HONDA CB 750 “DAYTONA”
Serge a rêvé pendant vingt-cinq ans de voir sa Honda CB 750 dans ce superbe état, en Daytona Replica. Il lui a fallu croiser la route de Christophe Noël pour que le projet aboutisse.
Sergio, motard parisien, a fait modifier sa CB 750 dans le style de celle de Dick Mann.
La CB, encore rutilante, fraîchement ramenée de l’atelier de Christophe Noël, dit Nono (Galz Motorcycles, à Varennes-sur-Seine, 77), barre la route à une Alfa Romeo GT grise, dans le parking en sous-sol d’un bâtiment parisien. Serge n’aime que les mécaniques âgées : « Elles ont de l’âme, il se passe un truc quand tu les conduis. » Derrière l’Alfa, sa toute première moto dort sous un drap, une Moto Guzzi V7 Sport, réservoir vert pomme et cadre rouge.
« Je n’ai jamais eu de motos modernes. J’en ai essayé, ça ne me plaît pas. » Peut-être la contrepartie de sa formation d’ingénieur en électronique et de son boulot actuel sur le développement de logiciels… Serge place la Honda sous le néon du parking. Même là, elle prend une lumière particulière. Je tourne autour : « Elle peut rouler sur la route ? Je vois la plaque mais pas les phares. » Serge rigole : « C’était le but. Avec Nono, ça nous faisait marrer d’imaginer une vieille bécane de course rouler sur la route. À l’ancienne. Le phare est sous le carénage. » Il me montre un rectangle moderne, tapi sous le retour de carénage. Le feu arrière orne la plaque d’immatriculation. Serge lance un coup de kick, la 750 craque aussitôt. Un vacarme diabolique. Le quatre-en-un noir vibre au rythme des coups de gaz, l’aiguille du compte-tours cherche sa place, indécise. Délire d’un autre temps, si ce n’était la peinture flamboyante, les tés de fourche étincelants, le moteur d’aspect neuf… On détaille la mythique
CB et son carénage Daytona, évocation de la fameuse victoire de Honda aux
200 Miles de Daytona en 1970, aux mains du pilote américain Dick Mann. Bien sûr, il ne s’agissait plus vraiment d’une CB mais d’une moto fabriquée à la main au Japon, renommée CR. Au-delà de la prouesse sportive, la ligne épurée de la CR a marqué toute une génération, avec ses quatre silencieux d’échappements noirs de part et d’autre, son réservoir long comme une 504 break et son arrière tronqué.
Alfa, Guzzi, Honda...
Serge avance ensuite l’Alfa pour découvrir sa Guzzi V7. Il soulève le drap. « C’est ma première bécane. Je l’ai achetée dans les années 80, je ne roulais qu’à moto, je faisais des milliers de bornes par an. J’ai eu un gros carton avec en 2015, un mec en bagnole m’est rentré dedans, par l’arrière : fracture de la hanche, trois mois sans poser le pied par terre…
Ça a fait flipper ma femme à l’époque. J’ai pris la décision d’arrêter de rouler à moto tous les jours. C’est là que j’ai acheté l’Alfa. » Serge remet son petit musée en place, on remonte à la surface du monde, en terrasse. « La CB, je l’ai achetée en 1995 à un mec qui habitait
Mantes-la-Jolie. Il avait commencé à la préparer, avec ce gros réservoir et un “quatre-en-un” hyper moche, soudé dégueulasse, avec un silencieux de brêle moderne. Il avait mis un feu “tomate” à l’arrière, c’était de bric et de broc. Le moteur devait avoir pas mal de kilomètres, personne n’en savait trop rien. Je voulais faire de la piste à ce moment-là, avec une bécane fiable mécaniquement. Je ne l’ai pas payée très cher, je savais que j’allais la refaire, du moins esthétiquement.
J’ai vite trouvé ce carénage Daytona par une petite annonce, et aussi la rampe de carbus CR, dénichée pour 1 000 balles grâce à l’ancien pilote de Grands Prix, Éric Saul. » Parce qu’il avait en effet fallu peu de temps à
Serge pour intégrer le milieu, alors très fermé, des pistards de la moto ancienne. Très pote avec un jeune graphiste mordu de vieilles sportives, Éric, il participe à de nombreux événements, type Moto Légende,
Trophées Gérard Jumeaux, ou des journées circuit, à Pau, Lurcy-Lévis, Nogaro… « Je me suis pris au jeu.
Et la CB tournait bien, jamais emmerdé. J’aimais bien la bricoler, améliorer ce qui pouvait l’être sans trop de frais. Je louais un petit box en banlieue parisienne qui faisait office d’atelier. »
The Flying Gaskets
Mais une passion peut en entraîner une autre, surtout chez Serge. Le temps passait, la vie amenait son lot de galères, de joies, de séparations, de changements de boulot, de naissances… Serge s’éprend un jour de musique. Comme pour la moto, il se lance à corps perdu : guitare, chant, il monte un groupe, délaisse la CB 750. « Le groupe, c’était les Flying
L’IDÉE ÉTAIT DE FAIRE ROULER UNE MOTO DE COURSE SUR LA ROUTE
Gaskets, une histoire d’une dizaine d’années, assez géniale. On jouait d’ailleurs lors d’événements moto, comme le Bol d’Or Classic ou Moto Légende. Entre mon boulot d’entrepreneur et le groupe, j’ai un peu sacrifié la moto. » Il vend le vieux Land Rover qui tirait la remorque, les outils, mais garde la V7 et la CB 750.
L’une des dernières
Il y a deux ou trois ans, à la faveur d’une bonne fortune professionnelle, Serge décide de terminer le projet entrepris vingt-cinq ans plus tôt : terminer la préparation de sa CB. Pour la route, cette fois. « Je me suis dit que c’était con d’avoir une moto comme ça et de ne rien en faire. Je l’avais remisée au sec, dans une vieille grange. Quand on l’a récupérée avec Nono, faut avouer qu’elle faisait la gueule. Nono, je l’ai connu par un pote, le père d’un chanteur connu, qui lui avait confié une restauration complète d’une XJR 1300.
Il en a fait un café racer assez génial. Au début, je voulais la restaurer moi-même, ma CB. Je me suis rendu compte que ça n’avançait pas, je projetais de la refaire dans l’atelier d’un pote à Provins, assez loin de Paris… Je lui en ai parlé, il m’a conseillé Nono. » Ce dernier a d’abord jeté un coup d’oeil à la Honda, évoqué la prépa avec Serge, puis a accepté de se lancer dans le projet : « Je l’ai démontée, nettoyée, il a fallu démonter la fourche, reprendre les tubes, les conduits d’huile. Le cadre était propre, peint à l’époxy. Toute l’électricité était à refaire, j’ai remis un alternateur, repeint le moteur, refait toute la rampe. Les pistons du frein avant étaient complètement grippés. Un projet qui réclamait beaucoup de main-d’oeuvre mais pas tellement de pièces. L’idée de faire cette moto façon piste m’amusait pas mal. Serge avait un modèle en tête, la prépa CB Daytona qu’il avait trouvé sur Internet. On s’en est un peu écarté, pour personnaliser sa moto. Je lui ai peint son nom sur le carénage. » Serge a choisi le numéro de « course » 77, l’année de naissance de sa femme. Le travail a duré un an et demi. Serge n’était pas pressé, Nono menait d’autres projets en parallèle, ils se voyaient régulièrement. Au point de devenir potes, à un moment de leur vie où chacun démarrait une nouvelle aventure. Nono arrête Galz Motorcycles, il ferme son atelier pour se lancer dans l’événementiel, autour de voitures et de motos de collection. « Plus de trente ans que je suis dans la prépa, de Dreams Colors à Galz Motorcycles, je suis à bout. Je ne veux plus me lever à quatre heures du mat’ et bosser 7 jours sur 7. » Serge, lui, n’en peut plus de Paris : « On ne peut plus rien faire, on s’y ennuie. » Il vise la Bretagne. Là-bas, espère-t-il, la CB pourra respirer librement.
NONO A BOSSÉ UN AN ET DEMI SUR LA CB 750, SERGE N’ÉTAIT PAS PRESSÉ