Moto Revue Classic

LES LIGNES D’UNE VIE

Peintre en filets et en lettres depuis presque 50 ans, Pascal Taka-Hira dispose d’un rare coup de main qui comble de joie les amateurs de motos classiques.

- Texte : Alain Lecorre & CG - Photos : A. Lecorre

LE GRAND-PÈRE DE PASCAL ÉTAIT PEINTRE POUR LES CONSTRUCTE­URS AUTOMOBILE­S DANS LES ANNÉES 20

Pascal Taka-Hira est un personnage incontourn­able du monde de la moto ancienne et son métier est en voie de disparitio­n. Selon le terme consacré, il est réchampiss­eur, une spécialité héritée des débuts de la constructi­on automobile lorsque les grands carrossier­s faisaient appel à ces peintres pour personnali­ser les voitures avec des filets. « C’est mon grand-père qui m’a tout appris. Il a commencé comme peintre chez Renault dans les années 20, puis a travaillé pour tous les constructe­urs automobile­s. À l’époque, il posait des filets en bout de chaîne. Les voitures étaient ensuite vernies au pinceau, puis poncées, revernies, poncées à nouveau et lustrées. Et tout se faisait à la main. » Pour ce qui le concerne,

Pascal a commencé en

1975 : « Ça a toujours été mon métier. La pose de filets, c’est ma spécialité, mais je fais aussi du cannage et du lettrage. Au départ, la difficulté, c’est d’arriver à maîtriser l’épaisseur du filet et de réaliser un trait rectiligne ou courbe, en même temps. Il m’a fallu quelques années pour être vraiment opérationn­el. » La première question que se pose le néophyte est de savoir comment il parvient à réaliser une ligne parfaiteme­nt droite. « C’est le doigt et l’oeil qui guident. Et un peu l’expérience. Après, plus on travaille vite, moins on a de chance de faire d’erreurs.

Carburant agressif

Et c’est mieux ainsi car les erreurs sont toujours difficiles à récupérer. C’est un métier qui paraît tellement inaccessib­le que les gens pensent qu’ils seraient incapables d’y arriver, alors que tout le monde peut le faire. Il faut faire preuve de dextérité, mais rien n’est impossible. Je travaille sur des pièces finies, peintes ou entre une couche de peinture et une autre de vernis. Sur un réservoir de moto par exemple, il est préconisé de revernir après la pose du filet à cause de l’agressivit­é des carburants. Si le filet est reverni, je travaille avec des peintures plus fluides pour avoir moins de relief. » Autre question du néophyte : comment être sûr qu’il y aura suffisamme­nt de peinture sur le pinceau pour aller au bout d’un filet très long ? « Pour une peinture classique avec durcisseur, il faut la bonne quantité de diluant pour

obtenir la bonne viscosité. Par températur­e idéale, je réalise une longueur de voiture en un seul passage avec la “réserve” qu’il y a dans le pinceau en poils de queue d’écureuil. On trouvait ces derniers aux USA mais ils sont maintenant interdits à la vente car d’origine animale. L’avantage de ces pinceaux, c’est qu’ils absorbent la peinture pour constituer cette fameuse réserve. Je distribue avec le bout du pinceau et la quantité suit : plus j’écrase le pinceau, plus le filet est épais. À l’inverse, plus je travaille avec la pointe, plus il est fin. Et quand il fait chaud, le durcisseur prend vite, il est donc plus facile de réaliser un tracé fin. »

45 ans d’expérience

Outre la viscosité de la peinture, Pascal doit aussi maîtriser le temps. Il nous explique que pour un filet courant sur tout le côté de la carrosseri­e d’une voiture, il faut entre une heure et une heure et demie. Il se détend lorsqu’on aborde les travaux sur une moto :

« Un réservoir de BMW par exemple, je le fais très vite, quasiment les yeux fermés, car j’ai l’habitude. Les Séries 2, 5, 6 ou 7 sont des motos parées de filets et on me demande couramment d’en refaire. Sur d’autres machines, j’ai besoin d’un temps d’adaptation même si ça fait 45 ans maintenant que je côtoie tous les bons ateliers de restaurati­on et qu’ils ne peuvent plus se passer de moi ! » Il plaisante, évidemment, car il est aussi humble qu’efficace. Lui qui travaille seul, il espère simplement que quelqu’un prendra la relève lorsqu’il sera à la retraite. Il conclut notre entrevue par une anecdote : « Je suis gaucher et daltonien, deux handicaps dans ma spécialité. Je pense donc qu’un droitier qui perçoit les couleurs devrait s’en sortir encore mieux que moi ! » www.taka-hira.com

 ??  ?? 23
23
 ??  ?? 1. La main de Pascal ne tremble pas : c’est à ça que l’on reconnaît son travail ! 2. Il utilise la palette de son grand-père qui faisait le même travail il y a un siècle !
3. Le portrait de l’artiste, il est gaucher et daltonien mais ça ne se voit pas.
1. La main de Pascal ne tremble pas : c’est à ça que l’on reconnaît son travail ! 2. Il utilise la palette de son grand-père qui faisait le même travail il y a un siècle ! 3. Le portrait de l’artiste, il est gaucher et daltonien mais ça ne se voit pas.
 ??  ??
 ??  ?? 1 & 2. Avant/après : quelques petits filets changent complèteme­nt l’aspect de ce réservoir de Triumph
(photos D. Boussard). 3. Le dosage diluant-peinture est déterminan­t.
4. Les fameux pinceaux en poils de queue d’écureuil.
1 & 2. Avant/après : quelques petits filets changent complèteme­nt l’aspect de ce réservoir de Triumph (photos D. Boussard). 3. Le dosage diluant-peinture est déterminan­t. 4. Les fameux pinceaux en poils de queue d’écureuil.

Newspapers in French

Newspapers from France