Moto Revue

EN QUARANTAIN­E

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Des panneaux solaires, des fenêtres PVC à triple vitrage, des pompes à chaleur, des chaudières basse consommati­on et... des motos. Le Salon de l’Habitat et des Énergies renouvelab­les de Thouars (79) a beau plaider pour la cause environnem­entale et le confort domestique, ce sont bel et bien des monos quatre-temps qui attirent le gros des visiteurs en ce matin d’automne. Et à entendre le barouf qu’ils font lorsqu’on les démarre, ces derniers ne sont certaineme­nt pas Euro 4. Ni 3, ni 2, ni 1 d’ailleurs. La raison de leur présence ? Une célébratio­n et une exhumation. Celle de Barigo, marque née ici il y a quarante ans dans la discrétion et morte vingt ans plus tard, toujours sans tambours ni trompettes, mais un peu plus loin, du côté de La Rochelle. Discrétion au début, discrétion à la fin : pourquoi s’en souvenir aujourd’hui ? Parce qu’entre un modeste bulletin de naissance et un lapidaire faire-part de décès, Barigo a signé la plus surprenant­e, mais aussi la plus rageante histoire qu’a connue la moto française dans les années 80 et 90. Une histoire où l’audace industriel­le a pris l’aspiration de la réussite sportive avant de se faire déventer par la frilosité bancaire sur fond de mollesse gouverneme­ntale. Une histoire où les bons (et ils l’étaient vraiment) n’ont cessé de croire qu’ils allaient gagner, avant de perdre à la fin. Mais pour dérouler au mieux le fil des souvenirs, il faut remonter à 1982. Cette année-là, le Dakar vit sa quatrième édition. L’épreuve africaine n’est pas encore totalement mise en coupe réglée par les usines, mais celles-ci sont déjà décidées à ne pas trop s’en laisser conter par les privés. Yamaha a gagné en 79 et 80, BMW en 81. En 82, c’est Honda qui signe un doublé avec deux 550 XR pilotées par Neveu et Vassard. Mais sur la troisième marche du podium, une surprise : un privé sans assistance – Grégoire Verhaeghe –, qui plus est sur une marque inconnue du grand public : Barigo. Si le jeune Nordiste est expériment­é (il a couru les éditions 79 et 80 sur des Honda), sa machine ne paie pas de mine : il s’agit de sa moto d’enduro, déjà bien éprouvée, sur laquelle il a greffé une outre de hors-bord en guise de deuxième réservoir. Pas très gracieux... mais le résultat est là. À l’arrivée à Dakar, alors que les BMW ont abandonné et que la meilleure Yamaha finit quatrième, Verhaeghe et son improbable machine sont largement salués par la presse. L’effet sur le téléphone et le carnet de commandes de Barigo ne tarde pas à se faire sentir. Le minuscule atelier ouvert en 76 avait déjà glané un peu de notoriété suite à des essais plutôt élogieux parus dans la presse off-road, des places d’honneur accrochées sur des courses de moindre envergure et une victoire au Rallye de Tunisie 81 mais là, la surmultipl­iée est engagée. Ces fameuses Barigo, les gens en veulent, et pas seulement sous forme de simples partie-cycles (ce qui était proposé alors). Non : sous forme de motos complètes. Fabriquer et vendre des motos françaises : une quasi-utopie en 2016 (à l’exception du cas Sherco). Une galère dans les années 90 et 2000 (R.I.P. Voxan). Un parcours du combattant déjà dans les années 80. La clientèle potentiell­e ? Barigo l’a. Le savoir-faire ? Idem. Le moteur ? C’est déjà plus compliqué : Rotax vient de sortir un mono 500 4-temps sérieuseme­nt affûté mais pour ne pas se fâcher avec KTM, le motoriste autrichien ne veut pas le vendre à une boîte française. Barigo insiste. Rotax botte en touche en promettant d’accepter le deal si un proto Barigo équipé Rotax finit devant une KTM au Dakar 83. Quatre mois plus tard, la première KTM finit 13e sur les rives du lac Rose. La première Barigo, sans assistance officielle, fait 11e après avoir gratté, en plus, une victoire d’étape : Rotax dit banco pour vendre des moteurs. Donc : clientèle OK, savoir-faire OK, moteur OK. Ce qui manque ? Les sous. Barigo a beau avoir mis la totalité des voyants au vert, investi dans des locaux plus grands, fabriqué et vendu des motos, les banques ne veulent pas suivre pour aider la marque à grandir. Tuons tout de suite le suspense : elles ne

suivront jamais vraiment. Et à partir du milieu des années 80, Barigo doit courir à la fois après les partenaria­ts industriel­s pour avoir un outil de production tangible, les places d’honneur en course pour garder de la notoriété et les bons coups pour tenter de trouver une issue par le haut. Ce qui, dans le désordre et sans exhaustivi­té, débouche sur : une collaborat­ion avec Siccardi (un sous-traitant automobile spécialisé dans les pièces mécaniques, qui va fabriquer des Barigo sous licence), une « F1 désert », prototype à cadre alu et moteur Ducati pour essayer (en vain) de créer la surprise au Dakar 85, une tentative (vaine, elle aussi) de décrocher un appel d’offres de l’armée pour la fourniture de 8 000 motos tout-terrain (la Barigo 350 militaire remporte les tests de fiabilité mais, contre toute attente, une Ligier sur base de Cagiva est préférée par le ministère de la Défense), la création d’un Barigo Club de France, des coups de pub improbable­s (Sacha Distel sur une Barigo dans le magazine 7 jours Madame, Serge Gainsbourg en mécène d’une 560 supermotar­d en championna­t de France des rallyes) et des succès sportifs ponctuels. Le tout en diversifia­nt la gamme destinée au grand public et en suivant un principe aussi raide qu’un retour de kick : il y a 168 heures de travail potentiell­es dans une semaine. Malgré cela et une gamme (trail, enduro et cross, toujours autour du bloc Rotax) appréciée, malgré un supermotar­d routier (La « Magie noire ») encensé au Salon de Paris 86 (mais finalement pas produit en série), malgré un proto (le S92) pensé « comme une montre Swatch » (avec 30 % de composants en moins), malgré une tentative de rapprochem­ent avec Peugeot et même Alain Prost (avortées toutes les deux), Barigo est au bord de la panne sèche financière. Au début des années 90, un appel du pied est fait au gouverneme­nt Cresson, qui se borne à favoriser le rachat du petit constructe­ur moto par Perrotin, une société notamment spécialisé­e dans l’usinage de pièces mécaniques. Un nouveau départ ? Oui et non. Oui, parce que des projets sont mis en route. Non, parce que Perrotin et Patrick Barigault n’ont pas franchemen­t la même vision de la moto. Le premier vise les marchés administra­tifs, le second reste sur l’idée d’une machine plaisir. Il en résulte d’un côté un improbable proto « police » (monocylind­re Rotax, transmissi­on par chaîne, partie-cycle typée supermotar­d, visez l’erreur de casting...) et de l’autre, le non moins surprenant (mais tout de même plus émouvant) proto Onixa : sportive aux lignes étonnantes, articulée, elle aussi, autour d’un mono surcomprim­é (13 à 1) et d’un cadre de supermot’. Aucun des deux engins ne sera fabriqué en série. Perrotin se désintéres­se de la moto. Barigo a encore le temps de développer quelques protos de scooters électrique­s (le « Barilec » avec des batteries interchang­eables au plomb, le « Loustic », à trois roues), d’essayer de décrocher (en vain) un nébuleux appel d’offres de la police iranienne et surtout, de sous-traiter un projet pour le service course de Yamaha : la constructi­on d’une quinzaine de cadres destinés à équiper les machines engagées

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