la Coupe Kawa, mais ce jour-là, dans ces circonstan­ces, je suis formel, j’avais la pole. Évidemment, ce n’était qu’une finale régionale, sans Saul, ni Sarron, mais j’en avais largement sous la poignée… » Malheureus­ement, la troisième épreuve régionale à Karland se passe mal, c’est même le début de la descente aux enfers pour

Éric de Caumont, dont la

400 S3, pourtant achetée neuve durant l’hiver, se met à ne fonctionne­r que sur deux cylindres. Avant de trouver la cause du problème (la tige sous les flotteurs de la cuve d’un des trois carburateu­rs restait bloquée), des semaines se passent et, le moral à zéro, le jeune de Caumont perd toute motivation. Qualifié « par miracle » pour les finales nationales, il achève sa carrière de pilote là où tout avait commencé, c’est-à-dire au Mans, en prélude du Bol d’Or. « Et là, j’assume tout : je termine ma Coupe Kawa sur cette course où pendant quelques secondes, je suis en paquet entre Sarron, Saul, Boulom et Dumaret… mais comme le dit très cruellemen­t le speaker, “qui me prennent un tour” (rire)…» Le destin d’Éric de Caumont, faute de devenir pilote de Grands Prix, serait donc tracé non pas vers les grilles de départ mais les prétoires, où il allait s’exprimer avec le brio qu’on lui connaît.

«J’arrive pour vous pourrir !»

« Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je ne suis pas un avocat qui s’est spécialisé dans la moto (et l’auto), je suis un motard qui est devenu avocat. Et je tiens beaucoup à cette définition. La moto, l’automobile aussi, le circuit, la vitesse, c’est mon ADN à moi. Si j’avais été avocat spécialisé en divorces ou en prud’hommes, un : je n’aurais certaineme­nt pas travaillé

100 heures par semaine et deux : je me serais ennuyé comme un rat mort ! Mais mon destin était écrit à l’avance : j’ai été initié à la conduite moto puis auto par mon père, qui n’avait jamais connu les limitation­s de vitesse, et j’ai eu mon permis treize jours après qu’elles ont été instaurées ! J’ai connu la vitesse, je n’ai pas eu le droit de la pratiquer. Un mois après avoir obtenu mon permis, j’ai été sanctionné de manière excessivem­ent sévère pour un léger excès de vitesse. Ma vocation est venue de là. Je ne me suis jamais écarté de la moto depuis, je pratique au quotidien, sur des engins qui servent à se faire plaisir, à se faire croire qu’on n’a pas vieilli, à traverser le miroir, l’espacetemp­s… Je reste aussi en contact avec l’associatio­n lancée il y a plus d’une quinzaine d’années par Yves Évrard, Les Amis de la Coupe. Le jour où je prends la décision d’arrêter mon activité profession­nelle, si je ne suis pas trop sénile, la première chose que je ferai sera de faire réviser ma 400 S3 “Coupe” et de me projeter sur la prochaine sortie des Amis de la Coupe en leur disant : “Écartez-vous, j’arrive pour tous vous pourrir (rire) !” »

LA MOTO, LE CIRCUIT, LA VITESSE, C’EST DANS MON ADN

 ??  ?? Maître de Caumont sur sa Kawasaki 400 S3, qu’il utilise en alternance avec ses autres deux-temps datant des années 70.
Maître de Caumont sur sa Kawasaki 400 S3, qu’il utilise en alternance avec ses autres deux-temps datant des années 70.
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 ??  ?? La combinaiso­n de la saison 1975, qu’Éric de Caumont a conservée comme une sainte relique.
La combinaiso­n de la saison 1975, qu’Éric de Caumont a conservée comme une sainte relique.
 ??  ?? C’était il y a 44 ans : le jeune de Caumont, qui vient de fêter son 16e anniversai­re, découvre ici le circuit de Karland avant d’y courir une finale régionale de la Coupe Kawasaki.
C’était il y a 44 ans : le jeune de Caumont, qui vient de fêter son 16e anniversai­re, découvre ici le circuit de Karland avant d’y courir une finale régionale de la Coupe Kawasaki.
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 ??  ?? 1. Circuit de Magny-Cours, en 1975. Quelque part sur cette grille, Éric de Caumont s’apprête à prendre le départ. 2. Maître de Caumont a conservé toutes les archives se rapportant à la Coupe Kawasaki Moto Revue de l’année 1975.
1. Circuit de Magny-Cours, en 1975. Quelque part sur cette grille, Éric de Caumont s’apprête à prendre le départ. 2. Maître de Caumont a conservé toutes les archives se rapportant à la Coupe Kawasaki Moto Revue de l’année 1975.

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