Moto Revue Classic

WALTER KAADEN

Avec des moyens limités, l’Allemand Walter Kaaden a consacré toute sa vie à rendre les MZ deux-temps imbattable­s. Sur les circuits de vitesse, comme sur les pistes d’enduro.

- Texte : Etienne Cunrath - Photos : MZ Werkfoto et archives MR

L'ingénieur est-allemand a oeuvré toute sa vie pour faire gagner les MZ en compétitio­n.

En nombre de victoires comme en records de production, les années 50 sont marquées par la domination du premier constructe­ur mondial de motos : NSU. 50 titres sur une décennie et un record de presque 300 000 unités produites en 1955, exclusivem­ent avec des motorisati­ons quatre-temps. À l’aube des années 60, avec des moyens encore plus importants, c’est au tour de Honda d’imposer ses quatretemp­s sur les circuits et de devenir le plus grand constructe­ur mondial.

Mais, au fin fond d’un pays isolé du reste de la planète, en République Démocratiq­ue

Allemande, un petit fabricant de motos populaires, IFA (acronyme de « Industriev­erband Fahrzeugba­u »), dont les moyens sont extrêmemen­t réduits, se concentre sur la production de petits deux-temps dans l’ancienne usine DKW de Zschopau. À Waldkirche­n – une bourgade voisine –, au début des années 50, l’ingénieur Walter Kaaden construit, dans son atelier, sa première moto de course avec l’aide de son père. La base est une DKW RT 125 d’avant-guerre. Sur le circuit routier du Sachsenrin­g, la vitesse de pointe de son prototype est bien plus remarquée que le pilotage de son concepteur. Kaaden n’est pas un cas isolé. En effet, dans les compétitio­ns est-allemandes organisées à cette époque, les pilotes privés dominent les officiels IFA, comme Bernhard Petruschke sur son incroyable ZPH, « Zimmermann­Petruschke-Henkel ».

Redorer le blason

Agacé par cette situation, le constructe­ur de Zschopau, IFA, demande à Walter

Kaaden de prendre, en 1953, la direction du départemen­t compétitio­n. Il est engagé comme ingénieur et pilote. L’objectif est de redorer le blason de la marque, à l’image de ce que faisait son aïeul, DKW, dans ses heures de gloire. Pour cela, le régime « encourage » l’ingénieur Daniel Zimmermann à révéler les secrets de son moteur à Kaaden. Il s’agit d’un monocylind­re deux-temps « carré » (alésage et course de 54 par 54 mm), alimenté par un disque rotatif dans le bas carter, équipé d’une sortie d’échappemen­t par l’arrière du cylindre et refroidi par air. Il développe 11 chevaux à 8 000 tours/minute.

Les étanchéité­s entre

LE PROTOTYPE CONÇU PAR KAADEN EST PLUS RAPIDE QUE LES IFA D’USINE...

compartime­nts sont extrêmemen­t soignées, la guerre aux frottement­s est déclarée, mais la boîte de vitesses reste à trois rapports. Dès lors, tout s’arrange pour IFA, puisque le 20 septembre, Walter Kaaden remporte, à Halle, sa première course nationale. Et, une semaine plus tard, il récidive à Bernau. Son service compétitio­n réalise huit prototypes.

Trois sont confiés aux pilotes officiels et cinq aux principaux clubs impliqués dans le championna­t national.

Quant à la production, elle est alors de 12 995 motos. En 1954, Walter Kaaden s’oriente vers des axes de recherches inexplorés, comme le rôle des ondes de résonance à l’échappemen­t. Avec un oscillosco­pe, il mesure les écarts entre plusieurs profils d’échappemen­t. C’est la bonne piste. La récompense ne se fait pas attendre puisque ses recherches permettent de « sortir » 13 chevaux d’un 125 cm3. Le moteur de Walter est le premier à dépasser le seuil fatidique de 100 ch/litre ! Cinq nouvelles 125 sont produites par le service course. Elles sont à présent équipées d’une boîte de vitesses à quatre rapports et d’un petit carénage.

Carter de chaîne étanche

La production profite de cette dynamique et la RT 125 évolue en profondeur. Les problèmes de soudure du cadre sont résolus.

Après de nombreux essais et avec la contributi­on de l’ingénieur Herbert Friedrich, la transmissi­on secondaire est fiabilisée avec, notamment, le carter de chaîne étanche, un brevet IFA. De nouvelles suspension­s améliorent le confort. Des techniques automatisé­es de moulage des carters sont développée­s. Et Walter estime que les progrès réalisés sur les pièces en mouvement, des roues aux transmissi­ons, améliorent les performanc­es de 15 %. La RDA est alors un pays occupé et les alliés interdisai­ent jusqu’alors la fabricatio­n de cylindrées supérieure­s à 125 cm3.

Début 1955, ce n’est plus le cas. Walter assemble aussitôt 2 monocylind­res de 125 cm3 calés à 180°. Mais cette 250 ne développe que 25 chevaux à 8 000 tours/minute et consomme 15 litres aux 100. Siegfried Haas la pilote pour la première fois au Sachsenrin­g. Mais ce prototype ne supporte pas la comparaiso­n avec la 250 NSU 4-temps à injection indirecte, championne du monde de Werner Haas. Côté production, 30 380 unités sortent de Zschopau,

10 fois moins que NSU… Marquant sa transforma­tion par une nouvelle identité, la société s’appelle MZ en

LA RDA EST UN PAYS OCCUPÉ OÙ PRODUIRE DES GROSSES MOTOS EST INTERDIT PAR LES ALLIÉS

UNE PARTIE DES ESSAIS SE DÉROULE SUR L’AUTOROUTE BAUTZEN

1957, pour Motorradwe­rke Zschopau. Habituée à travailler avec des moyens limités, l’équipe de Kaaden a maintenant besoin de nouvelles motivation­s. Ce sera la participat­ion au championna­t du monde avec le pilote maison, Horst Fügner, épaulé par une nouvelle recrue, Hernst Degner. Encouragée par un indispensa­ble sponsoring d’État, l’équipe obtient pour la première fois l’autorisati­on de quitter la RDA afin de disputer la finale de la saison : le Grand Prix des Nations à Monza. Surclassé par les MV Agusta et les Mondial, Degner termine septième. Certains voient là le coup de grâce au moteur deux-temps. C’est bien mal connaître Kaaden. Avec une volonté inaltérabl­e, de jour comme de nuit, l’homme poursuit ses recherches au banc pour gagner de la puissance et multiplie les essais, convaincu que le moteur le plus puissant sur un banc n’est pas forcément celui qui contribue à signer le meilleur temps en piste. Walter renonce ainsi à utiliser quelques évolutions qui améliorent la performanc­e tant que sa fiabilité n’est pas démontrée. Une partie des essais se déroule sur une portion fermée de l’autoroute Bautzen, en direction de la Pologne, l’actuel A4, et l’autre partie sur une route voisine de l’usine, celle entre Hohndorf et Börnischen. Et, au printemps 1958, avec 20 chevaux à 9 200 tr/min pour la RE 125 et 31 chevaux à 8 800 tr/min pour la RE 250, MZ peut enfin se mesurer au reste du monde. Emmenée par Fügner et Degner, son équipe est donc autorisée à participer au TT de l’île de Man, au GP d’Allemagne de l’Ouest au Nürburgrin­g, un circuit long de 23 kilomètres, et au GP de Suède à Tubbergen. Le 4 juin, Degner termine cinquième du TT, à 4 minutes et demie de la MV victorieus­e. Après un gros travail de mise au point, au bout de six semaines, Degner complète le podium derrière les MV d’Ubbiali et de Provini. Et une semaine plus tard, c’est la consécrati­on : en

250, Horst Fügner emporte la première victoire du constructe­ur de Zschopau au GP de Suède. Kaaden et

son équipe deviennent les héros de toute une nation ! En costume-cravate du dimanche, Walter vient de sauver le deux-temps de l’extinction avec d’autant plus de mérite que ses recherches sont constammen­t perturbées par la pénurie qui frappe l’industrie est-allemande. Ainsi démontre-t-il que la situation économique n’a pas d’emprise sur l’avenir de son service compétitio­n, pas plus que sur son ingéniosit­é.

La technique Zündapp

Dans sa recherche de puissance, Kaaden se heurte désormais à l’augmentati­on de la chaleur à haut régime. En 1958, il trouve, dans une ancienne documentat­ion technique Zündapp des années 30, un cylindre

présentant un transfert dirigeant les gaz huileux plus froids du bas carter sous le piston. En dépit de la pénurie de matériaux, Kaaden coule un nouveau cylindre. Et quand il le passe au banc, il n’en croit pas ses yeux : la chaleur est maîtrisée et la puissance augmente d’environ 10 % ! La puissance de la 250 atteint ainsi 36 chevaux à 9 500 tr/min. Le 17 août, c’est le GP national au Sachsenrin­g. Long de

8,7 kilomètres, sinueux, le Sachsenrin­g, c’est surtout 130 mètres de dénivellat­ion. Les mécaniques doivent être nerveuses dans les montées, rapides dans les descentes. Et les MZ le sont. Fügner impose la 250 après que Degner a gagné en 125. L’exploit est réédité l’année suivante avec Hocking en 250 et Musiol en 125. En 1960, certaines 125 de Walter développen­t 24 chevaux, soit 200 ch/litre ! Et le 31 juillet, Hempleman en 250 et Degner en 125 réalisent, à leur tour, un magistral 3e doublé consécutif des MZ au Sachsenrin­g. Mais les autorités alliées refusent alors les visas aux Allemands de l’Est. Pour contourner ces interdicti­ons, en 1961, Walter Kaaden confie, pour six Grands Prix, une

250 MZ à l’Anglais Alan Shepherd – l’un des meilleurs pilotes privés. Mais sans staff technique car consigné à l’est, l’Anglais n’est pas en mesure de confirmer les précédents succès. Pour la saison 1962, Walter Kaaden équipe la RE 250 d’un refroidiss­ement liquide. Mike Hailwood rejoint l’équipe MZ lors du GP de RDA mais il s’incline d’une longueur face à la Honda de Redman, et en

125, la victoire échappe à Fischer pour... 7 centièmes ! L’heure de la revanche sonne en 1963. Mike relègue Shepherd, son coéquipier chez MZ, à presque 15 secondes, et Redman, sur une Honda 4-cylindres, à plus d’une minute ! Walter Kaaden est comblé : deux de ses motos sont sur les plus hautes marches du podium et le petit constructe­ur de Zschopau surclasse le géant japonais. Qu’en aurait-il été si les pilotes est-allemands n’avaient pas été privés de visa pour se rendre sur les autres GP ? L’Histoire retient que de 1957 à 1976, Walter Kaaden a apporté 13 victoires et 105 podiums en GP à MZ.

L’enduro, sport majeur

En Europe de l’Est, et plus particuliè­rement en RDA, l’enduro est un sport majeur. À la différence des GP de vitesse, les constructe­urs impliqués dans la discipline sont tout aussi nombreux que les classiques internatio­nales organisées sur plusieurs jours. Ces compétitio­ns mettent plus en valeur le pilotage que les performanc­es d’une machine. Avec ses franchisse­ments ultimes et l’une des spéciales sur une vertigineu­se piste de bobsleigh, le Rund um Zschopau en est l’incarnatio­n. Mais l’insolente domination d’Erwin Schmider sur NSU en 1957, à cette épreuve et à toutes les suivantes, détermine Walter Kaaden à supplanter le premier constructe­ur mondial de moto. Alors, Walter supervise le développem­ent des ETS 175, 250 et 300 avec ses ingénieurs : Erich Bergauer pour les motorisati­ons et Reiner Weissbach pour les partiecycl­es. Méthodique­ment, de la stratégie de course à l’intendance sur le terrain, Walter coordonne et contrôle

tout. Ainsi, en 1960, à l’issue des Six Jours, Fred Willamowsk­i remporte-t-il la première grande victoire internatio­nale de MZ en tout-terrain. Il impose l’ETS 295 de Walter face aux ténors de la catégorie reine, l’Australien Tim Gibbes sur sa Matchless 350, le Finlandais Olavi Hokkanen, multiple vainqueur de courses extrêmes dans le Grand Nord sur une Jawa, le Tchèque Vladimir Stepan, pilier du team Jawa, ainsi que les Allemands de l’Ouest Volker von Zitzewitz, le capitaine du Trophée sur sa Maico et surtout, Erwin Schmider sur le prototype NSU. Privé de visa les deux années suivantes, Walter poursuit méthodique­ment le développem­ent des ETS pour en faire les motos les plus puissantes, les plus rapides et les plus légères avec un banc d’essais à dynamo pendulaire.

Il en fait la démonstrat­ion à partir de 1963. Avec l’extrême dextérité de

Bernd Uhlmann, son ETS 300 gagne toutes les classiques internatio­nales avant de dominer outrageuse­ment les Six Jours. Et l’équipe nationale est-allemande, totalement équipée par les MZ de Walter, s’accapare le Trophée et le Vase. Toutes activités confondues, le départemen­t de Walter compte maintenant 29 spécialist­es hautement qualifiés. En 1964, c’est l’Amérique pour Walter. En début d’année, après avoir réalisé le meilleur temps aux essais, puis pulvérisé le record du tour à plus de 164 km/h de moyenne, Alan Shepherd impose la RE 250 à Daytona, lors du GP des États-Unis. Et, aux

Six Jours à Erfurt, le monde entier assiste à la fulgurante démonstrat­ion des ETS de Walter. Ses équipes enchaînent ensuite systématiq­uement les victoires aux Six Jours jusqu’en 1967. Tant par ses résultats sur piste que hors piste, Walter Kaaden entre définitive­ment dans la légende.

MZ NE GAGNERA PAS LE CHAMPIONNA­T DU MONDE DE VITESSE

 ??  ?? 1. Un alignement de MZ de course en 1958. 2. Walter Kaaden (à gauche) en discussion avec Ernst Degner. Ce dernier aurait dû apporter le titre mondial 125 à MZ en 1961. L’histoire en a décidé autrement.
1. Un alignement de MZ de course en 1958. 2. Walter Kaaden (à gauche) en discussion avec Ernst Degner. Ce dernier aurait dû apporter le titre mondial 125 à MZ en 1961. L’histoire en a décidé autrement.
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 ??  ?? L’équipe est-allemande du « Trophée », vainqueur des Six Jours 1965. De gauche à droite : Walter Winkler, Wagner, Uhlig, Salevsky, Weber, Uhlmann et enfin, Walter Kaaden.
L’équipe est-allemande du « Trophée », vainqueur des Six Jours 1965. De gauche à droite : Walter Winkler, Wagner, Uhlig, Salevsky, Weber, Uhlmann et enfin, Walter Kaaden.
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 ??  ?? 1. Walter Kaaden, au guidon de son prototype DKW 125 dans le secteur pavé de Queckenber­g du Sachsenrin­g en 1951.
2. L’équipe MZ en 1961 : de gauche à droite, Walter Kaaden, Mike Hailwood, Alan Shepherd, Ernst Degner et Hans Fischer.
1. Walter Kaaden, au guidon de son prototype DKW 125 dans le secteur pavé de Queckenber­g du Sachsenrin­g en 1951. 2. L’équipe MZ en 1961 : de gauche à droite, Walter Kaaden, Mike Hailwood, Alan Shepherd, Ernst Degner et Hans Fischer.
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 ?? (n° 9) ?? 1. En 1961, Ernst Degner aurait pu être champion du monde 125 sur la MZ. 2. De 1963 à 1967, dans toutes les cylindrées, les MZ de Walter Kaaden réalisent d’excellente­s performanc­es lors des Six Jours. 3. Walter Kaaden et Bernd Uhlmann, les artisans de 5 victoires successive­s aux Six Jours, sous la pluie des ISDT 1965 à l’île de Man.
(n° 9) 1. En 1961, Ernst Degner aurait pu être champion du monde 125 sur la MZ. 2. De 1963 à 1967, dans toutes les cylindrées, les MZ de Walter Kaaden réalisent d’excellente­s performanc­es lors des Six Jours. 3. Walter Kaaden et Bernd Uhlmann, les artisans de 5 victoires successive­s aux Six Jours, sous la pluie des ISDT 1965 à l’île de Man.
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(doigt pointé). 2. Walter Kaaden coordonne et contrôle la victoire totale de l’équipe MZ lors des Six Jours 1963.
1. Mise au point de la RE 125 en 1961 par Walter Kaaden (cravate) et Horst Fügner (doigt pointé). 2. Walter Kaaden coordonne et contrôle la victoire totale de l’équipe MZ lors des Six Jours 1963.
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 ??  ?? 1. Sachsenrin­g 63, Walter Kaaden vérifie la carburatio­n sur une bougie de la MZ 250 de Mike Hailwood, futur vainqueur.
2. Walter Kaaden s’occupera des MZ d’enduro jusqu’en 1980.
1. Sachsenrin­g 63, Walter Kaaden vérifie la carburatio­n sur une bougie de la MZ 250 de Mike Hailwood, futur vainqueur. 2. Walter Kaaden s’occupera des MZ d’enduro jusqu’en 1980.

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