SUZUKI 750 GS ET GT
En 1977, Suzuki se paye le luxe de proposer deux 750 multicylindres, la GS quatre-cylindres quatre-temps et la GT trois-cylindres deux-temps. 45 ans après, la confrontation s’imposait à nouveau.
En 1977, on trouvait deux 750 au catalogue Suzuki, la GT 2-temps et la GS 4-temps.
On parle souvent de Suzuki comme du quatrième constructeur japonais, avec Honda en leader, Yamaha en outsider et Kawasaki sur le podium. Sauf qu’en 1977, la marque d’Hamamatsu est la seule à proposer deux 750 multicylindres, avec un trois-cylindre deux-temps pour l’une, et un quatrecylindres quatre-temps pour l’autre ! Tout commence en 1972, avec la GT 750. Le trois-cylindres deux-temps, on connaissait depuis 1969 avec la Kawasaki 500 Mach III mais Suzuki y a ajouté le refroidissement liquide, un raffinement réservé aux prototypes de compétition.
Les cylindres sans ailettes et entourés d’une pellicule d’eau permettaient de limiter les émissions sonores et de mettre en valeur le très beau bloc moteur. Avec le cycle à deux-temps, Suzuki gardait le lien avec les motos qui lui avait permis de se faire un nom dans les années 60, les motos de route bien sûr, mais aussi les petites cylindrées de GP (50 cm3, 125 cm3) et les titres de champion du monde qui vont avec. Mais, loin des circuits, la GT était une moto qui portait bien son nom, taillée pour le tourisme et le motard des années 70 s’est bien vite demandé quel était l’intérêt du deux-temps ! Effectivement, quelques années plus tard, Suzuki change de stratégie pour deux raisons : la première, c’est l’échec retentissant de la RE-5 à moteur rotatif et la deuxième, c’est que Kawasaki, le concurrent direct, mise tout sur le quatre-temps. Suzuki ne peut qu’emboîter le pas de ses rivaux, avec un peu de retard certes, mais parvient tout de même à sortir sa quatrecylindres 750 à la fin de 1976. En 1977, les concessionnaires de la marque proposaient donc deux 750 différentes dans leur magasin, l’une étant en fin de carrière, l’autre à ses débuts. Pourtant, aujourd’hui, la question du choix ne se pose même pas, tant elles sont différentes – hormis leur marque et leur cylindrée.
Pierre Farcigny, de Suzuki La Défense, se rappelle : « La sortie de la GS a été un choc. En 1977, un Suzukiste, c’était un fan de deux-temps, et savoir que l’avenir de la marque passait par l’abandon de cette technologie au profit du quatre-temps comme Honda, ça a été un crèvecoeur pour bien des motards, même si, concernant les performances, la GS était beaucoup mieux… » C’est pourquoi la cote de la GT, dernier gros deux-temps des années 70, s’est depuis longtemps envolée et les exemplaires en très bon état s’échangent largement deux fois le prix d’une GS immaculée ! Eh oui, les motos n’ont pas toutes les mêmes arguments devant l’Histoire, alors qu’à l’époque de sa sortie, la quatre-temps ringardisait sa copine à « cylindres à trous ». Mais depuis, des modèles de quatre-cylindres, on en a vendu à la pelle, dans toutes les cylindrées et dans tous les styles, alors qu’on n’a jamais revu de trois-cylindres deux-temps.
Première vitesse longue
Sur la GS 750, la partie-cycle est à la hauteur de la puissance du moteur et en ce sens, elle va se démarquer de la GT qui, de plus, souffrait d’un avant très lourd. De toute façon, hier comme aujourd’hui, il n’est pas utile de la brusquer. L’arrivée du couple maxi ressemble à une vague qui monte, depuis le régime de ralenti jusqu’à la zone rouge fixée à 7 000 tr/min et la première est longue, permettant d’atteindre 50 km/h. La puissance arrive
L’EXCELLENTE TENUE DE ROUTE DE LA GS 750 FAISAIT LA DIFFÉRENCE AVEC LA GT 750 MAIS AUSSI AVEC LA CONCURRENCE NIPPONE
AU GUIDON DE LA GT, ON N’A PAS L’IMPRESSION DE ROULER VITE JUSQU’AU MOMENT OÙ L’ON REGARDE LE COMPTEUR
plus comme sur un quatretemps car le moteur a été conçu pour profiter du couple plutôt que de la puissance. On n’a pas l’impression de rouler vite jusqu’au moment où l’on regarde le compteur : la GT est montée à 130 km/h en un clin d’oeil, sans vibrations, sans qu’on s’en aperçoive. Et l’autre bonne surprise, c’est quand on passe à la pompe car la consommation reste raisonnable pour un gros deux-temps. Et quel confort, avec cette position de conduite droite et la selle moelleuse qui s’enfonce comme un fauteuil Chesterfield ! Les chiens ne font pas des chats et comme ses petites soeurs à trois cylindres 380 et 550, la 750 est une grande rouleuse. En ligne droite, la GT peut garder à vue la GS mais elle est obligée de lâcher prise lorsque le revêtement se dégrade. Car la quatrecylindres peut se targuer d’avoir l’une des meilleures partie-cycles de la décennie, plus rigoureuse que celles de la Honda CB 750 et de la Kawasaki Z 1000. On se régale dans les virages où la moto se balance avec agilité d’un côté à l’autre. Le poids respectable se fait oublier dès qu’elle roule et l’un de ses points forts reste sa maniabilité avec, de plus, un rayon de braquage très court. Notre moto d’essai est équipée du double disque avant qui est apparu en
1978 et qui permet de rouler sereinement. Passer de l’une à l’autre, c’est comme le jour et la nuit. La GS est bien supérieure en partie-cycle à la GT, et vous pouvez rouler en toute sérénité sur la route alors qu’avec cette dernière, il faut rester vigilant, comme avec les motos des années 60. Le tambour de la première version, la J, désormais recherché par les collectionneurs tant il est rare, a pourtant été remplacé par deux disques mais là encore, l’efficacité reste en deçà par rapport à la GS. À sa sortie, en 76, la quatre-cylindres atteint
200 km/h et à une époque où les performances dictent les décisions d’achat, sa vitesse maxi a été un excellent argument. Le moteur 4-temps de 69 chevaux est utilisable à tous les régimes, il sait faire plaisir à ceux qui le cravachent comme à ceux qui préfèrent musarder. Sous 6 000 tours, le moteur ronronne, on se balade tranquillement en empilant les rapports jusqu’à la cinquième. Arrive un fauxplat et soit on laisse tomber le régime à 2 000 tours et il reprend avec une étonnante souplesse, soit on rentre un rapport ou deux et là, passé 6 000 tours, le moteur reprend avec vigueur, jusqu’à la zone rouge. Dès 1976, le moteur quasi parfait a donc été conçu par Suzuki et la marque va décliner la GS dans toutes les cylindrées comme l’avait fait Honda : 550 cm3, 1000 cm3, 850 et 1000 à transmission par arbre, puis 650 et 1000 S réplique de la machine gagnante du championnat Superbike américain.
Sex-appeal et kick-starter
Le design de la GS était très classique, peut-être trop, avec des roues à rayons pour la version 1977. Sur le tableau de bord monobloc, entre tachymètre et compte-tours, on trouve un voyant qui indique le rapport engagé, un gadget déjà présent sur la GT. De même, elles ont toutes les deux un kick-starter et un démarreur électrique. Finalement, c’est la GT qui a le plus de sex-appeal avec son abondance de chrome et sa peinture Candy mais pour un usage quotidien, la GS fait la différence : démarrage aisé, freinage et reprises adaptés
EN 77, C’EST LA GS QUI ÉTAIT PLÉBISCITÉE. AUJOURD’HUI, C’EST LA GT
à la circulation moderne, bonne tenue de route. Hélas, lorsqu’on trouve une GS à un bon prix, elle est souvent dans un triste état. Toujours est-il que sur les quatre ans de production, les modèles 77 à simple disque sont les plus rares. À l’inverse, les GT sont souvent restaurées et nickel. La cote du modèle J à tambour s’envole, mais l’on trouve encore quelques machines plus récentes et dans leur jus autour de 6500 €. À l’usage, il s’agit d’une moto très civilisée qui ne vous fera pas sortir du rang par ses excès mais par son moteur inimitable. Pierre Farcigny reprend : « La GT 750, ça ne se compare à rien d’autre ! Concernant la mécanique, on a, pour les deux motos, une excellente disponibilité des pièces, sauf pour les éléments internes des boîtes des GT qui étaient tellement fiables que Suzuki les a supprimés du catalogue. Les deux moteurs ne rencontrent pas de soucis particuliers, il faut juste prêter attention aux joints spis de vilebrequin sur les GT (attaqués par l’essence) et au tendeur de distribution sur les GS. » En 1977, la GT était affichée à 14 979 F, alors que la GS était plus chère, à 17 422 F. Ceux qui s’étaient rabattus sur la deux-temps faute de moyens à l’époque sont gagnants aujourd’hui !