ESSAI RED BARON
Avec son moteur Honda 6-cylindres peint en rouge, l’Egli Red Baron a fait rêver des centaines de motards. Et pourtant, elle roule, puisqu’on est allé l’essayer là où elle a été construite, il y a 35 ans.
On a roulé sur l'une des rares Egli à moteur Honda 1000 CBX.
Et nous revoilà, mon photographe préféré et moi, de retour chez Egli, deux ans après notre dernière visite. En 2017, nous avions été conviés par le repreneur de la marque à tester la 1300 Fritz W. Un café racer construit à l’ancienne autour d’un moteur moderne de Yamaha XJR.
Cette fois-ci, ce n’est pas pour une moto moderne que nous sommes là mais bien pour une Egli d’époque. Et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit d’une machine montée avec un moteur Honda 1000 CBX. Eh oui, en 1982, alors que la version Prolink est déjà en vente, le bon Fritz n’hésite pas à proposer une partiecycle pour le majestueux six-cylindres nippon. On est accueilli par le nouveau maître des lieux, Alexander Frei (voir pages suivantes), qui nous emmène directement dans l’atelier. Non seulement on y découvre la machine de notre essai mais une autre en cours de restauration et encore une autre en construction ! Y aurait-il un engouement pour la Red Baron (Baron Rouge), le petit nom de ce modèle ? Alexander nous explique que c’est un pur hasard, car à l’époque, à peine une cinquantaine de EH 10-C (le nom d’homologation) ont trouvé clients. Il faut dire que la bête s’affichait à 72 000 F, deux fois et demie le prix d’une
CBX standard ! Bien sûr, il était possible d’acheter la partiecycle seule contre 36 000 F mais encore fallait-il dénicher un moteur de CBX et assembler le tout. Ensuite, il fallait se rendre au service des Mines pour homologuer l’engin.
Qualité et rigidité suisses
La machine déshabillée sur le banc permet de mieux examiner la structure du cadre à grosse poutre centrale typiquement Egli. Le moteur est relié dans sa partie supérieure par un treillis boulonné et classiquement dans sa partie arrière. L’ensemble est extrêmement rigide, c’est bien connu. La fourche de fabrication maison apporte, elle aussi, un maximum de rigidité. On remarquera également le déport du té inférieur, une technique qui permet un meilleur guidage sans jouer sur le débattement. À l’arrière, le système Cantilever cher à Egli utilise un amortisseur réglable qui disposait, à l’époque, de quatre ressorts aux tarages. Car une Egli, c’était une vraie machine de course homologuée pour la route. D’ailleurs, au début des années 80, Fritz engageait ses motos en championnat du monde d’endurance avec Jacques Cornu et elles étaient identiques à celles qu’il vendait aux clients. Outre les composants maison (cadre, fourche, commandes reculées, etc.), Fritz faisait appel au meilleur manufacturier.
Les freins sont un mélange d’étriers Lockheed et de disques Brembo, tandis que les roues en électron étaient fabriquées par l’allemand Mahle, certes plus connu pour ses pistons. Concernant le pot – un magnifique sixen-un –, il provient de chez Schüle, autre manufacturier teuton de renom. Une anecdote qui caractérise le sérieux de la maison Egli : pour fabriquer ses fourches, Fritz s’est d’abord associé à l’italien Paioli mais jugeant la qualité insuffisante, il a fait rapatrier la fabrication en Suisse ! Revenons à la Red Baron. Ce qui frappe d’emblée sur cette moto, c’est bien sûr la peinture rouge appliquée sur le moteur. Une coquetterie qui, au passage, oblige à un démontage complet du moteur. Le détail qui tue, c’est le compteur de vitesse qui, lui aussi, était entièrement rouge. Notez que cette machine est
DANS L’ATELIER, PAS MOINS DE TROIS RED BARON : UN RECORD !
telle que le client l’a acquise en 1985. Une première main qu’Alexander a rachetée il y a quelques semaines seulement. Sauf que ce client n’avait pas voulu du compteur rouge. Dommage.
Moto de frimeur ?
Trêve de propos colorés, allons faire un tour puisque Jürg Lindemann, fidèle mécano d’Egli depuis 38 ans, fait chauffer le moteur. Au ralenti, le six-en-un est étonnamment discret. Je me dirige vers une série de virages qui va servir pour les photos. Première impression, on n’est pas « sur » la Red Baron mais « dans » la Red Baron, tant on est bien calé entre le gros réservoir et la selle monoplace. Deux éléments qui se démontent en un clin d’oeil, technique de course oblige. Dans une ligne droite, j’ouvre en grand pour dépasser les voitures. Là, le son émis par le six-en-un est complètement différent. Et comme la poussée du six-cylindres ne semble jamais vouloir s’arrêter, on se croirait plus au volant d’une Formule 1 qu’au guidon d’une moto. Les virages arrivent. Je prends les freins et ça répond franchement contrairement à une CBX d’origine. On s’en doutait. Ce dont on se doutait aussi, c’est un gain de maniabilité non négligeable puisque grosso modo, la
Red Baron affiche 50 kg de moins qu’une CBX standard. Malgré tout, la Red Baron reste quand même « encombrante », pour ne pas dire lourde. Un six-cylindres en ligne n’est pas vraiment adapté pour une sportive et ce n’est pas pour rien si Honda a proposé la CB 900 Bol d’Or puis la CB 1100 R. Et puis sur une
Egli, la chasse est relativement importante, et elle ne sera jamais maniable dans les petits coins. La priorité s’est portée sur la tenue de route à haute vitesse, là où les productions japonaises laissaient entrevoir leurs limites. À l’époque,
Egli racontait que les vrais sportifs achetaient des motos équipées d’un 4-cylindres et que les frimeurs se tournaient vers le six-cylindres. C’est d’ailleurs pour ça que le moteur était peint en rouge. Sauf qu’aujourd’hui comme hier, la frime a un prix puisque cette moto est à vendre
56 000 €… Comme écrivait un journaliste français en 1982 : « Des prix à vous décapiter les rêves les plus fous. »
DES PRIX À VOUS DÉCAPITER LES RÊVES LES PLUS FOUS