Moto Revue Classic

CHRONIQUE BOURGEOIS

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Christian Bourgeois se souvient de Gabriel Couturier, l'importateu­r Moto Morini.

Tout le monde, ou presque, a oublié Gabriel Couturier. Ce fut pourtant une figure légendaire de la moto dans les années 50 à 70. Il fut importateu­r moto à une période où cela n’était pas une sinécure. Dans son petit magasin de l’avenue de Neuilly, à Neuilly-sur-Seine, on trouvait les plus belles marques italiennes : Morini, Itom et ensuite Laverda. Gabriel était un très bon mécanicien, ce qui était la qualité première d’un motociste en ces tempsci, et doté d’un sacré bon sens des affaires. Il était également passionné de compétitio­n et il ne cessa jamais d’aider des pilotes talentueux. Il était aussi membre de la commission technique de la FFM, et les règlements techniques de la catégorie sport étaient taillés sur mesure pour ses machines, et tout particuliè­rement les Morini.

Les fameuses Morini Settebello 175, au-dessus du lot, si on les compare aux Terrot et aux Puch, n’avaient pourtant pas besoin d’un tel coup de pouce.

Tout gamin, j’allais dans son magasin admirer les motos, en compagnie de mon frère, de quatre ans mon aîné. Il fera l’acquisitio­n d’une Settebello, qui frisait les 140 km/h dans sa version route, mais ne participer­a jamais à des compétitio­ns. Je me rendrai plus tard acquéreur de cette machine, mais moi non plus, je ne l’utiliserai jamais en course.

Quand à l’Itom, il représenta­it le fantasme de l’aspirant pilote que j’étais. J’avais en effet décidé de marcher sur les traces des Serre et Chauderlot, les vedettes françaises des courses de 50 cm3 d’alors.

Après avoir possédé, dès 1958, une Peugeot 50 BB sport deux vitesses, puis un trois vitesses, j’ai cassé ma tirelire en 1962 pour une magnifique Itom competizio­ne (jaune) qui valait, en ces temps là, 160 000 F, soit deux fois et demi le prix du Peugeot !

Il faut dire que Gabriel, dans sa blouse grise d’épicier, ne cassait jamais les prix.

Ayant fait mes débuts en compétitio­n en 1963, j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de franchir la porte du magasin et mon souvenir le plus douloureux restera l’achat d’une bulle de carénage à 100 F, alors que le SMIC culminait aux environs de 600 F !

Très vite, avec des amis, nous avions décidé de faire nos courses à l’usine, en Italie, près de Turin. Nous avons été accueillis à bras ouverts et avons pu acheter tout ce que nous souhaition­s à prix coûtant. Toujours est-il que les meilleurs pilotes du moment ont eu l’occasion d’avoir entre les mains des Morini, comme Jean-Pierre Beltoise, Claude Vigreux, Eric Offenstadt, Cortese, Guido Bettiol, André Luc Appietto, ainsi que son fils Alain. Pourtant, si je ne devais retenir qu’un nom ayant porté les couleurs de Couturier, je citerais Marcellin Herranz sans doute aucun, car il fit toute sa carrière, ou presque, sur ces machines d’origine transalpin­e. De souche espagnole, son gabarit à la Pedrosa, ce qui était une exception, le prédisposa­it pour les petites cylindrées. Avec lui, les Corsaro 125 et Ducson 50 semblaient voler. En quelques années, il avait pu se constituer un solide palmarès national et faisait partie des pilotes dont je prenais modèle, placé dans le virage de la Ferme sur le circuit de Montlhéry. Il était champion de France en titre et son employeur avait décidé, en guise de récompense, de l’engager au Grand Prix de France 1963 à Charade, avec la fameuse Morini Rebello. J’avais fait des pieds et des mains pour que mes parents m’y conduisent, car je n’avais pas de voiture. Nous avions établi résidence dans un hôtel de cure, à Royat. De là, je m’étais rendu pédibus sur le circuit, ce qui représente une sacrée distance. Fatigué, je m’étais arrêté au virage de Gravenoire, tout en bas du circuit, pour regarder les essais du samedi. J’étais placé à l’intérieur du virage et je pouvais voir les pilotes plonger dans cette grande ligne droite en cuvette et les voir amorcer la remontée vers la courbe à droite des Carrières qui mène à Beauséjour. Le plateau était relevé avec tout le gratin, et bien sûr les Honda d’usine de Redman, Taveri et Robb, et la fameuse Morini de Provini qui fera la pôle. Marcelin faisait partie du lot, et je me souviens encore de son dernier passage et du moment où il a disparu de ma vue. Ce sera ma dernière vision de ce pilote avec son cuir noir et son casque rappelant celui de Phil Read. Il avait réalisé le 6e temps. On était le 1er juin. Plus tard, car les courses du dimanche après-midi furent annulées en raison de violents orages, j’apprendrai que Marcellin Herranz avait quitté la route quelques centaines de mètres après qu’il soit sorti de mon champ de vision et était mort sur le coup. Je ne trouverai jamais d’explicatio­n logique à son accident. La remontée était rapide, certes, mais dix ans après, je la prenais à fond avec mes Yamaha qui valaient 20 km/h de mieux. À chaque tour que j’ai effectué à Charade, et il y en a eu bon nombre, je n’ai jamais pu m’empêcher d’avoir une pensée pour lui en attaquant ce tronçon.

J’AI CASSÉ MA TIRELIRE POUR M’ACHETER UN ITOM 50

 ??  ?? Christian Bourgeois, champion de France de vitesse devenu journalist­e à Moto Revue, puis directeur de la compétitio­n chez Kawasaki, est aujourd’hui retraité. Il a donc le temps de nous conter quelques anecdotes.
Christian Bourgeois, champion de France de vitesse devenu journalist­e à Moto Revue, puis directeur de la compétitio­n chez Kawasaki, est aujourd’hui retraité. Il a donc le temps de nous conter quelques anecdotes.
 ??  ?? Alain Couturier, fils de Gabriel, sur la grille de départ à Montlhéry avec sa Moto Morini.
Alain Couturier, fils de Gabriel, sur la grille de départ à Montlhéry avec sa Moto Morini.
 ??  ?? Toujours Montlhéry, encore une Moto Morini, mais il s’agit cette fois-ci de Marcellin Herranz.
Toujours Montlhéry, encore une Moto Morini, mais il s’agit cette fois-ci de Marcellin Herranz.

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