EGLI-ROYAL ENFIELD 624
Essai du café racer réalisé par Fritz Egli dans les années 90 autour du mono Royal Enfield.
Il y a 25 ans, non content de fiabiliser les Royal Enfield, Fritz Egli proposait un magnifique café racer avec le moteur de la Bullet.
Fritz Egli, aujourd’hui âgé de 84 ans, a produit plus de 3 000 motos de 1968 jusqu’à sa retraite en 2012, année où il a cédé son entreprise à la famille Frei (voir MR Classic n° 106). Fritz et son équipe se sont penchés sur tous les types de motos, du monocylindre au six-cylindres, aussi bien pour la route que pour la compétition. Outre le fameux cadre-poutre, le point commun entre toutes ces machines, c’est que les moteurs étaient consciencieusement préparés et développaient des puissances bien supérieures à celles d’origine.
La maison mère, c’est Eicher
Egli s’est même attaqué à la brave Royal Enfield 500 Bullet lorsqu’en 1992, il est devenu importateur de la marque pour la Suisse. Avant de livrer chaque moto « made in India » à ses clients, Fritz apportait une « finition suisse », qui consistait en un démontage complet du moteur et de la boîte de vitesses, l’élimination de tous les défauts de fabrication, puis le remontage avec des tolérances beaucoup plus faibles que celles d’origine.
Son travail a été évidemment apprécié par sa clientèle, mais aussi par la société mère de Royal Enfield, le groupe indien Eicher, pour lequel il a travaillé en tant que consultant pendant deux décennies.
Mais Egli est allé encore plus loin en présentant un café racer complet sur base de Bullet lors
EN 50 ANS, FRITZ EGLI S’EST PENCHÉ SUR TOUS LES TYPES DE MOTO
du Salon de Cologne 1996.
Les visiteurs ont découvert un gros mono de 624 cm3 accroché à la poutre du cadre ! « J’ai conçu cette moto pour l’usine Royal Enfield en Inde comme base pour un nouveau modèle de production, m’a expliqué Fritz à l’époque. Le cadre n’était pas seulement plus rigide et plus léger, mais il était également moins cher à fabriquer que celui d’origine.
J’ai transmis à l’usine de
Madras tous les éléments nécessaires à sa fabrication mais cela n’a pas abouti. C’est dommage ! » L’usine indienne s’est contentée de monter un prototype avec le moteur Egli 624 cm3 dans un cadre de série, une machine que Christophe Gaime, rédacteur en chef de ce magazine, a piloté à l’époque à l’occasion d’une visite de l’usine ! Cela n’a pas empêché Egli d’assembler une série de café racers commandés par des clients du monde entier (USA, Japon, Australie, mais aussi Europe). Elles étaient produites au compte-gouttes, seulement lorsque les mécanos avaient le temps de travailler dessus. « Nous pouvions construire une Suzuki ou une Kawasaki 1000 pour presque le même prix qu’une Enfield, les coûts de construction étant quasiment identiques pour une partie-cycle, que la moto ait un ou quatre cylindres !
Finition suisse sur les Bullet
LE CADRE EGLI ÉTAIT MOINS CHER À FABRIQUER QUE CELUI D’ORIGINE...
Je faisais ça en souvenir de ma première moto, la EgliVincent 500 avec laquelle j’ai été champion suisse de course de côte en 1968 et je les vendais à prix coûtants,
sans bénéfices. » À l’époque, le prix s’élevait déjà à environ 20 000 francs suisses, soit 18 500 euros aujourd’hui mais c’était il y a 25 ans ! De plus, le client devait attendre un an après avoir passé commande… La « finition suisse » sur les Bullet standards consistait à l’ébavurage de toutes les pièces moulées afin d’éliminer le métal indésirable, l’usinage de la culasse permettant de se passer de joint, la rectification des chambres de combustion, des guides et des sièges de soupapes mais aussi des culbuteurs et des poussoirs. Le carburateur indien était entièrement démonté puis équipé d’un nouveau boisseau et d’une nouvelle aiguille. L’allumage était complètement revu, le système de lubrification modifié. Sur la café racer, la préparation allait beaucoup plus loin. L’alésage et la course étaient bien sûr modifiés pour passer à 624 cm3. Le piston à calotte plate était fabriqué en Suisse et le tout permettait de faire passer la puissance de 22 à plus de 47 chevaux, excusez du peu ! Mais pour y parvenir, Egli préparait aussi la culasse et montait des soupapes d’admission et d’échappement de plus grandes dimensions. Le cylindre en alliage, toujours avec une chemise en fonte, permettait de gagner trois kilos et un cheval grâce à une meilleure dissipation de la chaleur. Ces éléments, auxquels s’ajoutent des poussoirs en aluminium, un carburateur Mikuni à boisseau plat de 34 mm, un allumage électronique Boyer-Bransden et une pompe à huile à haut débit (59 % de plus !) permettaient de doubler la puissance et d’augmenter considérablement le couple. L’accroissement de celui-ci était facilité par l’utilisation de masses de vilebrequin plus lourdes de 10 kilos. Évidemment, les roulements étaient remplacés pour qu’ils puissent accepter le supplément de charge.
En revanche, après de nombreux essais avec des modèles de BSA Gold
Star ou de Vincent, l’arbre à cames standard a été conservé car c’est lui qui donnait les meilleurs résultats. Après avoir discuté avec
Fritz, j’ai enfilé mon cuir pour tester ce café racer. La première difficulté consistait à faire démarrer le moteur Bullet à l’aide du kick-starter, une technique rendue plus difficile par le fait que cette moto était équipée d’un piston haute compression. Ce que l’on remarquait immédiatement par rapport à la plupart des monos britanniques que j’ai pilotés, c’est l’extrême douceur du moteur. Il était moins bruyant, mécaniquement parlant, que celui d’une
Enfield de série, sans le bruit des poussoirs ou le cliquetis des culbuteurs, surtout à haut régime.
Quantité très limitée
Le moteur préparé par Egli était si discret qu’on aurait juré qu’il avait monté un arbre d’équilibrage ! La réduction des vibrations provenait du facteur d’équilibrage de 53 % par rapport aux 66 % de la
500 Bullet d’origine qui était en réalité de 72 % d’après Fritz. Avec cette moto, il fallait rouler entre 2 500 tr/min et 4 500 tr/min, pour un plaisir de conduite sans effort, sur le couple, l’essence de la moto sportive monocylindre. À noter que la puissance tirée de ce moteur à soupapes culbutées était équivalente à celle d’une bonne Norton Manx ou d’une Matchless G50 d’origine, deux machines équipées de moteur à arbre à cames en tête. Outre le surplus de puissance, le gain de couple transfigurait le moteur Bullet. La café racer s’élançait sans avoir besoin d’utiliser l’embrayage, ce qui était tout aussi bien puisque celui-ci commençait à patiner après quelques départs violents. Mais ce n’était rien comparé à la boîte de vitesses de série, qui était tout simplement horrible même après une révision du mécanisme de sélection, avec ébavurage et polissage de toutes les pièces, et le montage de paliers en bronze. Egli avait également rallongé la démultiplication avec un pignon de 21 dents au lieu des 17 d’origine et monté une transmission primaire par courroie crantée. Avec tout ça, la café racer atteignait 175 km/h selon Fritz, ce qui me semble tout à fait possible. Avec cette longue démultiplication, vous pouviez maintenir la Royal Enfield en troisième vitesse la plupart du temps, même en traversant les hameaux suisses à la vitesse réglementaire de 60 km/h, le tout sans aucun problème de transmission.
Mais je le répète, cette boîte de vitesses à 4 rapports était si mauvaise que l’on comprend fort bien pourquoi Egli avait fait fabriquer une version 5 rapports par un spécialiste britannique, malheureusement en quantité très limitée. L’Enfield café racer n’était bien sûr pas le premier mono de route que Fritz a produit en utilisant sa partie-cycle.
Les cinquante motos à moteur Vincent Comet qu’il a construites il y a 50 ans ont été les premières, suivies dans les années 80 par la Red Falcon 500, à moteur Honda et Rotax (voir MR Classic n° 94). C’est d’ailleurs sur ces modèles que le dessin du cadre de l’Egli-Enfield a été calqué. L’empattement de 1 410 mm pour une moto pesant seulement 139 kg à sec assurait une répartition équilibrée des masses (50/50). Tout cela m’a permis de rouler vite, et en toute sécurité, sur les routes de montagne sinueuses, son terrain de jeu favori.
Une moto légère et agile
La fourche Egli de 38 mm entièrement réglable, qui équipait auparavant des quatre-cylindres, était plus que capable d’absorber les ondulations de la chaussée que j’ai rencontrées dans un virage rapide. La café racer était si légère et agile qu’elle permettait de profiter pleinement des performances du moteur tant que vous n’aviez pas à changer de rapports… La hauteur de la selle semblait un peu plus basse que celle d’une Enfield d’origine alors qu’elle était identique : ce sont simplement les reposepieds plus hauts et plus en arrière qui contribuaient à lui donner un air de sportive. Cette position restait agréable, d’autant que la seule fois où j’ai ressenti des vibrations excessives à travers ces repose-pieds, c’est lorsque j’ai approché les 6 000 tr/min au compte-tours Kröber. Mais il n’y avait pas vraiment d’intérêt à « prendre des tours » : il suffisait de faire tourner le moteur dans la bonne plage de régime et de vous laisser guider. De cette façon, vous étiez le premier à arriver au café et à siroter votre expresso en attendant vos amis. À l’arrière, les amortisseurs
Koni fonctionnaient si bien
POUR FRITZ, CE CAFÉ RACER ÉTAIT UN PEU UN RETOUR AUX SOURCES
que je me suis arrêté pour vérifier si la moto n’était pas équipée d’un monoamortisseur ! Les amortisseurs allemands étaient vraiment progressifs et les bosses que j’ai découvertes sur les routes suisses n’ont fait que le souligner.
Grosse fourche Egli
Le cadre Egli n’était pas seulement plus rigide avec une meilleure géométrie par rapport au cadre Enfield de série, mais ses suspensions étaient parfaitement adaptées à la puissance du mono, même si la fourche semblait un peu surdimensionnée pour une moto aussi légère. Cependant, il est probable qu’Egli a fait ce choix à cause du frein avant. Il s’agissait d’un étrier Egli à 8 pistons avec un disque Spiegler de 320 mm. Sa puissance était impressionnante et aurait pu imposer trop de contraintes à une fourche de plus petit diamètre. Un monodisque réduit le poids non suspendu et l’inertie gyroscopique, ce qui explique probablement pourquoi l’Egli se dirige si bien. Fin 2008, Royal
Enfield a fini par abandonner ce vieux moteur pour un tout nouveau modèle en alliage léger et avec une boîte de vitesses à cinq rapports. Fritz, qui cherchait déjà à cette époque un repreneur pour son atelier, n’a pas pris le temps de le monter dans son fameux cadre. Quel dommage.
FRITZ N’A PAS EU LE TEMPS DE MONTER LE NOUVEAU MOTEUR ENFIELD