ESSAI SUZUKI COLEMAN
Construite dans un petit atelier néo-zélandais durant l’hiver 1981-1982, la Coleman à cadre monocoque en aluminium a tout de suite fait jeu égal avec les motos d’usine.
La genèse d'une moto à cadre coque construite en Nouvelle-Zélande.
Au Royaume-Uni, la Norton JPN de Peter Williams est considérée comme la moto à cadre coque la plus réussie à ce jour. En Espagne, on vous parlera volontiers de la Ossa 250 pilotée par Santiago Herrero. En France, on est intarissable sur les motos d’Éric Offenstadt, tandis que les Italiens évoqueront la Morbidelli
500. Quant aux Japonais, ils n’hésiteront pas à citer la Kawasaki KR 500 de Kork Ballington, animée, comme la Morbidelli, par un quatrecylindres en carré deuxtemps. Sans oublier la Honda NR 500 de 1979. Pourtant, je dois dire que cet honneur revient à une moto construite loin de l’Europe et du Japon. Avec la Coleman-Suzuki GS 1000 R, dont le cadre coque en aluminium a été construit en Nouvelle-Zélande par l’expatrié britannique Steve Roberts, Dave Hiscock a terminé à la troisième place du championnat du monde de TTF1 et du championnat britannique TTF1 en 1982 face aux équipes officielles Honda et Suzuki.
Tout commence lorsque
Steve Roberts, né dans le Hertfordshire, se met à travailler l’aluminium en tant qu’apprenti chez le constructeur aéronautique De Havilland, avant de rejoindre Aston Martin pour réaliser les carrosseries des DB4.
Puis, en 1962, avec sa femme Pam, il émigre en NouvelleZélande, où il finit par devenir professeur de chaudronnerie à Wellington.
TR 500 monocoque
Peu de temps après son arrivée, Roberts fait la connaissance de Rod Coleman, ancien pilote d’usine de l’AJS, vainqueur du Junior TT, bref le meilleur pilote néo-zélandais des années 1950, qui, de retour chez lui, s’est associé avec son frère Bob pour devenir importateur Suzuki. Grâce à un mélange d’astuce, de dynamisme et de travail acharné, les Coleman ont fait de Suzuki la marque numéro 1 aux antipodes.
Rod et Bob voulaient se lancer dans la compétition avec la nouvelle TR 500 sortie en 1968 mais à cause d’un quota d’importation réduit, ils n’ont pu se permettre de perdre des « unités », alors qu’il était parfois difficile de répondre à la demande des clients pour les motos de route. Mais lorsque le pilote malaisien, Sonny Soh, chute avec sa Suzuki TR 500 d’usine à
Shah Alam en 1969 et plie le cadre, celui-ci est envoyé en Nouvelle-Zélande pour que Steve Roberts le répare.
EN L’ESPACE D’UNE SAISON, HISCOCK ET SA COLEMAN PROUVENT LE BIEN-FONDÉ DE LA COQUE EN ALUMINIUM
Ce dernier fabrique alors une copie qu’il améliore ensuite en installant un roulement à rouleaux coniques pour la direction et un bras oscillant rigide en tube carré sur rouleaux à aiguille. Plus tard, Rod Coleman financera la production d’une série de répliques de TR 500, toujours construites par Roberts, avec des suspensions Ceriani et des freins Oldani, certaines avec un angle de colonne légèrement différent. Puis Coleman se fait envoyer des pièces spéciales par Suzuki pour modifier des moteurs de route T500 standard en TR 500. C’est sur l’une de ces machines que le pilote néo-zélandais Keith Turner termine d’ailleurs 2e derrière l’implacable duo AgostiniMV Agusta au championnat du monde 500 en 1971, avec trois deuxièmes places. Au cours de cette saison,
Keith Turner se lie d’amitié avec Éric Offenstadt, ce qui lui donne l’occasion d’observer de près le comportement du cadre coque de la Kawasaki H1R du Français. À son retour en Nouvelle-Zélande cette année-là, il montre à Steve Roberts des photos de la moto et lui demande de construire un cadre coque pour la Suzuki TR 500. Roberts s’exécute mais si la moto était plus maniable que celle à cadre tubulaire, la coque, en revanche, enveloppait trop le moteur refroidi à l’air : en Europe, il ne chauffait pas assez et aux antipodes, il chauffait trop ! Le projet est abandonné. Il ne sera jamais relancé et un an plus tard, le moteur Suzuki XR 05 refroidi par liquide apparaît.
Les débuts en Norton
La même année 1972, à Wellington, David Hiscock, commence à courir sur une Norton Commando. Il deviendra par la suite pilote pour Coleman-Suzuki dans la catégorie Production en Australie et en NouvelleZélande dans les années
1970 et au début des années 1980, remportant 40 victoires consécutives en deux saisons seulement ! En 1981, il part au Royaume-Uni pour participer aux championnats TTF1 et Production pour McIntosh, un autre fabricant de cadres néo-zélandais. Cette même année, il finit 14e du Tourist Trophy sur une Suzuki XR 69 d’usine prêtée par l’importateur
KEITH TURNER DEMANDE À S. ROBERTS DE CONSTRUIRE UNE COQUE EN ALU
Suzuki anglais, Heron.
Cette course a convaincu Dave qu’il avait besoin d’une moto maniable comme la XR69, plutôt qu’une McIntosh trop pataude. À son retour en Nouvelle-Zélande, il fait appel à Steve Roberts pour lui demander de lui construire une telle machine. Roberts suggère alors qu’un cadre coque conviendrait mieux. Hiscock accepte. En janvier 1982, Roberts attaque donc le projet, financé par Coleman-Suzuki.
La fourche de Mamola
Le cadre monocoque en alu qui en a résulté a été réalisé avec de la tôle d’aluminium de 3 mm dans des lignes style Katana en vogue à l’époque. Le cadre monobloc englobe la colonne de direction, le réservoir de carburant de 24 litres cloisonné pour une rigidité accrue, ainsi que les plaques latérales recevant l’axe du bras oscillant et les supports de montage du moteur. Ce dernier est un Suzuki GS 1000 R préparé par Yoshimura. Pour le déposer et en monter un autre, il fallait à peine 20 minutes ! La première fourche provient d’une Katana mais à peine Hiscock a-t-il commencé à briller sur la moto que HeronSuzuki lui a prêté une Kayaba d’usine provenant d’une
RGB 500 de Randy Mamola. À l’arrière, l’interprétation de la suspension Full Floater de Suzuki par Roberts a été équipée d’un amortisseur Kayaba, et l’épure finale était si proche de celle de l’usine que les gens de chez Heron ont collé des autocollants Suzuki Full Floater sur la moto alors qu’elle était en Europe ! Pour résoudre les problèmes de refroidissement rencontrés sur la monocoque TR 500, Steve Roberts a consulté Graham McRae, le constructeur néo-zélandais de monoplaces Leda et sur sa recommandation, a installé une boîte à air autour des carburateurs et des conduits d’air forcé pour les alimenter. Ça a si bien fonctionné que Hiscock a estimé que cela leur avait fait gagner 5 chevaux, à condition que le boîtier soit bien étanche. Toute la moto a été construite dans l’atelier de Roberts et elle a roulé pour la première fois six semaines seulement après que Steve a repris son chalumeau ! Une fois terminée, la moto a été essayée par Hiscock dans la campagne néo-zélandaise : « Il était parti depuis une dizaine de minutes mais je l’entendais encore et c’était fantastique, explique Roberts. Il est revenu avec un grand sourire et a dit : “Oui, ça ira”, et c’est tout ! » Puis la moto est partie au RoyaumeUni dans les bagages de Dave Hiscock, où a été monté le moteur Yoshimura GS 1000 R à double allumage envoyé directement du Japon. Hiscock a réalisé la plupart du travail sur la moto puis la ColemanSuzuki a fait ses débuts en compétition le 4 avril avec une fantastique 2e place dans la première manche du championnat britannique TT F1 1982 à Cadwell Park, derrière le futur champion Roger Marshall sur la Suzuki officielle, mais devant les pilotes du team officiel Honda : Joey Dunlop et Ron Haslam.
Hiscock devant Haslam
Deux semaines plus tard, Hiscock confirme qu’il ne s’agit pas là d’un coup de chance en terminant troisième à Donington Park, derrière Marshall et Wayne
LA MOTO ROULE APRÈS SIX SEMAINES DE CONSTRUCTION SEULEMENT
Gardner, mais devant l’ancien champion du monde TTF1 Ron Haslam, qui roule pourtant à domicile. Sur l’île de Man, Hiscock prouve la véritable valeur du cadre coque en aluminium en terminant encore 3e derrière le vainqueur Haslam et
Joey Dunlop, qui l’ont donc battu pour la première fois cette année-là. Mais à 27 ans, le pilote néozélandais surclasse toute l’équipe Suzuki, comprenant Mick Grant, Roger Marshall et la nouvelle recrue,
Phil Read. Et il mène du coup le classement TTF1 avec la coque Roberts !
Troisième en TTF1 anglais
Un mois plus tard, la 2e manche du championnat du monde TTF1 se déroule sur le circuit de Vila Real, dans le nord du Portugal. Wayne Gardner et Joey Dunlop terminent premier et deuxième une fois de plus, mais la coque Coleman s’est parfaitement bien comportée dans la chaleur estivale portugaise et finit donc 4e derrière le pilote Kawasaki, Johnson. L’exploit est réitéré lors du GP d’Ulster. Là, malgré la victoire de Ron Haslam, c’est Joey Dunlop, 2e devant Wayne Gardner, qui remporte le titre mondial TTF1. Hiscock est 4e et une fois de plus première Suzuki. Il décroche ainsi la troisième place au classement général.
Retour inattendu de Barry Sheene
Le 1er août à Silverstone, en ouverture du Grand
Prix de Grande-Bretagne, a lieu la quatrième manche du championnat britannique de TTF1. Haslam, Gardner, Marshall et Hiscock se disputent la première place du podium, en s’échangeant le leadership. À deux tours de la fin, Hiscock casse une soupape sur le moteur Yoshimura et rétrograde jusqu’à la cinquième place. C’est le 3 octobre qu’il remportera sa première victoire tant attendue, à l’occasion de la deuxième visite à Donington Park, battant à nouveau Haslam. Trois semaines plus tard, à Brands Hatch, il peut encore espérer gagner le titre. Il mène même la course pendant les deux premiers tours mais ne peut faire mieux que 5e et bien que premier pilote Suzuki, il doit se contenter d’une troisième place au classement final. Après une « campagne européenne » aussi réussie, Dave Hiscock aurait dû être intégré à l’équipe Heron Suzuki pour 1983. Sauf que le retour inattendu de Barry Sheene pour la saison de GP 500 absorbe la majeure partie du budget de l’usine ! Dave revient donc en Europe en tant que pilote privé soutenu par Coleman, avec une nouvelle moto propulsée par le nouveau moteur GSX 1100 à 16 soupapes. Pour ce moteur plus puissant, Steve Roberts a construit un nouveau cadre coque, en fibres de carbone et Kevlar cette fois. Mais ça, c’est une autre histoire.