UNE GOLD AU BOL
En 1976, l’importateur suisse de la marque Honda a l’idée saugrenue de faire réaliser une machine d’endurance autour du moteur 1 000 Gold Wing. Le résultat en a étonné plus d’un.
La Honda Gold Wing à cadre Doncque que vous avez sous les yeux a été fabriquée à deux exemplaires. Il s’agit d’une commande de Honda Suisse pour courir en endurance, en 1976. Celle-ci, restaurée, fait partie de la collection d’Horst Frerichs, ancien directeur de Honda Suisse. Cette moto doit son existence à une rencontre décisive, à la fin des années soixante-dix. Pas une rencontre au sommet, mais une rencontre au fond d’un fossé se souvient Pierre Doncque, son concepteur :
« de retour d’une concentration moto, au guidon de ma Terrot 500, je suivais une Honda CB 350, mais suite à un freinage un peu trop optimiste, je me suis retrouvé dans un fossé en tentant de la dépasser ! » Le pilote de la Honda qui l’aida à se sortir de ce mauvais pas n’était autre que Georges Godier. De cette sortie de route naîtra une solide amitié et une fructueuse collaboration entre ce professeur de l’IUT d’Amiens, Pierre Doncque donc, et l’écurie GodierGenoud qui emportera le championnat d’Europe d’endurance en 1975 sur une Kawasaki conçue par le premier nommé. Jusque-là, les motos d’endurance étaient de simples motos de route préparées pour la compétition. Mais Georges Godier, Alain Genoud et
Pierre Doncque décident de partir d’une feuille blanche et de réaliser un prototype spécialement pour le championnat d’Europe
(le championnat du Monde d’endurance ne sera créé qu’en 1980). Le cahier des charges prévoyait de développer une moto modulable dont les parties pouvaient être facilement démontées et changées pour permettre des interventions plus rapides, mais aussi une meilleure accessibilité de la mécanique.
Doncque conçoit une structure triangulée
Pierre Doncque va dessiner une moto avec des solutions innovantes. Profitons-en pour prendre un petit cours de physique : « on pilote la moto via la roue avant, mais la roue arrière est aussi directrice indépendamment de la volonté du pilote. Un défaut ou une trop grande flexibilité de
la structure peut être très préjudiciable au guidage. Comme une moto a un très faible empattement, celle-ci est très sensible aux défauts structurels qui peuvent induire des mouvements de lacets de la roue arrière, surtout en courbe, la suspension assurant seule le guidage sur l’angle pendant le virage. Ma Terrot avait une suspension arrière coulissante qui était une vraie catastrophe en termes de rigidité, et donc de tenue de route, d’où l’importance des liaisons au sol. »
Pierre Doncque s’attaque alors au problème, en repensant entièrement la partie-cycle de la moto. Pour régler les défauts de liaison au sol de la roue arrière, il met au point la partie la plus novatrice du projet, la suspension arrière. Il imagine le premier système de suspension où un amortisseur unique (un Koni de Formule1) est associé à un système de biellettes et basculeurs qui permettent non seulement de régler le débattement et la progressivité de la suspension, mais aussi de ramener son poids au plus près du centre de gravité de la moto et d’améliorer la rigidité de l’ensemble
(Ce système sera repris un plus tard par Kawasaki sous la dénomination Uni-Trak, puis par Suzuki avec le Full-Floater). Ensuite, pour éviter des interactions indésirables entre l’avant et l’arrière, il faut un cadre très rigide. Doncque conçoit et dessine une structure triangulée en treillis de tubes métalliques qui enserre le moteur et évite ainsi des échanges d’énergie néfaste entre la roue avant et arrière. Notre professeur vient de créer le premier cadre périmétrique au monde.
Cette partie-cycle très avant-gardiste, on la retrouve sur la Honda Gold Wing qui nous intéresse aujourd’hui. Horst Frerichs, le patron de Honda Suisse qui faisait déjà
LA SUSPENSION ARRIÈRE MONOAMORTISSEUR SERA REPRISE PAR KAWASAKI, SUZUKI ET HONDA…
courir une Honda CR 750 en endurance, est séduit par la partie-cycle de la GodierGenoud et il demande à Pierre Doncque d’en dessiner une autour du moteur Honda GL 1 000 pour l’engager dans le championnat d’Europe d’endurance de 1976. Le challenge est de taille, car le flat-four de la Gold Wing n’a pas été conçu pour une moto sportive, il est plus proche du moteur de voiture.
un projet passionnant
Le groupe propulseur (moteur et transmission par arbre) pèse 107 kg, et il a peu de chance face aux Kawasaki
Z 1 000 et Honda RCB, d’autant plus que la mécanique doit rester strictement d’origine. D’après Horst Frerichs, à cause d’une faiblesse de l’embiellage, le flat-four ne peut supporter un surplus de puissance.
Mais ce n’est pas tout :
« avec la transmission par arbre et cardan, quand on coupe les gaz, l’arrière s’affaisse et fait le contraire à l’accélération, alors qu’il faut une neutralité de l’assiette. En plus, d’origine, elle est chaussée de pneus taille haute ce qui est très mauvais pour la roue directrice, à cause du manque de rigidité transversale. Mais elle faisait penser à une
Citroën DS, confortable et tenant bien la route. D’après les pilotes, elle avait une bonne tenue de cap. »
La moto est construite et mise au point en sept mois. Elle est équipée d’une fourche Marzocchi et le freinage est assuré par des étriers Lockheed, tandis que l’échappement est un 4-en-2 artisanal. Les gains de poids et de rigidité sont importants car le cadre complet ne pèse que 12 kg, et la coque en aluminium qui constitue la selle et le réservoir (ce dernier alimenté par une vanne
Zenith) n’affiche que 5,7 kg sur la balance, soit le poids du réservoir acier de la Gold Wing ! Le bras oscillant, lui aussi d’origine, a été profondément modifié de manière à laisser le passage de l’amortisseur Koni.
Horst Frerichs poursuit :
« mon idée n’était pas de gagner le championnat d’Europe d’endurance mais, en tant qu’importateur et concessionnaire Honda, de former les jeunes de mon atelier et de les faire travailler sur un projet passionnant,
LA 1000 HONDA-DONCQUE FAIT PENSER À UNE CITROËN DS, CONFORTABLE ET TENANT BIEN LA ROUTE.
et aussi de faire de la publicité autour de la Gold Wing. Je peux dire que ces objectifs ont été atteints avec succès. »
Aucun brevet n’est déposé
En 1976, on vit donc apparaître sur les circuits cette moto étonnante, une Gold Wing de course. L’idée de faire courir une GT a pu sembler une ineptie, voire une plaisanterie, surtout à côté des Honda RCB engagées par l’usine. Pourtant, Florian Burki qui pilota la moto au Bol d’Or et aux 24 Heures de Liège a de bons souvenirs : « pour notre première course en Belgique, on a fini cinquième avec Frédéric Fourgeaud (l’actuel patron de la SIMA, ndlr). Elle était lourde mais quand même maniable, et on n’était pas à l’agonie, car ce que l’on perdait en puissance, on le gagnait en souplesse et tenue de route. Elle était confortable et fiable.
Comme son moteur était strictement d’origine, on ne consommait pas beaucoup d’essence et le pneu arrière tenait les 24 Heures. Au Bol d’Or, avec Éric Moser, on avait fait un bon chrono aux essais et pris un bon départ mais au 74e tour une durite d’eau a lâché et comme nous n’avions pas de voyant de température, on a cassé. Dommage. » Évidemment, cette moto ne pouvait certainement pas prétendre faire un podium, mais après sa belle cinquième place aux 24 Heures de Liège elle aurait pu créer la surprise. En tout cas, au Mans, Pierre Doncque se souvient très bien des ingénieurs Honda allongés sous la moto qui photographiaient sa suspension innovante.
Et de conclure : « je consacrais tout mon temps à la conception de la moto.
Déposer des brevets était le cadet de mes soucis. J’aurais probablement une meilleure retraite aujourd’hui, si j’avais pris le temps de le faire… »
AVEC UNE 5E PLACE À SPA, LA DONCQUE NE FAIT PLUS SOURIRE…