MOTO ESCROC
On sait tous que dans notre petit milieu, on aime les légendes. Comme par exemple celle qui tourne autour du voyage initiatique à moto de Che Guevara. Tout le monde sait aujourd’hui que sa Norton ES2 a cassé dès le début de son périple et qu’il a fait le reste en voiture, en train ou à pied. On pourrait aussi évoquer la marque Belstaff, lorsqu’elle appartenait à un entrepreneur italien, qui avait diffusé une photo de Lawrence d’Arabie chevauchant une Brough Superior et arborant fièrement un logo de la célèbre marque sur sa manche. Sauf que dans leur précipitation à réécrire l’histoire, les faussaires n’avaient pas pris garde que Lawrence portait l’uniforme de l’armée anglaise ! Pour revenir au Che, je me souviens aussi d’un Anglais qui cherchait à vendre la moto du révolutionnaire argentin mais s’il s’agissait bien d’une Norton 500, c’était une 16H… Dans le monde de la moto de course, c’est encore pire, on ne compte plus les Yamaha TZ ex-Pons, Sarron, ou mieux ex-Roberts, les Suzuki ex-Sheene ou les Honda CB 750 ex-Dick Mann. Ce que l’on peut vous assurer, c’est que celle de l’ami Sergio photographiée dans ce numéro n’a jamais roulé à Daytona en 1970.
Dans le fond, tout cela n’est pas bien grave, après tout, comme disait je ne sais plus qui : « Les escrocs, comme les pigeons, sont attirés par le blé. » Là où ça devient plus embêtant, c’est lorsque l’on tente de réécrire l’histoire de Robert Sexé. Voyageur à moto et reporter de l’entre-deux-guerres, il aurait inspiré Tintin à Hergé. Si certains veulent croire à cette légende, là encore, ce n’est pas bien grave. En revanche, qu’à l’occasion d’un article publié récemment dans un magazine moto « lifestyle », on minimise son passé de collaborateur avec l’occupant allemand, c’est plus embêtant. Et ça devient carrément malsain lorsqu’on le transforme en Hero (sic), voire en humaniste.
Jean Junior, alias Bourdache, évoque l’admiration de Sexé pour le IIIe Reich en page 18 à travers un texte publié par celui-ci dans Moto Revue en avril 1937.
Et durant l’occupation, il a persévéré : membre du Parti populaire français de Doriot, il a écrit pour divers journaux ouvertement pro-nazis.
On peut d’ailleurs regretter qu’après-guerre, Moto Revue ne se soit pas fendu d’un article relatant les méfaits de celui qui fut l’un de ses reporters. Ceci dit, la meilleure réponse de l’hebdomadaire fut de constituer, dans les années 50, une rédaction cosmopolite avec Antonio Arguello, réfugié républicain espagnol anti-franquiste, Jacques Birger, réfugié juif lituanien, et Bruno Nardini, futur rédacteur en chef, qui avait fui les fascistes italiens.