GEORGE W. PATCHETT
Excellent ingénieur, bon pilote, George W. Patchett est plus célèbre pour sa mitraillette que pour ses motos.
L'histoire incroyable d'un pilote ingénieur anglais qui a créé la mitraillette Sterling.
Quel ingénieur motocycliste a eu le plus d’influence sur le XXe siècle ? Soichiro Honda, pour avoir créé la Honda Cub utilisée et achetée par 50 millions de personnes entre 1958 et 1999 ? Ou Walter Kaaden, dont les travaux sur le moteur deux-temps ont permis à des centaines de millions de personnes de se déplacer à moindre coût au cours des quarante dernières années ? Ni l’un ni l’autre, c’est le méconnu George William Patchett qui travailla pour les constructeurs anglais Brough Superior et McEvoy, la marque belge FN et le fabricant tchèque Jawa, concevant et pilotant toutes sortes de machines. Sa création la plus célèbre a d’abord été utilisée pendant la Seconde Guerre mondiale puis celles qui ont suivi : Corée, Vietnam, Malouines, Iran-Irak, Golfe, Irak et bien d’autres. Car après avoir créé des motos, Patchett a conçu la mitraillette Sterling, l’une des meilleures armes à feu automatiques jamais fabriquées qui a été achetée par plus de 50 pays et que certains utilisent encore aujourd’hui. Patchett est né au début du XXe siècle et fit ses premiers pas dans le monde de la moto très jeune en se spécialisant dans... le vol. Très intelligent, il se contentait en effet de dérober des Triumph,
PATCHETT A TRAVAILLÉ POUR BROUGH SUPERIOR, MCEVOY, FN ET JAWA
et toujours par deux, car à l’époque, les numéros moteur étaient frappés sur un seul des deux carters centraux. Patchett « récupérait » donc deux machines similaires, démontait les moteurs et en remontait un vierge de numéros qu’il refrappait luimême. L’astuce fonctionna jusqu’au jour où l’un de ses clients apporta la machine à son concessionnaire et que ce dernier s’aperçut que le numéro du moteur était bidon. Ce qui devait arriver arriva : Patchett finit en maison de redressement. Alors qu’il purgeait sa peine, il écrivit à George Brough pour solliciter un emploi à l’usine Brough Superior toute proche et lorsqu’il sortit de maison de redressement, il obtint le poste. Il devint rapidement un excellent mécanicien doublé d’un très bon pilote. Lorsqu’en 1924, Brough lança sa légendaire SS 100 Supersport, la première publication spécialisée à obtenir un essai fut The Motor Cycle. Cependant, le pilote d’essai du journal étant trop fatigué pour conduire la moto, Patchett se dévoua pour passer dans une courbe à 150 km/h, sans les mains, démontrant ainsi l’excellente tenue de route de la machine ! Les victoires en course avec la SS 100 suivirent, y compris celle au « Welsh TT » de 1925 sur Pendine Sands, dans le sud du Pays de Galles.
Les talents de pilote et d’ingénieur de Patchett intéressèrent rapidement d’autres constructeurs et en 1925, il quitta Brough Superior pour créer une nouvelle marque avec Michael McEvoy, ingénieur chez Rolls-Royce, et Archie Birkin, fils d’un riche industriel des Midlands et financier du projet. Patchett travailla dans l’usine en tant qu’ingénieur mais aussi comme directeur du service course.
1000 V-twin compressé
L’objectif était de produire une moto plus performante que la Brough Superior. McEvoy et Patchett, à la recherche de la puissance maximale, devinrent ainsi des pionniers de la suralimentation sur une moto. En avril 1926, Patchett s’aligna à Brooklands sur une moto animée par un bicylindre en V JAP de 980 cm3 équipé d’un compresseur Roots. La suralimentation d’un bicylindre en V est délicate car il est difficile de trouver le bon compromis entre compression et suralimentation sur chaque cylindre. McEvoy pensait avoir trouvé un moyen de contourner le problème en utilisant une chambre tampon de deux litres entre les carburateurs et le compresseur pour amortir les fluctuations de pression. En réalité, ce tampon limitait la puissance du compresseur mais Patchett battit tout de même de nombreux records et remporta de nombreuses courses avec la McEvoy suralimentée, tournant assez vite sur l’anneau du Surrey pour devenir l’un des premiers lauréats de la très convoitée Brooklands Gold Star. McEvoy semblait avoir un avenir prometteur mais l’entreprise connut des difficultés lorsque le financier Birkin, engagé dans l’affaire, se tua pendant les essais du Tourist Trophy en 1927. Sans les ressources financières de ce dernier, l’usine ferma ses portes juste après que McEvoy et Patchett conçurent un quatre-cylindres en ligne
de 500 cm3, exposé au Salon de la moto d’Olympia en 1929. Patchett partit alors travailler en Belgique pour le fabricant de motos FN (Fabrique Nationale), connu pour sa 4-cylindres en ligne à transmission par arbre et... ses armes.
Escapade tchèque
C’est là qu’il rencontra Val Browning, de la société américaine Browning Arms Company, propriété de FN, qui l’initia à l’ingénierie des armes. Dans ce domaine aussi, Patchett gravit rapidement les échelons. Ted Lester, ingénieur chez Brough Superior, se souvient l’avoir rencontré vêtu d’un costume à rayures immaculé, d’un chapeau Homberg, de guêtres, d’une écharpe en soie blanche et d’une canne : « Il avait rencontré la veuve d’un millionnaire français et il menait une vie de châtelain dans une grande propriété du nord de la France. »
Patchett était alors responsable du service course chez FN mais ses employeurs ne lui laissaient pas assez de liberté au bureau d’études. Après une entrevue avec l’ingénieur tchèque František Janecek au Salon Olympia de 1930, il accepta une offre d’emploi pour rejoindre la société de motos de ce dernier, baptisée Jawa. Celle-ci, créée un an auparavant, fabriquait des motos et des armes comme FN mais aussi
BSA (British Small Arms), Royal Enfield, Zündapp (pour Zünder und Apparatebau, fabricant de détonateurs) et bien d’autres. Janecek avait passé la Première Guerre mondiale à combattre sur le front italien où il avait conçu de nombreuses armes et après le conflit, il se lança dans la fabrication de mitrailleuses chez lui, à Prague. Lorsque la demande diminua, il réorganisa son usine pour produire de motos. Au début, il fabriquait des machines allemandes Wanderer sous licence, d’où le nom de Jawa (contraction de Janecek et Wanderer), mais rapidement, il se résolut à produire ses propres motos. Patchett se mit au travail et créa une gamme
PATCHETT MÈNE GRAND TRAIN DANS LE NORD DE LA FRANCE
de motos de route et de course qui fit de Jawa une marque importante. La plus réussie est une petite moto animée par un moteur deux-temps de 172 cm3 utilisé auparavant sur les voiturettes McEvoy. Patchett avait renoué avec ses anciens contacts de chez Villiers, fabricant du moteur, et conçut une très belle partie-cycle avec une fourche à bras tirés et un cadre en tôle emboutie. Cette excellente machine, peu coûteuse, permit à Jawa de multiplier ses ventes par 10. Les compétences de Patchett ont ainsi assuré l’avenir de l’entreprise. Il créa également une gamme de 4-temps pour la route et la course, dont une impressionnante 500 monocylindre à bloc-moteur. Innovateur, Patchett utilisa le dynastart (une forme de démarreur électrique), le refroidissement par eau, la suralimentation, le double arbre à cames en tête, la transmission par arbre, la fourche télescopique, et bien d’autres choses.
Tourist Trophy et ISDT
Patchett et ses coéquipiers de l’équipe Jawa couraient avec ces motos dans toute l’Europe. En Tchécoslovaquie, l’équipe participa à une course d’endurance de 2 000 kilomètres sur routes ouvertes, au cours de laquelle Patchett roula à une étonnante moyenne de 122 km/h. En 1932, il emmena Jawa au Tourist Trophy pour la première fois mais ne parvint pas à terminer le Senior TT. L’année suivante, Ginger Wood mena une Jawa jusqu’à la huitième place de la course. En 1935, lors des ISDT organisés dans les Alpes bavaroises, Jawa fut à deux doigts de remporter l’épreuve devant l’équipe allemande soutenue par le régime nazi. Lors du 6e et dernier jour, les Tchèques devançaient les Allemands équipés de BMW avec Ernst Henne en vedette, lorsqu’une de leurs motos cassa son moteur. Peu importe, Jawa est alors une marque en pleine expansion et de plus, la fabrication d’armes a repris de plus belle car la guerre se profile à nouveau à l’horizon.
CHURCHILL PARTICIPE À SON EXFILTRATION DE TCHÉCOSLOVAQUIE
Parallèlement à ses activités motocyclistes, Patchett s’intéressait aux mitraillettes, travaillant aux côtés de Janecek Junior, spécialiste des armes antichars. Lorsqu’Adolf Hitler envahit la Tchécoslovaquie en mars 1939, Patchett sut qu’il devait quitter le pays rapidement. Winston Churchill participa à son exfiltration de Prague, car la Grande-Bretagne avait désespérément besoin de savoir-faire en matière de mitraillette. La légende veut qu’avant de quitter Prague, Patchett soit allé jeter le prototype du dernier dispositif antichar de Janecek Junior par-dessus le mur de l’ambassade britannique. Il se lança ensuite dans une course folle pour rentrer en Grande-Bretagne avec les plans des armes de Janecek sur microfilms. Le voyage via l’Allemagne et les Pays-Bas impliqua une conduite à tombeau ouvert et un vol dans un avion de tourisme. Toujours est-il que pendant la guerre, les canons antichars de 40 mm de Janecek Junior furent montés sur des blindés anglais et sur les chasseurs Hawker Hurricane. Ce gadget fut surnommé le « Littlejohn », traduction anglaise de Janecek Junior.
Sterling, mieux que BSA
Patchett s’installa à la Sterling Armaments Company à Dagenham, dans l’Essex, où il conçut une mitraillette de 9 mm pour répondre à la nouvelle demande de l’armée britannique. Impressionnante par sa précision et sa fiabilité, elle fut testée au début de l’année 1944. Elle fut utilisée dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale par les forces spéciales et les troupes aéroportées et sûrement lors de la désastreuse opération Market Garden à Arnhem (cf. le film “Un pont trop loin”). Rebaptisée Sterling, elle fut adoptée par l’armée britannique, préférée à un modèle concurrent de BSA, en grande partie parce qu’elle était efficace dans les combats urbains et dans la jungle.
Près de 300 000 exemplaires furent fabriqués rien qu’au Royaume-Uni, et l’une d’entre elles fut offerte à Churchill. Sauf que comme le ministère de la Défense refusa de verser les royalties sur ses brevets, Patchett et Sterling décidèrent d’intenter un procès à la Couronne ! Cette dernière invoqua la loi sur les secrets d’État pour tenter de priver les créateurs de l’arme de leur argent, mais finalement, en 1968, la Haute Cour de justice trancha en faveur de Patchett et de Sterling, leur accordant 117 000 livres chacun, ce qui représentait beaucoup d’argent à une époque où le prix moyen d’une maison au RoyaumeUni était de 3 000 livres sterling. Le jour du règlement, Patchett démissionna de Sterling et prit sa retraite à Cannes avec son épouse française et leurs deux enfants.
Il est décédé en 1978. ✦