“DOCTEUR” NÔ
Mais qu’arrive-t-il donc à mes confrères ? Voilà qu’ils parlent plus de cabriolets que de motos quand ils se croisent dans les couloirs. En effet, pas moins de cinq d’entre eux sont les heureux possesseurs d’une Mazda MX-5 ! Et puis, finalement, j’ai compris, lorsque j’ai appris que Shunji Tanaka, designer pour Kawasaki de 2000 à 2020 et décédé le 12 décembre dernier à 75 ans, était aussi le dessinateur de la première version de cette fameuse Mazda. Chez Kawasaki, on doit à Tanaka la sportive ZX-6R en 2004 puis la ER-6 l’année suivante, un roadster qui remportera un grand succès et qui fut la monture des participants de la Coupe Kawasaki-Moto Revue, dernière du nom. Cependant, son chef-d’oeuvre, au sens strict du terme, restera la Z 1000 présentée en 2003. Quand certains journalistes – dont je faisais partie – évoquaient avec un rien de mépris le « design manga », du nom de ces BD populaires japonaises (voir page 12), lui préférait parler de style « sugomi » qui évoque l’état d’esprit d’un prédateur prêt à fondre sur sa proie. Il expliquait aussi qu’il créait un « visage » à ses machines car la « personnalité » d’une moto était déterminée par le phare et son petit carénage, le reste du design découlant de cette partie. Rien d’étonnant car Shunji Tanaka était fasciné par les masques utilisés dans le théâtre traditionnel japonais nô où ceux-ci définissent la personnalité du personnage de la pièce.
En revanche, la Kawasaki Z 900 RS n’a pas été dessinée par Tanaka et ça n’a rien d’étonnant non plus. Lors d’une interview, Miguel Galluzzi, autre grand designer à qui l’on doit la Ducati Monster (voir page 70), m’avait avoué que la mode « néo-rétro » ne l’intéressait pas car elle était à l’opposé du travail d’un designer, c’est-à-dire innover. Des paroles à méditer, comme celles de Tanaka sur son lit de mort : « Je pars sans rien regretter de ce que j’ai fait. »