GREY DOG MOTO
L’atelier de Patrick Bell n’existe que depuis 12 ans et pourtant il est l’un des plus célèbres des États-Unis.
Visite en Californie chez Patrick Bell, le créateur de l'atelier au chien gris.
Pour Patrick Bell, il n’a jamais été question de faire de la mécanique son métier. Il a d’abord été photographe professionnel à Alameda, une île dans la baie de San Francisco. Puis il a tout laissé tomber pour fonder Grey Dog Moto il y a 12 ans. Mais le Californien savait parfaitement jouer de la clé de 9/16eme bien avant de savoir appuyer sur le déclencheur de son Nikon. À 10 ans, il remplissait déjà le jardin familial de scooters à moitié modifiés ou de vielles Coccinelles Volkswagen !
« Les moteurs à air, qu’ils proviennent d’une Porsche ou d’une Moto Guzzi, ont tous le même fonctionnement », explique Patrick. « Un ami m’a dit un jour : “ce n’est qu’un moteur”, et cette phrase m’a donné confiance en moi. »
Outillage maison
À cette époque, sans Internet, les seules ressources sont les manuels d’atelier, dont le jeune homme mémorise les éclatés. Une démarche qu’il utilise encore aujourd’hui, restant fidèle au papier plutôt qu’aux forums. En démontant les moteurs, les dessins lui reviennent en mémoire et il sait tout de suite s’il manque une pièce. Mais l’Américain sait aussi écouter et établit nombre de ses diagnostics à l’oreille. « Une Formule 1 a des tolérances tellement extrêmes qu’il faut chauffer le moteur pour dilater les cylindres et démarrer, mais nous avons des cotes bien plus larges sur ces vieilles motos. Elles communiquent bien plus, si on sait écouter… » Passionné par le TT de l’Île de Man, il est fasciné par Michael Dunlop, qui peut, selon lui, régler ses moteurs à leur limite extrême, au point d’équilibre exact entre précision et explosion… Une situation à laquelle il a été confronté lorsqu’il a mis au point sa Guzzi bi turbo, après avoir détruit quelques pistons… Expert en marques européennes, Grey Dog Moto reçoit de nombreux clients en quête d’un spécialiste pour régler leur moto ancienne :
« Je peux faire tourner et régler à la perfection n’importe quel moteur à air. Quand les outils ou les pièces n’existent plus, je les fabriques. Ces moteurs n’ont pas d’électronique, et tout peut être refait à neuf. »
LES MOTEURS À AIR FONCTIONNENT TOUS DE LA MÊME MANIÈRE
Son expertise ne s’arrête pas aux moteurs, et les clients viennent le voir pour des restaurations complètes. Et c’est là que le caractère affable de ce bavard invétéré entre en jeu : « si on connaît une personne du milieu vintage, on en connaît cinquante. Je ne prétends pas être le meilleur. Au contraire, j’utilise le talent de tous les artisans que je connais pour faire avancer les projets. » En véritable chef d’orchestre, Patrick va ainsi préparer les pièces, puis les faire souder, polir, peindre par d’autres ateliers, parfois situés à plusieurs milliers de kilomètres. Ce long processus de restauration est récompensé lorsque le moteur démarre pour la première fois : « lorsque tu insuffles de la vie à un moteur qui est resté muet pendant des décennies et que tu pars rouler les cheveux au vent, tu es tellement heureux que tu oublies tout… » Avant d’en arriver là, il faut toutefois localiser les motos susceptibles d’être restaurées. « Il n’y a pas si longtemps, on trouvait des machines abandonnées dans des granges qu’on rachetait pour une bouchée de pain. Mais aujourd’hui, une épave rouillée vaut déjà plus de 4 000 $, sans compter 6 000 $ en pièces et main d’oeuvre pour la faire tourner. » Après le rodage du nouveau moteur, il faudra en plus anticiper une maintenance régulière pour le reste de la vie de la moto. Ce qui n’empêche pas la BMW de 1975 utilisée au quotidien par le Grey Dog d’afficher fièrement 180 000 kilomètres avec le bas moteur d’origine ! La fiabilité ne suffit pas à expliquer l’attrait pour les motos anciennes. « Si on considère la puissance ou la vitesse de pointe, ces vieilles bécanes sont dépassées par les motos modernes bardées d’électronique. Mais il n’y a aucun moyen d’exploiter ces
monstres en dehors d’un circuit. À l’inverse, les motos classiques chaussées de pneus étroits procurent de sacrées sensations sans aller vite.
À 35 km/h, tu as l’impression d’être à 80 ! » Le tarif entre aussi en ligne de compte. « Entre une moto neuve à 30 000 $ et une classique qui en vaut la moitié, même refaite à neuf, la différence reste importante », confirme Jeffrey, le jeune barman qui apprend le métier chez Grey Dog. Mais selon son mentor, la vraie raison derrière l’engouement vient des jeunes : « ce sont eux qui définissent ce qui est cool. Les jeunes ont remarqué que rouler en ancienne, c’est la garantie d’avoir son quart d’heure de célébrité car tout le monde vient te parler de ta moto. » Notez que les clients de Grey Dog Moto sont parfois d’authentiques stars : « j’ai eu l’occasion de tourner un spot publicitaire pour la marque de tequila de George Clooney. Il n’aurait pas eu l’air cool avec une bécane moderne, alors il a roulé sur une de mes BMW… » Sauf qu’avec une clientèle aisée habituée et parfois capricieuse, il est facile de se faire déborder : « les clients décident, mais nous sommes là pour mettre un frein à leur délire, les faire rester dans les limites du raisonnable », confirme le boss. Il les incite à réorienter les projets, et parfois les refuse carrément : « C’est bien qu’une moto reçoive une seconde chance et prenne de la valeur. Mais il faut garder la tête froide ! » Cette honnêteté paye et la réputation de Grey Dog va bien au-delà de la baie de San Francisco. Certains clients viennent de New York, d’autres du Japon… « Si les choses sont bien faites, on peut transformer une moto à
6 000 $ en machine collection valant plus de 25 000 $ et ainsi tripler son investissement initial. Mais on n’est pas obligé de la revendre. On peut aussi l’accrocher au mur et la regarder, rouler avec, la transmettre à ses enfants… C’est à chacun de décider, il n’y a pas de règle ! »
Relations humaines
Ce succès international ne doit rien aux réseaux sociaux que Grey Dog n’utilise pas.
« Je ne passe pas mes journées à poster des images pour dire à tout le monde que je suis le meilleur. Mais lorsque j’arrive sur le concours d’élégance de Pebble Beach, je ne joue pas un personnage. Face à face, je suis le même que dans les émissions de télé auxquelles j’ai participé ou que lors du dernier coup de téléphone qu’ils m’ont passé. » Très sensible à la qualité des relations humaines, le maître du vieux chien gris, qui affiche 13 ans au compteur, applique ces mêmes principes à son entreprise : « la notion de service n’a cessé de se détériorer. Mais c’est un honneur et un plaisir de rencontrer des gens authentiques, et je m’efforce de toujours me comporter en gentleman. » De fait, il ne dénigrera jamais un confrère, ne voyant pas la concurrence comme une menace, mais
JE NE PASSE PAS MON TEMPS À POSTER DES IMAGES SUR FACEBOOK
comme une chance : le succès des uns renforce en effet la tendance vintage et in fine bénéficie à tous !
Tout ce qui est vieux est cool
En plus d’une dizaine de bécanes serrées près du garage, Patrick doit s’occuper de plus de 50 machines réparties tout autour d’Alameda chez des amis.
Une situation provisoire :
« ma priorité est de passer du temps avec mes deux jeunes enfants. Pas question de me retrouver à la tête d’une énorme entreprise qui finira par imploser sous ses propres charges. En revanche, ouvrir un petit bar avec un mur en plexiglas qui donne sur l’atelier, pour que les gens viennent partager un moment avec nous et que les kids puissent voir comment on travaille, ça me tente énormément… »
Éduquer la jeune génération lui semble crucial, car si les motos anciennes se font rares, les bons artisans disparaissent eux aussi et sont difficiles à remplacer, faute de relève. Cependant, cela ne l’inquiète pas sur l’avenir de la mouvance classique et vintage : « tout ce qui est vieux redevient cool aujourd’hui ». Alors, même s’il considère avec lucidité que collectionner des motos anciennes et passer le plus clair de son temps à les restaurer pourrait s’apparenter à une obsession maladive, Patrick sait également que voyager au guidon de ces machines d’exception est en revanche un des meilleurs moyens de s’ouvrir sur le monde. « Comme les motards se parlent entre eux, ils connaissent les petites routes de campagne, les bons restos, les meilleurs vins… À San Francisco ou à Marseille, rouler à moto classique, ça n’est pas pour l’argent, ou pour avoir l’air cool, mais pour l’expérience de voyager en oubliant de respirer, tellement on est heureux… »
VOYAGER EN OUBLIANT DE RESPIRER TELLEMENT ON EST HEUREUX