BAGAGE SPORTIF
Dans les années 80, l’entrepreneur bavarois Michael Krauser, fabricant de sacoches mais amateur de compétition, a créé une petite série de BMW Supersport.
Le boom des motos des années 1970 a porté les performances et les vitesses de pointe à des niveaux inimaginables, tandis que les partie-cycles étaient à la traîne. Ainsi, un marché de niche intéressant restait ouvert pour les petits fabricants de motos sportives, tels que Rickman en Angleterre, Egli en Suisse, Martin en France et Bimota en Italie. L’Allemagne n’a pas été en reste avec la Krauser MKM 1000, spécialement développée pour le moteur flat-twin BMW. Tout a commencé en 1975 lorsque le futur ingénieur Peter Zettelmeyer et le pilote d’essai BMW Alfred Halbfeld ont commencé à participer à des courses d’endurance avec une BMW R90 S préparée et développant environ 80 chevaux. Les multicylindres se battaient pour la victoire mais une quatrième place de l’équipe allemande derrière la Japauto-Honda et deux Laverda 1000 sur le circuit de Spa-Francorchamps donne une idée du potentiel de la BMW, même si le cadre dérivé de celui de la R90 S fut mis à rude épreuve, la moto manquant de stabilité à haute vitesse. Un cadre en treillis s’est avéré être la bonne solution. HansWerner Bönsch, ancien directeur technique de
BMW et ancien professeur d’université, a finalement accepté ce projet comme mémoire de fin d’études de l’étudiant Peter Zettelmeyer.
Championnat d’Europe
Halbfeld a pris en charge la mise en oeuvre et lors de la saison 1976, la nouvelle partie-cycle était prête. La BMW était très rapide mais de petits problèmes (alternateur, roulements de roue) ne lui ont pas permis de démontrer son potentiel. Pire encore, à Barcelone, Halbfeld chuta, se cassa la jambe et détruisit la BM. Mais loin d’être abattue, la jeune équipe a pris la route de la Bavière où leur sponsor Mike Krauser les attendait (voir encadré). En tant qu’amateur de compétition, il a soutenu la jeune équipe d’endurance en leur fournissant un véhicule pour les déplacements et en leur permettant d’utiliser le banc d’essai moteur.
Flat-twin dépassé
Après l’accident en Espagne, la saison 1976 s’est arrêtée là et l’équipe a immédiatement commencé à travailler à la construction des motos de course pour 1977. La tenue de route et la maniabilité avaient énormément progressé grâce au nouveau cadre, mais le flat-twin n’était plus à la hauteur face aux Honda RCB d’usine et aux Kawasaki Godier-Genoud. Dans le même temps, l’idée a mûri de réaliser une réplique routière de la moto de course pour créer une « Bimota bavaroise ». Zettelmeyer avait quitté le projet pour travailler chez BMW mais Alfred Halbfeld, Klaus Pepperl et Michael Neher ont fondé la société HPN en 1979 avec l’intention de produire et
L’IDÉE ÉTAIT DE PROPOSER UNE BIMOTA ALLEMANDE
AVEC LA CULASSE 4 SOUPAPES, LE FLATTWIN GAGNE 10 CHEVAUX
de commercialiser cette moto. L’utilisation du moteur de la BMW R100 RS a imposé une nouvelle conception du cadre. Pour les amateurs de technologie, le cadre a été fabriqué à partir de 16 mètres de tube ST 35 coupés en 52 sections et assemblés avec plus de 150 soudures TIG.
Il ne pesait que 11,5 kg, soit 7 de moins que la version de série, et procurait une tenue de route bien supérieure. Un galop d’essai s’impose ! L’ergonomie générale fait que la moto est très compacte pour une conduite sportive. La selle est très reculée, comme c’était souvent le cas à l’époque, et il faut tirer sur les bras pour saisir le petit guidon. On remarque immédiatement la fourche moins inclinée et l’empattement plus long. Le centre de gravité est très bas par rapport aux 4-cylindres japonais, bien que le moteur ait été relevé de 25 mm.
Comme une italienne
Le moteur HPN standard prend tranquillement ses tours pour délivrer le maximum de sa puissance autour de 5 000 à 6 500 tr/min. Le passage des vitesses est typique de BMW : la cinquième vitesse s’engage rapidement et on sent tout de suite la différence de comportement grâce aux suspensions efficaces. La moto « trace » avec précision et confort sur les routes de campagne bavaroises et absorbe bien les imperfections du sol.
Face à une Ducati 900 SS des années 90, la BMW tiendrait son rang avec la fourche d’origine raccourcie et l’amortisseur arrière
Boge d’origine. La stabilité de la moto, l’efficacité du carénage, ainsi que l’absence de vibrations procurent une expérience de conduite inédite à la fin des années 70. Malheureusement, le freinage n’est pas à la hauteur. Si le frein arrière à tambour s’avère encore performant, les étriers avant ATE sont inefficaces.
Peintre sur porcelaine
Dommage, car la facilité de conduite, même à grande vitesse, la maniabilité et la précision de la direction font de ce cadre un véritable chef-d’oeuvre. Et ce n’est pas une coïncidence si les modèles BMW de la série K apparus en 1983 utilisaient un cadre treillis similaire. De nombreux composants de la moto provenaient de chez BMW, notamment les clignotants, la bulle, les phares, les rétroviseurs, les freins (malheureusement), l’amortisseur, les roues, les commodos et les instruments. Le design a été confié à Franz Wiedemann qui, à l’origine, était peintre sur porcelaine. Chez HPN, on misait sur une coopération avec BMW pour la commercialisation de la moto sauf que Dietrich Marunde, directeur de la marque, a rejeté cette proposition. Le projet « K 589 », qui deviendra plus tard la série K 100, était déjà au stade de prototype avancé et il a eu peur de créer une concurrente. De plus, chez BMW, personne ne croyait
plus au flat-twin… Heureusement, Mike
Krauser et arrivé à la rescousse en convainquant la firme MesserschmidtBölkow-Blohm (MBB) de produire le cadre. Franz Wiedemann apporta quelques corrections stylistiques avec le fond blanc « Corporate » de Krauser et le cadre violet. Krauser prévoyait de produire environ 300 motos et comme chez Martin, le client pouvait choisir entre une machine complète ou une partie-cycle à monter. Le kit comprenait le cadre, un bras oscillant arrière plus large de 27 mm, un réservoir d’essence en acier, des repose-pieds, un ensemble selle-réservoir, un carénage avec supports, un faisceau électrique, les deux garde-boue, un kit de conversion pour la fourche télescopique et diverses petites pièces – comme un axe de roue arrière plus long et une béquille d’atelier. Avec tous ces éléments, on pouvait éventuellement transformer une BMW 1000 en une belle moto sportive sans grande difficulté vu la qualité de fabrication. En 1981,
BMW a finalement autorisé l’utilisation de sa marque sur le réservoir de la MKM et une poignée de concessionnaires sélectionnés ont pu vendre la moto avec la garantie de l’usine. Un gros avantage par rapport à Bimota ou Egli qui ne pouvaient en offrir autant sur les moteurs japonais.
Manque de puissance
Cependant, malgré l’excellente tenue de route de la MKM, le manque de puissance du flat-twin était devenu évident. En 1975, Krauser avait fait appel au technicien Willi Roth pour concevoir des culasses quatre soupapes utilisées par Dieter Busch dans le championnat du monde de side-car. Depuis 1979, Roth était employé comme designer par Krauser et s’occupait principalement des sacoches. Vous imaginez bien que celui-ci s’est à nouveau penché sur les culasses à quatre soupapes, cette fois-ci pour le moteur 1000 RS, qui est monté avec des pistons haute compression Mahle. Dans cette culasse, on trouvait de grosses soupapes
(37 mm à l’admission et 31 à l’échappement). Les culbuteurs étaient montés dans une pièce rapportée en acier au chrome-molybdène et les tiges en aluminium étaient plus courtes et plus légères et agissaient à leur tour sur des culbuteurs en acier. Les 1 600 paires de culasses ont été réalisées par la fonderie Alcan de Nuremberg. Plus étroite et plus légère que la culasse standard, elle permettait de gagner au moins dix chevaux. Le kit, composé de deux culasses et des pistons, était disponible à la vente chez Krauser. La conduite sur route de la MKM à quatre soupapes confirme ce que le diagramme de puissance suggère.
Les culasses Krauser ne transforment pas le flat-twin en un moteur de course (il y a toujours trop de masses mobiles dans la distribution) mais le couple du moteur augmente considérablement à partir de 3 000 tr/min. Malheureusement, en 1984, une Kawasaki GPZ 900 R Ninja coûtait moitié moins cher qu’une MKM à quatre soupapes et il n’est pas étonnant que plus de la moitié des MKM aient été vendues au Japon, pays gros consommateur de motos spéciales européennes. À cette époque, BMW s’est complètement désintéressé du travail réalisé par cette poignée de techniciens allemands car les dirigeants bavarois étaient persuadés qu’avec la série K, ils n’auraient plus à fabriquer de flat-twins. L’histoire a prouvé le contraire.
BMW PENSAIT QUE LE FLAT-TWIN N’AVAIT PAS D’AVENIR...