PORTÉ PAR LE VENT
Il y a 50 ans, Craig Vetter proposait le carénage Windjammer qui a rencontré un grand succès. Ce designer a cependant plus d’une corde à son arc.
Les visionnaires et les rêveurs sont souvent des artistes et rarement des hommes d’affaires. On rencontre parfois des exceptions comme l’Américain Craig Vetter, l’homme derrière les 400 000 carénages de tourisme Windjammer commercialisés à partir de 1971, il y a juste 50 ans. Vetter produisait des carénages adaptables depuis 1966 car il a commencé alors qu’il n’avait que 24 ans et qu’il n’y avait personne d’autre sur le marché.
Puis il fait évoluer ses modèles pour arriver au fameux Windjammer qui a remporté un énorme succès, les marques Honda et HarleyDavidson étant devenues ses plus gros clients !
Importateur Rickman
À présent, ses premiers carénages sont des pièces de collection très recherchées mais ce qui est moins connu, c’est qu’au milieu des années 70, ce designer industriel de formation a également été importateur des motos Rickman aux États-Unis par le biais de sa société, Vetter Corporation. Craig a d’ailleurs participé à des compétitions au guidon d’une RickmanKawasaki et a même terminé 3e à Daytona en 76 en amateur dans la catégorie production. Avant ça, il avait également conçu la Triumph X75 Hurricane en 69 et aujourd’hui, il raconte volontiers comment il en est arrivé là : « À Daytona, j’ai croisé des gens de chez Triumph-BSA et ils ont apprécié l’ensemble réservoirselle en fibre de verre que j’avais réalisé pour ma Suzuki T 500. Ils m’ont expliqué qu’ils voulaient créer une moto spéciale pour les
USA qui étaient un marché important. Un certain
Don Brown m’a appelé trois mois après et m’a dit : “Je veux savoir si vous pouvez transformer la
BSA Rocket III pour qu’elle plaise aux Américains.” On s’est mis d’accord et j’ai commencé à travailler dessus. Il n’y avait rien à dire sur le cadre et le moteur mais il fallait changer ce design typiquement européen qui faisait que la moto était trop volumineuse et trop haute. Nous autres,
J’AI RENCONTRÉ LES GENS DE TRIUMPHBSA PAR HASARD, À DAYTONA
les Américains, on aime rouler assis le plus bas possible, avec un grand guidon, un petit réservoir et les jambes en avant.
Ça date de la fin de la
Seconde Guerre mondiale lorsque les anciens pilotes de chasse se sont mis à dépouiller les Harley de la police pour en faire des bobbers, puis des choppers. » Le résultat, vous le connaissez, et la X75 est désormais une moto très recherchée. Sauf qu’à l’époque, si elle a séduit les quelques jeunes Américains et Anglais à qui elle a été présentée en avant-première, en revanche, elle n’a pas plu aux dirigeants de BSA-Triumph, des cadres en costume-cravate qui ne se déplaçaient qu’en Rolls-Royce ou en Bentley. La moto finira par être commercialisée trois ans plus tard, le temps que les constructeurs sortent de nombreuses motos, et elle a fait un flop. Le chef-d’oeuvre de Craig Vetter restera donc le Windjammer, un terme ancien désignant un voilier de haute mer. Il faut dire que dans les années 70, les motos étaient commercialisées sans carénage et que beaucoup de motards, aux USA et en Europe, rêvaient de voyages au long cours mais avec un minimum de confort.
Une écurie de Superbike
L’accessoire de Vetter est donc arrivé à point nommé. Craig a eu cette idée géniale alors qu’il était étudiant et effectuait de longs voyages à moto. Le succès remporté
LE VRAI CHEF-D’OEUVRE DE VETTER, C’EST LA MYSTERY SHIP
par ses carénages lui a permis de monter sa propre équipe de Superbike dans le très relevé championnat américain. L’Anglais Reg Pridmore a remporté le titre de champion avec sa BMW R90 S lors de la première saison de ce championnat en 1976 et il a remis ça en 77 mais avec une Kawasaki Z 1000 cette fois-ci. Craig Vetter l’a embauché en 1978 et Pridmore a réalisé le coup du chapeau toujours avec une Kawasaki mais sponsorisé par Vetter ! La même année, Craig a commercialisé une moto étonnante baptisée Mystery Ship dotée d’un design extrêmement audacieux, avec différents niveaux de préparation du moteur : « L’idée m’est venue vers 1973. Je voulais créer une machine permettant de rouler vite tout en étant protégé.
Sauf que lorsque la production des Windjammer a démarré, je n’ai plus eu de temps pour ce projet. Puis je suis devenu le distributeur de Rickman et j’ai donc commencé à dessiner la Mystery Ship autour du cadre Rickman. Malheureusement, j’ai chuté en course à Atlanta avec ma Yamaha RD 350 et le projet a de nouveau été mis entre parenthèses. Je l’ai repris quand j’ai déménagé en Californie et j’ai réorienté le projet pour en faire une superbike de tous les jours. Je suis allé voir tous les spécialistes de la côte Ouest : Sandy Kosman pour le cadre, Darryl Bassani pour le pot d’échappement, Harry Hunt pour les disques en aluminium et Tom Lester qui fabriquait des roues pleines en alu. Cette Mystery Ship était une moto homologuée monoplace avec un ensemble selle-réservoir et un carénage qui évoquait la ligne du Windjammer, en plus racée. J’en ai fait dix et j’ai gardé les noms des acheteurs. Le milliardaire Malcom Forbes en a acheté deux, j’ai gardé la numéro 1 et les autres ont été vendues aux USA. Je comptais en
produire 200 exemplaires mais fin 1978, j’ai eu un autre grave accident, en
ULM cette fois-ci, et j’ai décidé de fabriquer des fauteuils roulants pour la compétition ! »
Dix Mystery Ship
La base de ces dix Mystery Ship, moteur et partie-cycle, était la Kawasaki Z 1000 Mk II. Le cadre avait cependant été confié à Sandy Kosman, connu pour ses dragsters, qui a modifié l’angle de la colonne de direction et a monté des roulements à rouleaux coniques. Bien entendu, le cadre a été renforcé, toutes les pattes inutiles ont été retirées et la fixation des amortisseurs arrière a été avancée. Enfin, le bras oscillant d’origine a été remplacé par un modèle en aluminium beaucoup plus rigide. Si certains modèles ont bien des roues pleines Lester en aluminium, les autres ont des jantes en magnésium Dymag beaucoup plus légères. L’ensemble réservoir-selle conçue par Vetter contenait 22 litres d’essence et dans le nez du carénage, sous le phare, se trouvait un radiateur d’huile Lockhart. Avec la ligne d’échappement quatre-en-un Yoshimura, la puissance était estimée à 95 chevaux, mais les clients les plus exigeants disposaient d’un gros catalogue de pièces pour augmenter celle-ci.
Il faut noter que la Mystery Ship « basique » coûtait déjà trois fois plus cher qu’une Kawa Z 1000 standard, et que le choix d’un moteur full power faisait encore considérablement grimper la note. Cette préparation permettait d’obtenir
116 chevaux grâce à des soupapes plus grosses, un arbre à cames racing et une cylindrée portée à 1 105 cm3. Il était aussi possible d’obtenir un moteur encore plus poussé, préparé par Yoshimura et identique à celui du championnat Superbike, mais le tarif, très élevé, ne figurait pas
au catalogue ! Et si ça ne suffisait pas, les exemplaires n° 6 et n° 9 ont été dotés d’un turbo-compresseur par le fameux pilote de dragster, Russ Collins ! La Mystery Ship numéro 1 a été offerte par Craig au AMA Motorcycle
Hall of Fame, le musée de la Fédération américaine de motocyclisme, tandis que le musée Barber possède la n° 8 et expose également la n° 9.
Économies d’énergie
Pendant sa convalescence, Craig Vetter a conçu des fauteuils roulants mais pas seulement, puisqu’il a aussi mis à profit ses connaissances en matière de fibre de verre pour fabriquer des piscines et de spas pour les établissements thermaux. Puis il s’est penché sur la réduction de consommation d’énergie en planchant sur une moto de petite cylindrée, très basse et avec un carénage aérodynamique. Après avoir vendu son entreprise en 1983, il a réalisé son projet en utilisant un moteur de Kawasaki Z 250 développant une puissance d’environ 20 chevaux. Pour accélérer le développement de ce concept, il a organisé un concours ouvert à tous, le Craig Vetter Fuel Economy Challenge, dont l’idée était de parcourir la distance la plus longue avec un litre de carburant. Dans sa moto, le conducteur était allongé sur le dos avec les commandes aux pieds, comme la NSU des records dans les années 50. Lors de tentatives dûment homologuées, elle a parcouru 46 kilomètres avec un litre d’essence. En 2015, au guidon de son scooter Honda profilé, Craig a heurté un cerf qui traversait la route. Son « troisième accident » comme il dit. Après trois opérations du cerveau et deux ans de perte de mémoire, il semblerait que tout soit rentré dans l’ordre. À 79 ans, Craig Vetter est presque entièrement rétabli et travaille actuellement sur son autobiographie. On attend cet ouvrage avec impatience !
UN ACCIDENT D’ULM MET UN TERME À LA PRODUCTION DE LA MYSTERY SHIP