BALADE SUÉDOISE
Pour les vacances, on est allé découvrir une île suédoise au guidon de trois petites italiennes.
Le tour d'une île suédoise au guidon de trois 250 italiennes : Aermacchi, Ducati et Benelli.
Le chemin qui serpente en bord de lac est vraiment magnifique. Il est limite praticable pour nos trois motos mais on ne peut pas résister à faire un tour sur le rivage. Puis on repart par une petite route sinuant dans la campagne. Un couple de vaches nous regarde en ruminant. Après quelques kilomètres, on s’arrête pour observer au-delà de la mer. La vue depuis Alekinta n’est pas seulement splendide, elle est aussi unique : ce genre de lumière, on ne la voit que là où le ciel et la mer se rencontrent. Mais revenons à nos moutons... ou plutôt à nos motos ! Nos trois machines sont représentatives des moyennes cylindrées italiennes des années 60. Et elles sont si belles que le simple fait de les regarder vous emplit de bonheur !
Les Marx Brothers
Même que tous ceux que vous croisez vous questionnent à leur sujet pendant des heures. Précisons les choses ; nous sommes sur la petite île d’Oland, au large de la Suède, et l’on est venu avec une Aermacchi, une Benelli et une Ducati. Le point commun entre ces motos ? La cylindrée de 250 mais ça s’arrête là puisque ces trois marques italiennes ont des histoires bien différentes. Aermacchi était un fabricant d’avions de Varèse, contraint de se reconvertir dans le civil après la Seconde Guerre mondiale. Du coup, l’usine s’est mise à produire des scooters et des petites motos. L’Ala Verde de 1961 que nous utilisons est typique de la production de la marque avec son mono quatre-temps culbuté à cylindre horizontal.
Une mécanique produite entre 1961 et 1974 et siglés Harley-Davidson puisque vous n’êtes pas sans savoir que la compagnie américaine AMF s’offrit la marque en 1960 par le biais du constructeur américain. Cependant, les Américains ne sont pour rien dans la création du monocylindre : c’est l’ingénieur Alfredo Bianchi qui dessina ce moteur en 1956 puis qui proposa la Chimera, une moto entièrement carénée et plutôt étrange. La machine de notre essai, propriété de George Wessman, a été achetée sur la bourse d’Imola en 1997 et elle était en si bon état qu’il n’a rien eu à faire dessus. De retour en Suède, il a tout de suite roulé avec et n’a essuyé depuis qu’une panne d’allumage.
Les frères Benelli, eux, ont commencé à produire à Pesaro en 1921, après la Première Guerre mondiale. On ne peut s’empêcher de penser aux Marx Brothers lorsqu’on égrène leurs prénoms : Mimmo, Filippo, Tonino, Giuseppe et Giovanni Francesco. Pourtant, c’est l’une des marques les plus prestigieuses de l’histoire qui a su se maintenir, malgré un parcours chaotique et une interruption de sa production entre 1988 et 2002. Dans les années 60, la firme a produit des quatre-cylindres de Grands Prix et dans les années 70, lorsqu’elle était dans le giron du groupe De Tomaso, on a vu apparaître les 750 et 900 six-cylindres. Sans oublier la 250 quatrecylindres championne du monde en 1969. Celle de notre essai, une Sport Special, trouve ses origines dans un projet que le frère aîné initia dans les années 50 pour son propre compte. Avec ses fils Luigi et Marco, il produisit une machine baptisée Motobi. Elle était propulsée par un moteur deux-temps qui ressemblait à un oeuf. Lorsqu’il lança une
QU’IMPORTE LE FLACON POURVU QU’ON AIT L’IVRESSE
125 quatre-temps, son moteur reprenait cette forme, avec un cylindre couché comme un Aermacchi mais encore plus compact, la culasse et les culbuteurs étant parfaitement intégrés dans le design. Malheureusement, Giuseppe mourut en 1957 et après quelques années difficiles, Motobi retourna dans le giron de la famille Benelli. Le moteur ovoïde (et le reste) prit parfaitement place dans le réseau Benelli et la 125 devint rapidement une 175. Le nom Motobi survécut quelques années à côté de Benelli (c’était la gamme sport du constructeur) avec l’Imperiale Sport 125, la Catria 175 et la Catria Sport. En 1966, après des tests sur une version 200 cm3, Benelli décida de commercialiser le moteur en 250. Enfin, en 1968, une boîte de vitesses à cinq rapports était adoptée. C’est donc bien un moteur de Motobi qui se trouve dans le cadre de notre Benelli Sport de 1970. Robert, son propriétaire, l’a trouvée dans
HARLEY-DAVIDSON S’OFFRE AERMACCHI
L’Argus Magazine en 1986. Un Italien l’avait importée dix ans auparavant et il s’en est servi de monnaie d’échange suite à des travaux qu’il avait réalisés chez lui. L’artisan l’a tout de suite revendue et Robert s’est jeté dessus. En 17 ans, la moto n’avait effectué que 310 kilomètres et il a seulement dû changer les pneus, la selle et le silencieux. Résultat, la machine affiche une patine extraordinaire.
Pas de Desmo sur la Ducati
Aujourd’hui, la marque Ducati est mondialement connue et même très à la mode mais ça n’a pas toujours été le cas. Dans le nord de l’Europe, la firme bolonaise tenta de commercialiser une
125 culbutée, baptisée
SS. Les plus grosses 175 et 250 à arbre à cames en tête étaient fort rares et l’importation ne s’est réellement structurée qu’à la fin des années 60.
À ce moment-là, Ducati a tout misé sur les Desmo en 250, 350 et 450.
Point de Desmo sur la machine de notre essai. Il s’agit à l’origine d’une
Mark 3 de 1972 qui a été modifiée par son propriétaire pour la rendre plus ancienne. L’idée était de la faire ressembler à une Mach 1 de 65-66. Ah, cette manie du vintage… On le pardonne car la peinture du réservoir est superbe et les autres modifications sont plutôt de bon goût, comme l’instrumentation plus ancienne protégée par un petit saute-vent en plexiglas. En revanche, l’Aermacchi, elle, est 100 % d’origine. Ce modèle était aussi disponible en version compétition-client : la fameuse Ala d’Oro qui fit la joie de nombreux pilotes. Concernant notre brave « Macchi » de route, elle est stable, elle a un centre de gravité placé très bas, elle a de bons freins et le moteur délivre sa puissance dès les bas régimes. Mais c’est loin d’être un avion ! Pourtant, c’est grâce à cette moto que la direction de HarleyDavidson a décidé de s’offrir la firme italienne car elle avait besoin d’une moto de moyenne cylindrée pour contrer la concurrence anglaise et allemande aux États-Unis. Les petites machines préfèrent les petites routes, c’est bien connu.
L’île d’Oland est donc idéale pour notre escapade d’autant qu’elle est parfaitement plate. Et ça tombe bien, puisque chaque cheval compte sur nos pétochons !
C’est bon de rêver un peu...
Nous sommes partis du centre de l’île, direction le sud et sommes remontés par la côte opposée. Sans forcer, avec une pause repas entre les deux. L’autre avantage de rouler sur les petites routes avec des motos poussives, c’est que vous êtes toujours en adéquation avec les vitesses autorisées ! Vous l’aviez peut-être déjà compris, il ne s’agit pas, à travers cet article, de comparer les trois motos. Il est plutôt question d’une déclaration d’amour à ces trois italiennes qui sont si différentes, quoique construites sur le même moule. Par exemple, elles ont toutes trois des éclairages faiblards en six volts et des suspensions pas terribles. Pour une déclaration d’amour, ça commence mal ! En revanche, les freins constituent une bonne surprise : les gros tambours permettent de se sentir en sécurité. Vous me direz, vu la puissance affichée… De même, comme ils ne tournent pas à des régimes délirants, les petits monos ne vibrent pas trop. Le Ducati, avec son arbre à cames en tête, est celui qui émet le plus de bruits mécaniques en tout genre. Ça vient principalement du couple conique situé sur la gauche. C’est aussi le plus sportif des trois et il faut bien qu’il s’exprime durant l’effort ! On l’a dit plus haut, le charme de ces machines n’agit pas que sur nous, nombreux sont les passants qui nous complimentent, même si nous arrivons parfois un peu bruyamment. Certains aimeraient même sauter le pas : elles ne sont pas à vendre ? Non !
On a fini notre petit séjour sur l’île en roulant sur un circuit imaginaire, une boucle de sept kilomètres que nous avons pompeusement nommée Oland-TT. Le départ se trouve devant l’église et c’est tout droit jusqu’à l’intersection de Nasby. Une courbe à 90° et on enchaîne avec une série de virages qui se termine à La ferme. Un gauche serré puis un autre beaucoup plus ouvert et vous revoilà sur la ligne de départ. Sauf que bien sûr, il ne s’agit pas d’une course et on n’a surtout pas malmené nos machines. Mais ça fait toujours du bien de rêver, surtout lorsqu’on chevauche une petite italienne. Après tout, Ago a commencé sur ce genre de moto…