UNE VIE CHEZ MOTOBÉCANE
Durant un demi-siècle, Éric Jaulmes, créateur de la 350 trois-cylindres, a travaillé chez Motobécane. Les deux noms sont indissociables.
ÉRIC JAULMES A CONSACRÉ TOUTE SON EXISTENCE À LA MARQUE
Éric Jaulmes est connu à juste titre comme le père de la Mobylette et de la majorité des modèles Motobécane d’après-guerre. Cet ingénieur, formé à l’institut électrotechnique de Grenoble, est l’un des grands concepteurs français dans le domaine de la motocyclette. Son esprit inventif, ouvert aux nouvelles technologies, a su explorer de nombreuses voies sans s’écarter d’une ligne de conduite tracée autour de la recherche de la perfection technique. Entré chez Motobécane très tôt, puisqu’il y a travaillé pendant ses vacances scolaires dès 1927, il n’y a profité d’aucun statut particulier bien qu’il soit le neveu de Charles Benoît, cofondateur de la marque.
Bien au contraire, son oncle ne voulait pas faire un « exemple », et c’est Abel Bardin, l’associé de Charles Benoît, qui a insisté pour embaucher le jeune homme. Les années d’apprentissage ont été dures mais profitables. Un diplôme d’ingénieur n’avait de valeur, pour le patron des ateliers de Motobécane, que s’il était suivi de nombreuses années de pratique, aux manivelles d’une fraiseuse, à la chaîne de montage et au réglage des bancs d’essais.
Monoculture d’entreprise
L’influence et le style Éric Jaulmes ont commencé à imprégner Motobécane vers 1936/37. Ce seront les travaux sur les culasses bimétal, dont la chambre d’explosion et les conduits de soupapes en bronze étaient surmoulés en aluminium. Dessinées pour le moteur d’aviation A2AL, elles évolueront vers la célèbre « Superculasse » qui a équipé les S4C et S5C. Ce sera ensuite, avec Ernst
Drucker, les travaux sur l’AB1, archétype du petit moteur à soupapes latérales dont les études sur la thermodynamique ont permis de tirer un rendement remarquable pour l’époque. Charles Benoît ne voulait pas que ses collaborateurs tombent dans le piège de la « monoculture d’entreprise ». Pour cela, il exigeait que ses proches utilisent des modèles de la concurrence. C’est ainsi qu’il a parcouru de nombreux kilomètres en
BMW, BSA ou encore Vélocette. 1939, la signature d’Éric Jaulmes se retrouve dans les cartouches de dessins en nombre croissant quand tombe le couperet de la déclaration de guerre. Mobilisé, il part pour la
Syrie. Démobilisé début 1943, il est envoyé par son oncle à Saint-Étienne où s’est déjà regroupée une partie du bureau d’études de Pantin, et va préparer l’aprèsguerre avec de nombreuses études, toutes axées sur la motorisation populaire, nécessaire pour remettre la France sur roues avec l’espoir de la fin prochaine des hostilités. Ce sera la
D45 avec un nouveau bloc qui deviendra la série Z. La Libération arrive et c’est à partir de ce moment que
va réellement éclore son génie autour de nombreux projets sur les moteurs deux et quatre-temps. En 1949, un cyclomoteur peint en gris déferle sur la France. L’idée initiale de cette bicyclette à moteur « mue par un vent de dos permanent » est de Charles Benoît mais Éric Jaulmes est derrière la planche à dessin et sur les routes au moment des essais.
Des centaines de brevets
Parmi les centaines de brevets déposés par Motobécane, près de quatre cent sont signés Éric Jaulmes. On y trouve, bien sûr, le résultat de la somme colossale de travail qui a abouti aux modèles que nous connaissons tous. On trouve également trace de nombreux travaux qui, sans avoir été exploités directement par Motobécane, sont toutefois fondamentaux pour la progression des techniques appliquées à la motorisation. Au hasard des liasses de plans, l’étude d’un moteur 2-temps à membranes, une étude de variateur de vitesse intégrant des paramètres de correction pilotés par la dépression de l’admission, ou encore un support moteur destiné à filtrer les vibrations par rapport à l’axe du cadre.
Les dernières années d’Éric Jaulmes chez Motobécane ont permis une explosion de sa créativité. Officiellement retraité, il a travaillé quelques années avec le titre de consultant. Ce statut lui a donné une grande liberté d’action en lui permettant de consacrer cent pour cent de son temps à la recherche pure. C’est à cette période que sont arrivées les études sur le deux-temps dépollué, un projet de garage sousterrain avec ascenseur, ou un curieux sac à dos intégrant un moteur deux-temps. En fait, une chenillette permettant aux skieurs de remonter les pentes en parfaite autonomie. Nous pourrions citer tant d’inventions que ce numéro de Moto Revue Classic ne suffirait pas à les contenir.
BENOÎT IMAGINE LA MOBYLETTE, MAIS JAULMES LA CONÇOIT