CHRONIQUE JEAN JUNIOR
Un mythomane en Vincent, un café Bol d'Or au Japon et une Norton bizarre.
J’ai possédé jusqu’à ce jour, les motos les plus perfectionnées et les plus rapides (Velocette KSS, KTT, Norton Inter, Norton Manx, Triumph T100, Terrot 350 Compétition quatre paliers, Excelsior Manx, BMW R51, 13 BMW Rennsport (sic), BMW R73, R71, Ariel Square Four, DKW course à refroidissement par eau). Il n’y a aucune de ces motos, pas même la dernière née BMW R68 Sport, pour rivaliser avec la Black Shadow. Quant aux voitures, n’en parlons pas. » L’homme qui, en février 1954, parle ainsi, est un lecteur de Moto Revue. Un brin manipulateur, il va déclencher une polémique qui va durer des mois à travers le courrier des lecteurs de la revue. Après avoir excité la curiosité avec son énumération faramineuse et sur un ton assez provocateur, il persiste et signe : Marcel Vidal, Av. des Pupilles de la Nation, Aurillac, Cantal. Cependant, il a son idée derrière la tête… Il continue ainsi : « J’habite une région très accidentée avec des routes très tortueuses et des virages l’un sur l’autre. Comme performances, j’ai fait Aurillac-Clermont-Ferrand : 164 km en 1 heure trois-quarts, avec traversée des agglomérations selon les arrêtés municipaux ! Ceci donne, je crois,
une moyenne de 90 à 91 km/h (et je suis prêt à le prouver, je relève n’importe quel défi au motard qui voudrait engager le pari et venir voir le parcours). »
Ça y est, on arrive au coeur de l’affaire ! Le d’Artagnan motocycliste a jeté le gant à quiconque mettra sa parole en doute. Il trouvera une dizaine de « quiconques » un peu moqueurs, qui lui répondent un mois plus tard, le 6 mars 1954 : « L’Auvergne est un bien joli pays touristique qui possède des routes sinueuses, mais qui est tout de même assez éloigné de Marseille. C’est ce que nous voudrions faire comprendre à notre cher compatriote, M. Vidal, d’Aurillac. » Se présentant comme motards de Clermont-Ferrand (sauf un Riomois), ils mettent 20 000 F sur la table et proposent de faire de même à M. Vidal, le tout sous la houlette d’un huissier, de part et d’autre. Au cas où ils gagneraient le pari, ils précisent : « Les fonds qui nous écherront seront destinés à organiser un banquet entre les vainqueurs, aux dépens du trop téméraire Aurillacois. » En ces temps reculés, les communications en région se font alors par corbeaux l’hiver et pigeons voyageurs l’été. La réponse aux Clermontois mettra trois mois à parvenir à Moto Revue qui la publie le 1er mai 1954. Mais ça valait la peine d’attendre si longtemps car « Monsieur Vidal accepte ! » comme est titré l’encadré accompagné par une ligne de pied expliquant que « bien conduire n’est pas forcément aller vite ». Les communications entre Aurillac et Clermont ne s’arrangent guère puisqu’il faut attendre... octobre 1954 pour avoir des nouvelles. Elles proviennent d’une lettre de M. Vidal que Moto Revue publie sous un titre (« Pschitt ! ») qui sera rendu célèbre par un personnage politique... par ailleurs (coïncidence !) originaire de la Corrèze, département auvergnat comme on sait. Comme l’affaire n’avance pas, c’est finalement Moto Revue qui aura le dernier mot après la publication d’un nouvel échange de courriers entre les protagonistes. Le ton des lettres (des deux côtés) était devenu moins policé, limite insultant. Si bien que la revue décide de ne rien publier de plus avant que le pari ne soit effectué. Et c’est ainsi que se termine l’histoire sur une impasse frustrante... De nombreuses années plus tard, lors de mes vacances dans le Cantal où j’ai eu mes habitudes durant plusieurs années, j’ai tenté d’en savoir plus auprès des concessionnaires motos d’Aurillac. Chaque fois que j’ai prononcé le nom de « Vidal », les regards et les mimiques de mon (mes) interlocuteur(s) ne laissaient guère de doutes sur leur opinion du personnage. Le pire est qu’aucun d’eux ne savait où était passée la Vincent, ni même si elle avait réellement existé !
LA VINCENT DE M. VIDAL A-T-ELLE RÉELLEMENT EXISTÉ ?
Le Bookcafé Bol d’Or de Niigata
Passons donc à tout autre chose.
Des boutiques où l’on vendrait quelques canettes, des revues, des livres, des CD, des bandes dessinées, des DVD et tout ce qui tourne autour de la motocyclette, on en a connu quelques-unes dans Paris. Certains s’y sont cassé les dents et le compte en banque (pas tous, il y a encore de vieilles ardoises qui traînent). C’est du domaine du rêve mais qui s’est réalisé au Japon à l’enseigne de Bookcafé Bol d’Or avec la Honda CB 750 F2 du même nom devant la porte. Une façade plutôt modeste, dans la ville de Niigata, à 300 km au nord de Tokyo. Plus de
800 000 habitants et donc un pourcentage de motards important. À en juger par son blog, ce café Bol d’Or est un lieu de passage obligé. Ce qui a permis au patron de l’établissement de se constituer une belle collection en photographiant les clients passés à portée de son Canon.
Le mystère de la Norton rotative
Lecteur attentif et curieux par ailleurs, Patrick m’a envoyé une photo trouvée sur Internet. Elle l’a intrigué, à juste titre, et elle devrait vous faire le même effet. Tout ce qu’il en sait est qu’elle aurait été publiée dans un journal du côté de Grenoble. Ce que pourrait confirmer le format carré, donc 6 x 6, en général de chez Rolleiflex, arme favorite du photographe de quotidien régional. Le négatif donnant une bonne définition à l’agrandissement permettait la photo dite « rang d’oignons » ou « caviar ». Elle montrait, en un seul cliché, plusieurs dizaines de personnes en réunion pour mariage, visite de personnalités, réussite à examen scolaire, équipe de sports, etc., donc autant d’acheteurs potentiels du journal... Cette photo (n° 4), où l’on voit tout de suite un moteur à distributeur rotatif greffé sur une Norton Manx a beau être de bonne qualité, elle ne nous en dit pas plus sur son origine (à supposer qu’elle soit française). Aucune information sur les personnes qui animent cette scène. Regardant bien cette photo, je me suis subitement frappé le front. Plus exactement le « cortex préfrontal » où se cache la partie du cerveau qui gère les opérations intellectuelles, dont la « mémoire du travail ». Ce qui m’a amené à ouvrir mon livre Les Motos des Français, à la page 84, où se trouve la photo d’une Terrot « rotatisée » (n° 5). Bingo ! me dis-je, voilà le moteur rotatif en question. Sauf que pas du tout. Du côté droit de l’un, on trouve ce qu’il y a à gauche sur l’autre, et vice-versa. Commande par arbre contre commande par chaîne, rien ne colle. Dernier recours : le livre définitif sur les Norton compétition depuis les premiers âges (Norton Singles par Roy Bacon chez Osprey Collector’s Library).
Il y est bien sûr question d’un moteur rotatif mais caramba ! Encore raté ! Rien à voir avec le « nôtre » !
Les investigations continuent.
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