ARTURO MAGNI
Arturo Magni était passionné par l’aéronautique mais il a consacré sa vie à la moto. D’abord comme directeur technique de l’écurie MV Agusta, puis comme constructeur.
D'abord mécanicien chez MV Agusta, Arturo Magni est ensuite devenu constructeur.
Directeur du département compétition de MV Agusta, Arturo Magni, disparu en 2015 à l’âge de 90 ans, contribuera à la suprématie de la marque en Grands Prix pendant
25 ans, avec des pilotes comme John Surtees, Mike Hailwood, Giacomo Agostini, ou encore Phil Read. Sous sa responsabilité, les machines rouge et argent domineront la catégorie 500 cm3 et ce, malgré l’offensive Honda des années 60. Une hégémonie qui perdurera jusqu’à l’arrivée des écuries japonaises, décidées à imposer leur nouvelle génération de moteurs deux-temps.
Loin d’abandonner la moto, Magni décida d’assumer un nouveau défi : celui de devenir un constructeur à part entière.
1958 : début d’une série de titres
Arturo Magni est né à Arcore en 1925, une petite ville située de l’autre côté du mur d’enceinte du circuit de Monza. Il s’agit par ailleurs de la localité où la firme Mondial a établi ses locaux, et qui jusqu’en 1993, a abrité la célèbre usine
Gilera. Initialement, les motos n’intéressaient pas tellement Arturo. Dès son plus jeune âge, il était plutôt absorbé par l’aéronautique, au point de dessiner puis de construire des planeurs qui feront sa renommée, avant la Seconde Guerre mondiale, dans les meetings aériens. En 1942, il remporte le titre italien d’endurance pour les avions non propulsés. Son premier boulot rétribué, il le trouve chez Bestetti Aeronautica à Arcore, où il reconditionne les moteurs d’avion de l’armée de l’air italienne.
« J’y travaillais sous les ordres de l’ingénieur Ermanno Bazzocchi qui, dans les années 50, a construit de nombreux avions pour Aermacchi, tout près d’ici à Varèse, racontait Arturo. C’est là que j’ai compris l’importance du poids, de l’aérodynamique et de la sophistication technologique, qui ont joué un rôle déterminant dans ma vie chez MV. » Lorsque Giuseppe Gilera décide, en 1947, de s’engager à nouveau en GP 500, Magni postule afin de devenir mécanicien et assister l’ingénieur Gilera Pietro
Remor dans la construction d’un nouveau 4-cylindres de course qui, à terme, remportera six titres mondiaux aux mains de Duke, Masetti et Liberati. Mais, en 1950, le comte Domenico Agusta débauche Remor de Gilera afin de construire la première MV 4-cylindres de Grands Prix. Et Magni suit le mouvement jusqu’à Cascina Costa, où il prend les fonctions de chef mécanicien du team MV Agusta. Sa première mission est de superviser l’assemblage et le développement de la 500 4-cylindres à transmission par cardan, dotée d’une
LE COMTE AGUSTA RÉGLAIT LES FACTURES, MAIS C’EST MAGNI QUI FAISAIT TOURNER LA BOUTIQUE
suspension arrière à parallélogramme qui, 30 ans plus tard, constituera la base de la partie-cycle Magni-Guzzi. Bien que Les Graham, pilote de pointe MV et champion du monde 500 cm3 en 1949, appréciait la moto, elle était trop radicale pour l’époque et fut écartée en 1951. Plus conventionnelle, la machine à transmission par chaîne qui la remplace est affûtée par Magni et l’ensemble du team pour décrocher le titre mondial en 1956 avec John Surtees, même si Liberati reconquit la couronne l’année suivante pour Gilera. Mais après le retrait simultané de Gilera et Moto Guzzi de la compétition, 1958 marque le début, pour MV Agusta, d’une série ininterrompue de 17 titres suprêmes dans la catégorie 500 cm3, sous la direction d’Arturo Magni. En 1959, d’ailleurs, le Comte Agusta lui confie la direction de l’ensemble du département compétition de MV. Magni conserve sa position jusqu’à ce que MV se retire finalement des GP en 1976, après avoir remporté rien moins que 75 titres de champion du monde – dont 37 titres pilote avec Sandford, Provini, Ubbiali, Surtees, Hocking, Hailwood, Agostini et Read. Durant tout ce temps, Arturo Magni était seul à diriger les destinées du département course MV. Le Comte Agusta réglait les factures, mais c’est Magni qui faisait tourner la boutique et supervisait l’ensemble des opérations sur le plan technique, y compris le développement des machines de référence comme les légendaires trois-cylindres, les quatre-cylindres des années 70, les prototypes six-cylindres, ainsi que le quatre-cylindres à plat. Lorsque MV se retire de la compétition, Arturo fonde sa propre entreprise dans la ville voisine de Samarate, au nord-ouest de Milan, avec ses deux fils Carlo et Giovanni. Pour commencer, ils se concentrent sur la construction de pièces spéciales pour les 750 MV Agusta de route à transmission par cardan, comme une conversion en transmission par chaîne ou un kit de réalésage qui porte la cylindrée à 861 cm3 par exemple.
Mais EPM (Elaborazioni Preparazioni Magni) est également l’un des premiers fournisseurs au monde de roues en alliage d’aluminium.
« Not made in Germany »
De fait, le fils aîné Carlo reprend cette activité à son compte, laissant
Arturo et son plus jeune fils Giovanni se concentrer sur la construction des motos Magni. Inévitablement, les premiers kits de cadres Magni commercialisés à partir de 1977 sont conçus pour recevoir les moteurs MV quatre-cylindres, euxmêmes fabriqués à quelques kilomètres de là. Mais l’arrêt de la production des motos MV Agusta oblige à trouver de nouveaux débouchés. Magni se tourne alors vers Honda, avec le moteur DOHC de la 900 Bol d’Or. La première Magni-Honda est lancée en 1980 en deux versions : la MH1, une « Naked » à budget limité reprenant les suspensions et les roues de la Honda d’origine, dotée d’un cadre double berceau tubulaire en acier, et la MH2, un café racer intégralement caréné reprenant le même cadre, mais également des accessoires italiens, tels que des freins Brembo, des suspensions Ceriani et des roues EPM. Durant les deux années de production (1980/81), environ 300 Magni-Honda sortiront des chaînes, la plupart d’entre elles à destination du marché allemand.
Dès lors, quand l’importateur allemand des Magni réclame un café racer sur base BMW Boxer, père et fils se font un devoir d’obtempérer, avec pour résultat, en 1982, les MB1 et MB2, de nouveau en versions Naked et carénée et propulsées par le flat R100 S. Magni applique aux MB1 et MB2 toute sa science acquise avec les roadsters
MV à cardan. De fait, avec le bras oscillant de section carrée et le cadre double berceau, le Boxer BMW n’a jamais aussi bien tenu la route ! Toutefois, le timing n’y était pas : le lancement des MB1 et MB2 coïncide avec les débuts de la BMW K100 quatre-cylindres, avec pour conséquence – temporaire – l’arrêt de la production des moteurs Boxer. Au-delà de ça, la Magni-BMW souffrira, d’après Arturo, du syndrome « not made in Germany » de la part des inconditionnels allemands de la marque. « Tandis que pour eux, expliquait Arturo, si un concepteur européen de cadres pouvait certainement améliorer une Honda ou n’importe quelle autre machine japonaise, cela ne pouvait être
NOUS AVONS ATTEINT NOTRE APOGÉE EN 1990 ET 1991
le cas pour leurs BMW chéries ! Nous avons produit 150 motos à moteur BMW mais nous avons eu du mal à les vendre, et les dernières ont mis dix ans avant de partir ! Dès lors, nous avons compris les attentes du marché : une machine Magni se devait d’être italienne jusqu’au bout des ongles et grâce à notre expérience du cardan, Moto Guzzi représentait la cible idéale. De Tomaso aimait l’idée d’une édition limitée d’un modèle haut de gamme et sportif, dans le but d’intensifier la gamme Guzzi existante, surtout s’il pouvait gagner de l’argent en nous vendant les moteurs ! Nous avons donc construit la première MagniGuzzi Le Mans en 1985 et avons, depuis, fabriqué plus de 700 motos Magni à moteur Guzzi. Nous avons atteint notre apogée en 1990 et 1991, avec une production annuelle de 170 machines. Nous en aurions même fabriqué encore plus si Guzzi avait pu fournir plus de moteurs. » Magni résiste à la tentation de commercialiser une conversion en transmission par chaîne pour le V-twin Guzzi – comme il l’avait fait à ses débuts pour MV – et travaille plutôt à l’élimination
des inconvénients de tenue de route induits par le cardan. Ainsi, il adapte la suspension arrière à parallélogramme qu’il avait conçue en partie en 1950 sur le prototype de la MV Agusta 500 de GP. Cette configuration devient caractéristique des café racers Magni-Guzzi et fonctionne tellement bien que le Dr. John Wittner en extrapole une version modifiée pour ses propres machines de course en Bataille des twins et ProTwin. La firme Moto Guzzi l’adoptera à son tour sur le modèle Daytona huit soupapes apparu en 1989. À l’aube des années 90, la demande pour les Magni commence à outrepasser la capacité de Moto Guzzi à fournir les moteurs 1000 cm3 V-twin qui équipent depuis le début les Magni-Guzzi.
Retour aux sources forcé
Le problème devient critique alors même qu’Arturo et Giovanni envisagent sérieusement de construire une Magni-Ducati. Mais, hésitant sur la capacité des nouveaux propriétaires de Ducati (les frères Castiglioni) à leur fournir des moteurs de façon régulière, les Magni décident de rester fidèles à Guzzi. Cependant, à l’usine de Mandello, la production annuelle chute à moins de 3 000 machines, et fabriquer ne serait-ce que 20 moteurs pour Magni devient quasiment insurmontable. Après la reprise de Moto Guzzi par Finprogetti, le nouveau patron Arnulfo Sacchi s’assure que la fourniture de moteurs à Magni se fera dans de meilleures conditions et deviendra partie intégrante des plans de Moto Guzzi.
Mais des problèmes persistants de livraison de moteurs, doublés de l’incertitude quant à l’avenir de Moto Guzzi
(qui sera finalement racheté par Aprilia en
2000), contraignent les
Magni à un retour aux sources. Un nouveau modèle est ainsi développé autour du moteur de la Suzuki Bandit, pour donner naissance à la Magni
Sport 1200 S à l’automne 1999. « J’ai eu beaucoup de chance, avait coutume de dire Arturo Magni. J’ai passé plus de vingt-cinq ans à travailler sur les machines de course les plus exotiques, avec le succès qu’on leur connaît. Vingt-cinq ans de défis, de joies et de résultats. Puis, à un âge où la plupart des hommes arrêtent pour mieux se consacrer à leurs familles, j’ai entamé une nouvelle carrière de constructeur de machines de route d’exception, en ayant le privilège de le faire avec ma femme et mes fils. Et grâce aux idées de Giovanni, Magni a également un pied dans le futur, avec une série de nouveaux modèles de route incorporant les dernières technologies, ainsi que les composants les plus sophistiqués. Du neuf et de l’ancien : je ne pouvais rêver mieux ! »
DU NEUF ET DE L’ANCIEN : JE NE POUVAIS RÊVER MIEUX !