NORTON 920 COMMANDO
BREXIT
Ou comment transformer une paisible 850 en une machine ultra-performante !
C’est toujours un plaisir de conduire une moto dont la construction a pris des années à un passionné. Sauf que, pour des raisons évidentes, ça rend un peu nerveux. Pourtant, rencontrer Jerry Hutchinson et sa 920 Commando Roadster, c’était comme se rendre sur un lancement presse organisé par un constructeur moderne.
Non seulement il fournit une fiche technique et une brochure détaillée, mais Jerry et son associé Roy Chappell portent des chemises 920 Commando et vous servent le thé dans des tasses 920 Commando ! Et je dois dire que leur fierté est totalement justifiée : on dirait une moto de série. Ou plutôt, comme le dit Jerry : « c’est ce que Norton aurait probablement fait, si la marque n’avait pas disparu ». Il précise : « quand mon père est mort en 2009, je voulais lui rendre hommage. Il était ingénieur en mécanique et adorait les vieilles voitures et motos britanniques. J’ai donc pensé à l’ingénierie britannique et comme Norton renaissait, j’ai acheté leur nouvelle machine. Enfin, je croyais. À l’époque, on pouvait aller voir sa moto en construction à l’usine et même participer au montage. Roy et moi y sommes allés et avons commencé à monter des pièces sur le cadre selon les instructions du technicien. J’étais plein d’enthousiasme : bientôt j’aurai ma propre Commando ! Sauf que deux ans plus tard, elle n’était toujours pas finie, et le directeur des ventes lui-même m’a conseillé de récupérer mon argent. Ce que j’ai fait. Mais je voulais quand même une Norton spéciale. Un jour, j’ai demandé à Malcolm : “as-tu déjà préparé une Norton ?”
Il a répondu : “non, mais j’adorerais”. Et c’est de là que vient cette moto. »
Une belle histoire.
Longueur d’onde
Le Malcolm que Jerry mentionne est Malcolm Sheperdson, patron de l’atelier Metal Malarkey dans le Shropshire, aux portes du Pays de Galles. Jerry avait remarqué l’une des premières créations de Malcolm, une Triumph Bonneville. La moto ressemblait à une Bonnie, mais elle avait un cadre sur mesure et tous les détails du design d’origine étaient modifiés. Avec l’aide de Malcolm, Jerry a ensuite construit sa propre Triumph, une moto de route type flat-track. Ainsi, lorsque Jerry a décidé de se lancer dans la fabrication de la Commando en 2014 avec Roy, les deux compères étaient sur la même longueur d’onde.
La conception assistée par ordinateur de Malcolm les a aidés à dégrossir l’aspect général de la moto, jusqu’aux détails comme la fourche, les amortisseurs et les supports de repose-pieds. Et pour le moteur, Jerry avait déjà décidé de passer à un vilebrequin calé à 270 degrés, solution que pratiquement tous les twins modernes utilisent. « Avec un calage à 270 degrés, qui génère moins de vibrations, et un reniflard à clapet, nous savions que nous pouvions nous passer de l’Isolastic et donc gagné pas mal de place », explique Malcolm. « J’ai suggéré de l’acier étiré à froid de 1,5 mm pour le cadre, certes un peu plus lourd que d’habitude, mais nous ne savions pas exactement à quel point le moteur vibrait. » Vous vous demandez comment un reniflard peut atténuer les vibrations ? « C’est parce que le moteur n’aspire pas l’air extérieur », explique Malcolm. « Ça fait une grosse différence. Yamaha et BMW ont utilisé des systèmes similaires.»
AVEC LE CALAGE À 270°, ON PEUT SE PASSER DU SYSTÈME ISOLASTIC
Une fois les principales décisions prises, Malcolm a assemblé les tubes du cadre en fonction du moteur, du réservoir et des caches latéraux. Choisir des roues de 17 pouces et une fourche de 43 mm permet d’améliorer la maniabilité. De plus, Jerry a opté pour un angle de colonne de 24 degrés et une chasse de 90 mm comme sur une Honda Fire Blade de 1999. Les valeurs pour les Commando d’origine étaient à 27/28 degrés et l’empattement était de
1 435 mm, contre environ 1 410 mm pour une moto sportive japonaise du début des années 2000.
Conseils précieux
Le deuxième collaborateur clé de Jerry fut Mick Hemmings qui dirigeait une célèbre boutique Norton à Northampton, jusqu’à sa semi-retraite récente. Mick a fourni (et peut toujours fournir) la boîte à cinq vitesses Quaife et la transmission primaire par courroie. Et surtout, ses conseils ont été précieux pour monter le tout dans les carters de Commando 850 Mk3. Le fameux reniflard a été commandé par Pete Lovell à Birmingham, mais Mick a fourni tout le système de lubrification et surtout le vilebrequin allégé. Jerry s’est occupé de l’arbre à cames spécial, de l’allumage Tri Spark, des nouveaux carters, des cylindres et des pistons de 920 cm3.
« Ça semble facile, mais si je vous racontais toute l’histoire de l’arbre à cames, vous seriez ici jusqu’à demain », prévient Jerry. Le réglage de la carburation a été un long travail également. Et de plus, notre homme s’est occupé de l’électricité en partant d’un boîtier MotoGadget. Enfin, la moto pouvait être présentée à l’homologation en mars 2018. Depuis, les deux complices ont passé beaucoup de temps à la peaufiner.
Sur ses roues de 17 pouces, la Norton à l’air prête à bondir. Elle ressemble à la version originale, mais il n’y a pas de tringles ou supports inutiles, de commodos bon marché, de fuites d’huile, de câbles qui font tout le tour de la moto. Il n’y a même pas de clé de contact grâce au système MotoGadget. Levier d’embrayage et poignée d’accélérateurs sont doux, les suspension fonctionnent, les freins sont excellents et le cadre est rigide.
RÉALISER UNE TELLE MOTO PEUT SEMBLER FACILE À CERTAINS…
Les amateurs de classiques ont le choix parmi de nombreux twins modernes, mais par rapport à une Commando de gros calibre comme celle-ci, elles font bien pâles figures.
Comportement neutre
Jerry a judicieusement monté un kick de Triumph 750 Trident beaucoup plus long, mais vous avez encore besoin de replier le repose-pieds, ouvrir les gaz, appeler l’essence et balancer un gros coup de botte pour réveiller le moteur. Le résultat, si vous réussissez, est le grondement habituel à bas régime, sauf qu’à haut régime, ça change tout avec le calage à 270°. Dès 2 500 tours/minute, on sent que le moteur est prêt pour la baston. Mais la position de conduite n’est pas vraiment adaptée en dessous de 50 km/h. Les bracelets sont très ouverts, les repose-pieds trop en arrière et comme l’embrayage à sec n’a que
500 km, il donne des à-coups.
Encore 500 autres kilomètres, et tout ira bien. En revanche, la boîte de vitesses Quaife est sans reproche, même pour trouver le point mort. Il faut quitter la ville, relâcher les poignets, et vous allez vous retrouver tranquillement autour de 100 km/h en croisière. À 5 500 tr/mn, on est à l’aise pour dépasser n’importe quelle voiture. Le régime n’est pas très élevé et pourtant les sensations sont déjà là quand on arrive à trouver le bon rapport. Jerry compare la puissance avec son ancienne Ducati 996. Je dirais que ça ressemble plutôt une Harley V-Rod.
À 4 000 tr/mn, ça vibre un peu, mais c’est supportable. Jerry a choisi des ressorts souples et un amortissement moyen pour que le confort soit aussi bon que possible avec deux amortisseurs. Comme on peut s’y attendre, le comportement de la moto est très neutre et les pneus modernes permettent de prendre des angles étonnants. La selle Corbin monoplace est large, avec un joli dosseret intégré. Elle est très confortable et suit parfaitement les courbes du réservoir. Le freinage est étonnamment puissant, un doigt suffit. Comme pour toute moto sur mesure, il y a encore du travail à faire. Bien que le moteur fasse preuve d’une santé incroyable, Jerry planifie une séance au banc d’essai quand le rodage sera terminé. Il en profitera pour contrôler le bon fonctionnement du reniflard. Il compte aussi réduire un peu le volume des échappements. La plus grande qualité de cette Norton est peut-être son degré de finition. Pour certains, cela semble normal, mais si vous avez essayé de construire votre propre moto, vous avez compris que Jerry a atteint un très haut niveau. « Je construis des motos comme ça, parce que je les aime. Si les autres les aiment aussi, tant mieux ! »✦
SI LES AUTRES AIMENT MES MOTOS, C’EST TANT MIEUX !