Moto Revue Classic

FREDDIE SPENCER

- Par Christian Batteux. Photos archives Moto Revue.

Il remet Honda sous les feux de la rampe en 83 et signe un doublé historique en 85.

Plus jeune champion du monde 500 de l’histoire des Grands Prix en 1983, Freddie Spencer, deux ans plus tard, réalisait un doublé 250/500 inédit. Son chef-d’oeuvre.

Né en Louisiane en 1961, Freddie grandit dans un voisinage où blancs et noirs se côtoient sans arrièrepen­sées, ce qui n’est pas le cas de l’Amérique de l’époque et en particulie­r de cet État du Deep South, le sud profond d’un pays où la ségrégatio­n sévit encore dans les toutes premières années du petit Freddie. Pris de passion pour la moto, de 4 à 14 ans, il roule quotidienn­ement dans le vaste jardin de la maison familiale, en pleine campagne, et s’émerveille encore aujourd’hui de la tolérance extraordin­aire dont ont fait preuve leurs voisins, car Freddie s’entraîne en rentrant de l’école pendant 3 ou 4 heures, jusqu’à la tombée de la nuit. À l’âge de six ans, un jour qu’il se trouve dans la concession Honda de Shreveport, sa ville natale, Freddie « bloque » sur une photo du propriétai­re, un certain M. Gorman, serrant la main d’un homme au visage beaucoup plus exotique, intrigant : Soichiro Honda. Cette image va rester « imprimée » en lui jusqu’à ce qu’il comprenne qui est cet homme et qu’il décide, encore adolescent, qu’un jour, il roulera sur les motos qui portent son nom. À côté de son père qui conduit le Dodge Maxivan pour l’emmener sur les courses auxquelles il prend part, Freddie se souvient des dizaines de milliers de kilomètres abattus pendant des heures et des heures, à voir passer des milliers de néons des enseignes de stations-service, des restaurant­s, des fast-foods, des motels, et de son père avalant des cacahuètes et buvant du Coca pour tenir la distance : plus de 150 000 km par an ! Il essaye une machine de route pour la première fois à 11 ans, une Yamaha RD 100, alors qu’il n’a jusque-là roulé qu’en dirt-track sur des ovales en terre. Ses parents, qui tiennent une épicerie, sacrifient la majeure partie de leur budget et de leurs économies pour

que Freddie puisse courir à moto. Le père assure l’entretien des motos lors des courses. Autodidact­e, Freddie suit une « formation » intense : à 13 ans, il court 40 week-ends par an dans plusieurs catégories ! Participan­t même à des courses non officielle­s où les primes d’arrivée sont plus importante­s, il paye une partie des frais de route et fait équiper la maison familiale de l’air conditionn­é. C’est à cet âge-là qu’il commence à rouler sur des machines de vitesse, des TZ 125 en l’occurrence, entre autres à Daytona où il gagne en amateur. À 14 ans, il roule sur des TZ 250. À 15 ans, sur des TZ 750 (!). Le nombre de courses va croissant, le coût des déplacemen­ts, des motos et des pièces devient trop lourd à financer pour les parents de Freddie, qui à 16 ans roule dans cinq catégories en amateur. Une rencontre quasi fortuite avec Erv Kanemoto, qui travaille à ce moment-là avec Gary Nixon, va tout changer. En 1978, c’est une saison d’apprentiss­age. En 1979, il hérite du guidon de Mike Baldwin, blessé, chez Kawasaki, et devient champion AMA 250. Les Verts lui font une propositio­n « qu’on ne peut pas refuser », 50 000 dollars, un gros paquet de billets pour un quasi newcomer, mais Freddie repousse le délai pour donner sa réponse, jusqu’à ce que le coup de fil qu’il attendait ne sonne dans la maison familiale de Shreveport. Honda lui offre une place de quatrième pilote dans une équipe qui vient de se monter, et s’attaque à la catégorie Superbike. C’est un pari sur l’avenir, car à ce moment-là, il n’est pas question de Grands Prix chez Honda. Il termine troisième du championna­t en 1980, derrière Wes Cooley (Suzuki) et Eddie Lawson (Kawasaki). Durant l’automne, invité au Japon, à l’usine, on le met au parfum : le projet de retour en GP est amorcé, il ne se fera pas avec la NR 500 (voir page 70) mais avec un

deux-temps, un moteur 3-cylindres en V qu’on appellera NS 500, le tout sera géré par un service course restructur­é qui sera baptisé Honda Racing Corporatio­n. La mise au point de cette moto va être longue et même fastidieus­e, mais lors du premier Grand Prix de la saison 1982, pour le retour officiel de Honda après 14 ans d’absence, Spencer brille en Argentine où il se retrouve en bagarre avec Kenny Roberts et Barry Sheene, et ne doit laisser filer les deux « monuments » de la catégorie reine que sur une surchauffe moteur. Les progrès de la NS sont ensuite rapides et le 4 juillet 1982, jour de fête nationale aux USA, Spencer gagne son premier GP sur le circuit légendaire de Spa-Francorcha­mps. Il remporte également la dernière course de la saison, au Mugello, sous la canicule, avec 17 secondes d’avance. Franco Uncini, champion déjà titré, a abandonné, au bord du malaise. Freddie achève cette première saison à la troisième place finale. Le message est clair : il sera difficile à battre avec une moto fiabilisée. De fait, en 1983, après un duel sans merci face à Kenny Roberts qui participe à son dernier championna­t, et à l’issue de l’une des saisons les plus disputées de l’histoire de la catégorie reine, Spencer est champion avec 2 points de plus que Roberts. Deux jours après cette finale d’Imola, visite au Japon pour fêter le premier titre mondial de Honda en 500. Avec les dirigeants du HRC et deux membres de son équipe,

Freddie est invité à déjeuner chez Soichiro Honda. Arrivé dans la maison du fondateur de la marque éponyme, Freddie voit cet homme qui représente tellement pour lui s’approcher, les larmes au bord des yeux. Il met les mains sur les épaules de l’Américain et lui dit : « Merci. » L’émotion est grande parmi les quelques personnes présentes. M. Honda ajoute à l’intention du plus jeune champion du monde 500 de l’histoire (21 ans et 258 jours) : « J’avais deux rêves quand j’ai lancé mon entreprise : le premier était de participer et de faire gagner mes motos au Tourist Trophy sur l’île de Man. Cela s’est produit il y a longtemps. Dimanche dernier, vous avez réalisé le second. » En 1984, la mise au point du moteur V4 et d’une machine globalemen­t mal équilibrée (avec notamment le réservoir d’essence placé sous le moteur et les pots d’échappemen­t passant au-dessus de celui-ci) contraint Spencer à rater des courses après s’être blessé, et à laisser le titre au successeur désigné de Roberts, Eddie Lawson. En 1985, sur son idée, Freddie se lance dans un défi inédit : doubler les catégories 250 et 500, dans l’optique de décrocher les deux titres en une seule et même saison, un pari qu’avait tenté Saarinen en 73 et qui s’est conclu de la façon que l’on sait (voir page 44). Pour encaisser la charge de travail supplément­aire, Spencer suit un entraîneme­nt physique sévère. Grand (1,77 m) et plutôt fin, il descend à 66 kilos pour ne pas être trop lourd en

250. Décrire par le menu ce qu’a représenté cette saison historique serait impossible ici. Mais en avant-saison, il abat un travail phénoménal aux essais hivernaux : des journées marathon de plus de 150 tours, à passer d’une moto à l’autre, les mains ravagées d’ampoules. La première fois qu’il gagne en 500 et en 250 le même jour (il reproduira cet exploit trois fois), c’est au Mugello, le 26 mai. L’hymne US finit de retentir lorsqu’on appelle les pilotes 250 en pré-grille, sous un soleil de plomb. Lawson, qui a fini 2e, lui dit alors : « Better you than me. » (ce qui, en gros, signifie : « Je préfère que ça soit toi plutôt que moi. »). Le 11 août, soit moins de trois mois plus tard, il ajoute le titre de la catégorie 500 à celui de la catégorie

250 décroché une semaine auparavant. Mozart vient de signer son chef-d’oeuvre. Il ne montera plus jamais sur un podium en Grands Prix. Cette saison lui a brûlé les ailes.

FREDDIE VOIT ALORS SOICHIRO HONDA S’APPROCHER, LES LARMES AU BORD DES YEUX...

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La réponse sera : « personne ».
En 1985, on pose la question en couverture de Moto Revue... La réponse sera : « personne ».
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 ??  ?? 1- Au guidon de la 250, en 1985, Freddie roule avec sa fluidité habituelle vers un doublé historique. 2- Avec Erv Kanemoto, une complicité qui durera huit ans.
1- Au guidon de la 250, en 1985, Freddie roule avec sa fluidité habituelle vers un doublé historique. 2- Avec Erv Kanemoto, une complicité qui durera huit ans.
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 ??  ?? 1- Dans un résumé saisissant de sa carrière au top des Grands Prix, la première année, en 1982, où il gagne le GP de Belgique devant Sheene (à d.) et Uncini (à g.).
2- La deuxième année, il bat Kenny Roberts (devant lui sur cette image) à l’issue d’un duel homérique. 3- La quatrième année, en 1985, il double les titres 500 (photo) et 250. 4- Enfin, en 1986, il se retire du GP d’Espagne qu’il menait, victime de problèmes physiques aux bras qui l’empêcheron­t définitive­ment de rouler au top niveau. 5- Les débuts avec Honda en Superbike US. 6- Enfin, cette couverture de Moto Revue datée du 30 mai 1985 annonçant son premier doublé 250/500 au Mugello.
1- Dans un résumé saisissant de sa carrière au top des Grands Prix, la première année, en 1982, où il gagne le GP de Belgique devant Sheene (à d.) et Uncini (à g.). 2- La deuxième année, il bat Kenny Roberts (devant lui sur cette image) à l’issue d’un duel homérique. 3- La quatrième année, en 1985, il double les titres 500 (photo) et 250. 4- Enfin, en 1986, il se retire du GP d’Espagne qu’il menait, victime de problèmes physiques aux bras qui l’empêcheron­t définitive­ment de rouler au top niveau. 5- Les débuts avec Honda en Superbike US. 6- Enfin, cette couverture de Moto Revue datée du 30 mai 1985 annonçant son premier doublé 250/500 au Mugello.

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