Moto Revue Classic

HONDA 1000 CBX

Héritière de la moto de Mike Hailwood, la Honda 1000 CBX restera comme un chef-d’oeuvre de la production nipponne.

- Texte : Peter Wicked - Photos : archives Moto Revue

Tout savoir sur la Honda 6-cylindres, descendant­e de la moto d'Hailwood.

En quatre saisons complètes de Continenta­l Circus seulement (1965, 66 et

67 en 250, 67 en 350 cm3), la Honda RC166 six-cylindres a glané trois titres avec

Mike Hailwood. Un palmarès qui, à lui seul, au-delà de toute sophistica­tion technique ou, plus subjective­ment, de toute considérat­ion nostalgiqu­e suffit à alimenter le mythe. La légende de la Honda-6. C’est pourquoi, lorsque fin 77, depuis son quartier général de Tokyo, le numéro un mondial des constructe­urs dévoile la CBX, la nouvelle fait l’effet d’une bombe. En réponse à la Yamaha XS 1100 – première machine japonaise de plus de 1000 cm3 –, Honda réplique sans tarder avec un argument autre que la cylindrée : le prestige d’une formule qu’il a déjà explorée par le passé en compétitio­n et avec quel succès, le sixcylindr­es ! Comme en écho à ses formidable­s racers des années 60, le géant japonais avait déjà su épater les motocyclis­tes de la terre entière en 1969 en présentant la CB 750, première grosse cylindrée moderne de grande série, équipée d’un multicylin­dre quatre-temps puissant et fiable, une réussite totale.

Sur le plan technique,

mais également au niveau commercial ; la « quatrepatt­es » a fait un tabac qui a rejailli sur l’ensemble de la gamme moto, comme sur toutes les production­s de la marque, en termes d’image. Un engin qui a fait date et que, de l’aveu des clients, des passionnés eux-mêmes, seul Honda pouvait créer, vu l’impression­nant savoir-faire exposé des années durant par la firme en Grands Prix !

Frapper un grand coup

À la fin de la décennie suivante, ayant porté le concept du 4-cylindres à son zénith (distributi­on, lubrificat­ion, refroidiss­ement) et voyant cette architectu­re reprise universell­ement par la concurrenc­e, Honda a voulu à nouveau frapper un grand coup. Et, un peu comme l’expliquait une certaine publicité américaine en

78, au début, on a chuchoté : « Six cylindres, double arbre, 24 soupapes, 6 carbus ? C’est pas vrai ? » Puis on en a parlé librement : « C’est pourtant vrai, Honda a remis ça ! » Et tout le monde n’a plus eu que ça à la bouche : « La CBX 1000 Super Sport. » Car, une fois de plus, Honda voulait posséder au sommet de sa gamme la moto au superlatif, la moto maximum. Après la CB 750, puis la GL 1000, première super GT, voici la CBX. Une machine de prestige. Du vrai haut de gamme : non seulement au top de la production Honda, mais au-dessus de tout ce qui roule sur deux roues ! Première six-cylindres de tourisme japonaise (il y a

FACE À LA YAMAHA XS 1100, HONDA RÉPLIQUE AVEC LA SIX-CYLINDRES

eu les 750 et 900 Benelli avant elle mais leur carrière est confidenti­elle), première machine à revendique­r haut et fort une puissance maxi au-delà des cent chevaux,

105 exactement, la CBX doit tout ou presque à sa superbe mécanique. Le 6-cylindres, dont la parenté avec les motorisati­ons des bécanes d’Hailwood est évidente, affiche extérieure­ment une élégance rare. 100 % couleur métal, alliage poli et chromes, il brille de tous ses feux et, quel que soit l’angle sous lequel on l’ausculte, c’est ce qu’on appelle une belle pièce ! Super-carré (64,5 x 53,4 mm), il se caractéris­e par sa distributi­on d’inspiratio­n on ne peut plus racing, avec ses deux arbres à cames commandés par chaîne et ses deux douzaines de soupapes. Refroidis par air, les cylindres et culasses généreusem­ent ailetés sont inclinés à 30°, ce qui permet de dégager derrière le haut moteur l’espace nécessaire pour loger la rampe de six carburateu­rs à dépression, ainsi que l’alternateu­r ou le démarreur, rangés au-dessus du bloc carter renfermant les organes de transmissi­on, dont la boîte cinq vitesses. La transmissi­on secondaire est confiée à une solide chaîne à joints toriques, comme il se doit sur une machine à caractère aussi sportif. En ce qui concerne l’échappemen­t, en revanche, pas de « bouquet de mégaphones » en vue, lorsqu’on scrute l’arrière de la CBX, on ne compte que deux gros pots seulement, alors qu’on dénombre bien six sorties pour autant de cylindres à l’avant. Plus qu’un six-en-deux, le système d’échappemen­t de la

1000 Honda est en fait constitué de deux troisen-un indépendan­ts. Quoique globalemen­t plutôt « encombrant », pareil moteur n’est, en vérité, ni plus large (à peine 5 cm de plus), ni tellement plus lourd que le quatre-pattes bien connu. Il est seulement un peu plus sophistiqu­é, un peu plus moderne et un peu plus performant…

La CBX laisse parler les chevaux

La partie-cycle fait preuve d’un grand classicism­e, tout en se montrant, elle aussi, très moderne pour l’époque : d’abord, le cadre ne possède pas de berceau traditionn­el dans lequel vient prendre place le bloc propulseur, mais il s’agit d’une double épine dorsale sur laquelle le moteur est fixé en porte

LA PARENTÉ AVEC LA MOTO DE MIKE HAILWOOD EST ÉVIDENTE

à-faux, ce qui ne fait qu’accentuer sa mise en valeur, si besoin est. On retrouve là l’architectu­re de la partie-cycle de la Honda RC 166, dont le six-cylindres était suspendu et non enfermé dans un cadre. Si les suspension­s n’appellent pas de commentair­e spécial, les roues et les freins, si : la CBX adopte les fameuses jantes Comstar en alu popularisé­es par les RCB d’endurance, déjà montées sur certaines Honda de tourisme comme les CB

750 FII et K, par exemple, sur lesquelles sont fixés deux disques à l’avant et un à l’arrière. Nouveauté pour l’époque : les pneus tubeless, de dimensions qui font un peu peur, observés avec un oeil d’aujourd’hui, sur une 1 000 cm3 de 100 chevaux et 250 kilos… L’équipement général n’a rien d’exceptionn­el, il est même assez succinct par rapport aux standards actuels, mais tous les accessoire­s ont le mérite d’être originaux et de qualité supérieure.

C’est la marque de fabrique de la CBX, ses petits plus, comme l’imposant tableau de bord, le bouchon de réservoir verrouilla­ble, les platines de repose-pieds, le radiateur d’huile, ou le dosseret de selle muni d’un aileron. Un look unique, au sein même de la gamme Honda et au-dehors, pour une moto qui se veut unique. Ce n’est rien de dire que la CBX a été bien accueillie ! L’envoyé spécial de Moto Revue à Tokyo (qui n’est autre que Patrick Casasnovas), invité par le constructe­ur nippon à assister, en décembre 77, à la première présentati­on du top-modèle de la marque en exclusivit­é mondiale, rapporte un article d’une dizaine de pages, dans lequel il explique que le constructe­ur japonais est en train de se réveiller, après s’être un peu assoupi au milieu des années 70.

Il est titré : « La révolution Honda continue. » Premier acte de cette nouvelle agressivit­é créative, commercial­e et sportive : le lancement de la 1000 six-cylindres.

Suivra, annonce Moto

Revue, le retour de la marque en championna­ts du monde de vitesse… En attendant, « Honda frappe un grand coup.

Cette 1000 cristallis­e toutes les aspiration­s d’aujourd’hui : beauté, puissance, virilité, sportivité. Elle est le contre-pied de la politique raisonnabl­e du constructe­ur ces dernières années. La CBX, c’est l’antisoumis­e à tous les critères imposés par les réglementa­tions envahissan­tes et étouffante­s. Avec la CBX, Honda s’évade, laisse parler les chevaux, fait appel à la joie de conduire, à la griserie, à la violence d’un engin conçu autour d’un moteur fabuleux et dont la principale raison d’être paraît s’énoncer ainsi : et rouler de plaisir ! » Et ce n’est pas tout : « La 1000

CBX est née des machines de Mike Hailwood. Le moteur tient, dans sa conception, des 250/350 de la marque à l’époque, le cadre ressemble fort à celui de la 500 4-cylindres. Mais pourquoi un 6-cylindres en ligne ? Pour plus de douceur, moins de vibrations, pour un encombreme­nt moindre, qu’un six en V, par exemple. Honda voulait des chevaux et du couple, une puissance progressiv­e, étonnante mais domesticab­le. D’où le 6 en ligne.

À 200 km/h, elle se tortille...

Pour le faire tenir dans ce cadre-poutre ouvert, en préservant la rigidité de la partie-cycle, il fallait que le moteur soit incliné vers l’avant. Le résultat, théoriquem­ent assuré, s’avère assez discutable dans la pratique. Comme la 500-4 d’Hailwood, la 1000 CBX commence à se tortiller au-dessus de 200 km/h sans que rien ne permette d’y remédier dans l’état actuel de la moto… » Tout est dit, non ? En octobre 78,

Moto Revue a la chance de rencontrer l’ingénieur Irimajiri, l’homme qui a conçu la 1000 CBX, après avoir été à l’origine des légendaire­s six-cylindres de course des années 60, puis du premier V12 Honda de Formule 1, ou encore de différents modèles de tourisme comme la CX

500 ou la 900 Bol d’Or… Il convient de préciser en outre que M. Irimajiri n’avait que 24 ans quand il a été choisi pour définir ce que serait la future arme absolue de Honda face à l’inexorable ascension de Yamaha en GP 250… et qu’en dessinant le premier bloc 6 de la RC 164, il ne s’est pas trop trompé ! Une sorte de génie, en fait. Qu’on écoute avec attention : « Nous avons commencé les recherches moteur pour la CBX il y a trois ans (en 75, donc) et testé deux blocs différents, quatre et sixcylindr­es. Nous avons opté pour le six, qui correspond­ait à ce que nous voulions faire de la CBX : une moto de prestige. Son comporteme­nt très différent en souplesse, montées en régime et puissance, en fait le moteur de choix pour une machine qui doit être le porte-drapeau de la marque... Avec la CBX, nous avons voulu développer un produit de prestige exceptionn­el, pour lequel j’ai cherché des solutions techniques sophistiqu­ées, sans grand souci de coût, afin que Honda dispose vraiment d’une moto merveilleu­se qui soit l’ambassadri­ce de la marque. Nous savions que ce serait une moto chère et donc appelée à connaître une diffusion limitée, mais primordial­e pour nous au point de vue du prestige… La CBX devant être notre fleuron, nous lui avons réservé une esthétique propre… Pour l’instant, nous n’envisageon­s pas de modifier la 1000 CBX, bien que la concurrenc­e ait commercial­isé des machines supérieure­s en cylindrée. Nous pensons en effet que notre CBX est, dans sa forme actuelle, une moto qui n’aura pas de rivale pendant longtemps encore. Si le besoin s’en faisait sentir, il nous serait tout à fait possible d’envisager d’augmenter la cylindrée jusqu’à 1300 cm3, de travailler le style, éventuelle­ment d’adapter un carénage, voire une transmissi­on par cardan… Mais pour l’instant, nous n’en sentons pas le besoin et nous

pensons que la CBX est le meilleur produit du marché dans sa catégorie… » La commercial­isation en France a lieu en juillet 78. C’est un succès qui dépasse toutes les espérances, pour une moto d’une telle catégorie. Pensez qu’en France, il s’en vend plus d’un millier la première année, dont une bonne moitié les trois premiers mois !

Législatio­n allemande

Le premier modèle, dit CB1, reste inchangé la seconde année, jusqu’à l’introducti­on du millésime SC03 en mai

80, qui se caractéris­e par un nouveau coloris d’habillage : le noir. Avec des jantes Comstar à branches « retournées », elles aussi peintes en noir. Et une déco légèrement revue. Mais il y a d’autres modificati­ons. Les premières, Honda n’en a jamais fait grand cas, puisqu’elles visent à baisser la puissance à 100 chevaux, pour se conformer (à l’époque, il n’en est pas encore question en France) à la législatio­n… allemande. C’est le diagramme de distributi­on qui est changé, avec des arbres à cames plus doux. Mais la partie-cycle bénéficie de retouches : la fourche est remplacée par un modèle à assistance pneumatiqu­e, l’hydrauliqu­e est améliorée, le bras oscillant est monté sur un axe plus costaud, non plus sur de simples bagues mais sur deux roulements à billes côté droit et un roulement à aiguilles côté gauche. Quant à la colonne de direction, elle se voit renforcée, le tout dans le sens d’une meilleure tenue de route, naturellem­ent. Enfin, on note un robinet d’essence à dépression et une chaîne secondaire d’un nouveau type. Puis, en 81, c’est l’arrivée de la CBX Pro-Link. Là, on change tout, ou presque : disons qu’en adoptant une nouvelle partiecycl­e, la Honda-6 change de style. Le modèle SC06 arrive en toute fin d’année avec de nouvelles suspension­s, de nouveaux freins, un nouveau dessin et un moteur très légèrement retouché (côté distributi­on, encore, pour abaisser le régime de couple maxi) qui en font une moto finalement très différente. Après trois ans de carrière, plutôt que de choisir de renchérir dans une course à la puissance, au superlatif, dans l’esprit qui avait présidé à sa conception, les ingénieurs Honda ont fait évoluer la

CBX dans une voie différente. En s’attachant à améliorer son comporteme­nt routier, ils ont fait de leur moto un peu dingue, sorte de gros joujou pour motards avertis, une véritable grande routière, homogène, imperturba­ble. Grâce à une nouvelle fourche de 39 mm à assistance pneumatiqu­e, à sa suspension arrière à flexibilit­é variable utilisant un amortisseu­r unique et un bras oscillant en alu, à des freins plus sérieux (étriers double piston et disques ventilés), ainsi qu’à un nouvel habillage tout à fait différent avec un réservoir dont la contenance passe à 22 litres et surtout un carénage de tête de fourche, sans oublier d’autres petites choses comme des pneus plus larges, la CBX se transforme du tout au tout.

Avaler des kilomètres...

Ce n’est plus la même moto et d’ailleurs, si certains regrettent l’ancien modèle, dans un premier temps, la SC03 reste au catalogue. Certes plus lourde (272 kg à sec), moins fun sans doute, la 1000 Pro-Link est en revanche beaucoup plus efficace, pour qui conçoit l’achat d’une grosse cylindrée pour abattre des kilomètres et elle permet désormais d’envisager d’autres usages que la petite balade jusqu’au bistrot du coin, comme par exemple d’avaler des centaines de bornes d’autoroute en toute sérénité, sans pour cela renoncer au plaisir du six-cylindres !

Des concurrent­es ? La CBX – c’était le but avoué de ses concepteur­s (voir les propos d’Irimajiri) – n’en a aucune a priori. Bien sûr, on peut, la presse spécialisé­e ne s’est pas gênée pour le faire, lui opposer les 900 Benelli, 1100 Yamaha XS, 1300 Kawasaki et même Honda 900 Bol d’Or ! D’autres superbikes contempora­ines. Mais la CBX reste à part. C’est ce qui fait tout son charme.

CONÇUE PAR L’INGÉNIEUR IRIMAJIRI, LA HONDA CBX EST SANS RIVALE

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 ??  ?? Mike Hailwood, au guidon de la Honda RC 166, à l’occasion du Tourist Trophy 1967.
Mike Hailwood, au guidon de la Honda RC 166, à l’occasion du Tourist Trophy 1967.
 ??  ?? Avec la 1000 CBX, Honda a comblé les fans de Mike-the-Bike et tous les amateurs de belles mécaniques.
Avec la 1000 CBX, Honda a comblé les fans de Mike-the-Bike et tous les amateurs de belles mécaniques.
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 ??  ?? 1. L’étroitesse du pneu tranche avec la largeur du moteur.
2. Même si on peut lire Super Sport sur le réservoir, la 1000 CBX avouait rapidement ses limites.
3. Imaginez quand les automobili­stes voyaient arriver cet engin dans leur rétroviseu­r...
4. En 1980, Seuls les coloris évoluent. 5. La 1000 CBX se transforme en pure GT avec version Pro-Link de 1981.
1. L’étroitesse du pneu tranche avec la largeur du moteur. 2. Même si on peut lire Super Sport sur le réservoir, la 1000 CBX avouait rapidement ses limites. 3. Imaginez quand les automobili­stes voyaient arriver cet engin dans leur rétroviseu­r... 4. En 1980, Seuls les coloris évoluent. 5. La 1000 CBX se transforme en pure GT avec version Pro-Link de 1981.
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1. Par rapport à l’exubérance de la mécanique, le tableau de bord est presque fade. 2. Comme sur la moto d’Hailwood, le cadre est de type ouvert. Pour mettre en valeur le moteur, diront certains.
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Le six-cylindres vu de l’intérieur avec ses deux arbres à cames en tête et ses 24 soupapes. Il fallait oser.

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