Moto Revue

Les Bardenas Reales

-

42 000 hectares, 40 et quelques kilomètres de long. Entre 8 et 23 kilomètres de large. Tels se présentent les « Bardenas Reales ». Assez plat dans sa moitié nord, ce désert offre plus de relief au sud avec des dénivelés flirtant avec les 300 mètres. Il n’est pas possible d’aller partout à moto (la police veille... quand il ne fait pas trop chaud) mais les chemins autorisés et leurs abords offrent déjà de quoi se faire plaisir.

l’échelle du dimensionn­ement sera amplement respectée. » Après avoir maté quelques photos, le Sellier accepte sans sourciller : « C’est beau, on dirait les paysages du Bon, la Brute et le Truand, mon John Wayne préféré... » Pour les motos, en revanche, pas question pour lui de négocier. « Alors, on va prendre la Ducati Desert Sled, rapport à son nom, tu comprends. Et la nineT Urban G/S qui a l’air d’être sortie d’un Dakar des années 80. Et puis, un truc de fou : le X-ADV de chez Honda. Un scoot’ capable de faire de l’enduro. Oui, monsieur ! Et comme tu m’accompagne­s et que tu joues petits bras, on va te choisir une Mash 400 Scrambler. 27 chevaux, ça devrait être dans tes cordes. » Quatre motos, ça fait deux rouleurs en plus de Bruno et moi. Pour l’occasion, ce sera Bertrand Gold, essayeur MR mi-blondin, mi-truand, et son pote Loïc du Pôle mécanique d’Alès, plutôt mimolette, vu le gabarit du lascar.

Un caramel de la maison Panique

Les motos nous attendent deux semaines plus tard à Bayonne. Ce trip dans les Bardenas, on pourrait le faire à peu près à n’importe quel moment de l’année : la météo s’y prête quasiment tout le temps. Nous, on a choisi la mi-juin. Il fait beau. Très beau. Trop beau même. 42 °C au soleil. Les motos, toutes en configurat­ion d’origine, manifesten­t une indifféren­ce royale à l’égard de cette chaleur écrasante. Nous, on ne peut pas en dire autant, surtout moi qui ai prévu de porter un blouson de cuir pour affronter le désert. Alors que ma températur­e interne converge dangereuse­ment vers celle du dehors, je cherche à me rappeler les raisons d’un choix aussi improbable. Hommage inconscien­t à la saga Mad Max ? Fantasmes cuir/moustache trop longtemps refoulés ? Pas le temps d’entamer une psychanaly­se, vite, il faut rouler avant une hypertherm­ie fatale. Bertrand, qui aime avoir la plus grosse, prend la BMW. Bruno, en quête perpétuell­e de hauteur, s’arroge la Ducati. Loïc, qui prend rarement le guidon d’une moto de route, opte pour la Honda et moi, je me retrouve sur la Mash 400. 110 ch pour l’allemande, 75 pour l’italienne, 54 pour la japonaise et 27 pour la franco-chinoise. Soit 83 ch d’écart entre la plus puissante et la plus fluette. Un sacré delta au moment de s’infuser 350 bornes de roulage à travers les Pyrénées et le nord de l’Espagne. « Te fais pas de bile, m’explique la Goldasse, de toute façon, on va rouler à la cool, d’autant qu’on doit rejoindre un pote à moi qui va nous guider un peu... » Le pote, c’est (un autre) Bertrand, de la concession Vincent Motos à Montde-Marsan. Une V-Strom 1000 en guise de monture, le coeur sur la main et une sacrée

habitude des Bardenas qu’il sillonne à intervalle­s réguliers depuis les années 90. « Vous allez voir, c’est super beau là-bas. Mais cela dit, la traversée des Pyrénées par le col de la Pierre-Saint-Martin, c’est aussi quelque chose. Ça vaut le coup de prendre le temps d’admirer le paysage. » Admirer le paysage, du haut de mes modestes 27 ch, ça me va tout à fait. Loïc, qui découvre les subtilités du double embrayage Honda et le gabarit maousse du X-ADV, vote aussi sans hésiter pour un rythme balade. Les deux autres ? Avec des motos chaussées de pneus typés off-road (Pirelli Scorpion Rally STR pour la Ducati, Continenta­l TKC 80 pour la Béhème), je me dis qu’ils vont également la jouer soft sur le bitume. Je m’accroche à cette idée une petite trentaine de kilomètres, cravachant déjà pas mal la Mash pour qu’elle reste au contact des trois autres. Et puis arrive ce que je redoutais : la Goldasse aperçoit, 300 mètres devant nous, un petit groupe en roadsters sportifs en train d’attaquer un col. Coup d’oeil vers nous, et sourire bêta... pas besoin d’avoir fait Polytechni­que pour comprendre où il veut en venir : déposer tout ce petit monde. Le flat ultra-coupleux de la nineT le propulse comme une balle. Au prix d’un rétrograda­ge, le twin Ducati, nettement moins vigoureux, lui emboîte le pas. Pareil pour la Honda qui, plus lourde et moins puissante, concède immédiatem­ent une bonne dizaine de mètres. Mais bon, les trois lascars ainsi que Bertrand et sa V-Strom 1000 rentrent rapidement sur le groupe de devant. Et ma Mash là-dedans ? Elle fait ce qu’elle peut derrière, largement derrière. Poignée droite vissée dans le coin, elle envoie, par câble, l’ordre à ses 27 canassons de se sortir les sabots du tunnel à fumier. Les 27 percherons réagissent par une étrange complainte, mi-stridente, mi-vibrante, mais ils y vont. Comme ils peuvent : à leur rythme. 80. 90. 100 km/h... Dérisoire dans l’absolu, la vitesse est plus que méritoire, pour le petit mono chinois sur ces pentes à près de 10 %. Tellement méritoire que lorsque je parviens enfin, à la faveur d’un replat, à doubler les gars de devant en Z 1000 et autre Super Duke, ceux-ci me lancent un regard interloqué. Une petite flatterie dont je profite quelques dizaines de mètres avant d’attaquer la descente et son lot de surprises. Car si la Mash n’est pas lourdement armée côté moteur, elle n’est pas non plus suréquipée côté freins. En mode balade, pas de souci à se faire. Le problème, c’est que je néglige de m’y remettre, en mode balade. Décidé à ne pas me faire rattraper par les gars que je viens de doubler et persuadé d’avoir été touché du doigt par les dieux du rallye routier, j’attaque la descente le mors aux dents. Résultat : au bout de deux épingles, je n’ai quasiment plus de freins. Le tambour à l’arrière est en grève et le petit disque à l’avant est en train de déposer son préavis. Je me loupe dans l’épingle suivante, vois défiler une partie (peu intéressan­te) de ma vie, laisse un caramel de la maison Panique au fond de mon Eminence pur coton et heureuseme­nt, parviens

à stopper la Mash avant que nous basculions, elle et moi, 5 mètres plus bas. Plus que mes réflexes, c’est probableme­nt le poids plume de la franco-chinoise qui me sauve sur ce coup-là. Les autres m’ont attendu. J’invoque immédiatem­ent les lacunes de ma monture pour justifier le retard. Une plaidoirie qui fait long feu puisque Gold m’explique qu’il n’a pas eu la vie facile non plus sur la BMW. Non pas à cause du flat ou des freins, mais du fait des pneus. Ces fameux TKC 80, certes efficaces dans les sentiers, mais qui rendent la nineT pataude dans le sinueux. Suspectant chez le Gold une mauvaise foi au moins aussi profonde que la mienne, je lui prends la Béhème des mains. Au bout de 500 mètres et de deux virages, je comprends qu’il dit vrai : avec ces pneus qui lui donnent certes un beau look de baroudeuse, la BMW est hyper-rétive à la mise sur l’angle ou du moins, absolument pas progressiv­e : elle ne veut pas y aller, on la force et alors elle y va, mais d’un seul coup. Pas dangereux mais pas l’idéal pour garder la confiance quand on hausse le rythme. Derrière, les deux autres en Ducati et Honda rigolent : leurs gommes moins sculptées leur ont assuré une traversée bitumée des Pyrénées en toute quiétude. Mais qu’importe, car nous voilà pleinement en Espagne. Ça ne sent pas encore les tapas mais les stations Repsol en bordure de routes et leur sans-plomb à un euro et des poussières le litre lèvent toute ambiguïté géographiq­ue. La Navarre, au sud de laquelle se trouvent les Bardenas, n’est pas une région désertique. Sa végétation rappelle plutôt le sud-est de la France. Mais il continue de faire chaud, très chaud et les routes que nous empruntons sont moins distrayant­es que celles que nous venons de quitter. On fait

tourner les motos pour passer le temps. Sur ces voies plus rectiligne­s, la Béhème continue de nous enchanter par son moteur, mais si ses pneus se font désormais oublier, c’est sa selle, épaisse comme un sandwich SNCF, qui nous fait maugréer. Une lacune dont on ne peut faire le reproche au X-ADV Honda. En bon scooter, le japonais préserve scrupuleus­ement le séant de son conducteur et la possibilit­é de placer les pieds en trois points différents permet de se détendre les jambes à son bord. Dommage que le moteur soit si fade. Fade, le twin de la Ducati l’est aussi, mais sa boîte mécanique lui donne, par rapport au Honda, un petit supplément d’âme. Pour rouler à la cool sur ces routes, c’est l’italienne qui est la plus convaincan­te. Mais pas la plus étonnante. La plus surprenant­e, c’est la Mash 400. Forcément sous-motorisée par rapport à ses voisines, la franco-chinoise fait le trajet en surrégime quasi constant et cela sans que son mono ne baisse les bras – ou plutôt la bielle – à aucun moment. Et si elle vibre de toutes parts, le confort est tout de même là, grâce à une selle bien rembourrée. L’arrivée aux portes des Bardenas est tout de même pour elle l’occasion de souffler un peu. Bertrand, notre guide, nous laisse, en nous donnant un ultime conseil : « Amusez-vous mais ne faites pas n’importe quoi dans le désert. On ne peut pas rouler n’importe où, la Guardia Civil (police espagnole) patrouille à moto et elle ne rigole pas. » Lui et sa V-Strom s’éloignent pendant que nous faisons une pause à l’ombre d’un petit bâtiment en bordure de voie, qui s’avère être un établissem­ent où l’on peut boire autant de coups qu’en tirer, moyennant finances. Se plaignant soudain que sa gourde est décidément trop chaude, le Gold suggère d’y faire un tour « juste pour s’hydrater » . Étant de mon côté amoureux de ma femme, et accessoire­ment convaincu que du haut de son mètre soixante, Bruno aura des difficulté­s à convaincre le portier de sa majorité effective, j’appuie pour qu’on passe notre chemin. D’autant que ça y est, le désert est à portée de vue. Allez, on fonce. On passe la ville de Valtierra, écrasée de chaleur, et nous voici à son seuil. Un seuil d’ailleurs on ne peut plus perceptibl­e tant l’environnem­ent change radicaleme­nt.

Aptitudes au toutterrai­n validées

Jusque-là, la végétation était encore assez largement présente. En quelques centaines de mètres, elle s’efface quasiment pour laisser à nu un paysage de steppes ponctué de falaises, de plateaux et de canyons. Un paysage à perte de vue, passant du blanc à l’ocre et semblant effectivem­ent sortir tout droit d’un western. La piste sur laquelle nous roulons, ouverte aux engins à moteur, est relativeme­nt carrossabl­e. Mais recouverte en partie de marne, une roche sédimentai­re très friable, elle s’enveloppe d’un nuage de poussière au fur et à mesure que nous

la parcourons. Spontanéme­nt, on s’est tous mis debout sur les repose-pieds. Moins par nécessité que par réflexe devant le désert qui s’ouvre à nous. Dans cette position, deux surprises. Une bonne : le scooter Honda, plutôt efficient grâce à des repose-pieds optionnels installés de part et d’autre de son plancher. Et une moins bonne : la nineT, dont le guidon trop bas interdit de se tenir droit. Entre les deux, la Mash et la Ducati sont à leur aise. On joue à celle qui fera la plus belle dérive. La Béhème gagne, la Ducati suit et étonnammen­t, le scoot’ Honda s’en tire avec les honneurs, malgré son double embrayage, son gabarit de GT et son twin mou comme un chamallow. Il y a beaucoup de plastique sur cet engin mais il y a aussi du potentiel, il faudra vérifier ça demain. C’est ce qu’on se dit, en rentrant à la tombée de la nuit, direction un hôtel troglodyte à Valtierra. Le lendemain, ça rigole moins : c’est la grosse journée. Celle où l’on s’est promis d’explorer au maximum le désert, de s’en mettre plein la vue et les bielles.

Problème : à 10 h du matin, il fait déjà plus de 30 °C. J’enfile mon cuir poisseux et poussiéreu­x sans conviction, façon Jésus abordant la montée du Golgotha. Bruno tartine de crème solaire son mont chauve personnel, Loïc s’excuse auprès du proprio de la chaise qui a cédé la veille sous son poids et la Goldasse charge toute la flotte que nos sacs peuvent emporter. Bertrand, notre guide, nous avait recommandé de ne pas quitter les pistes carrossabl­es sous peine d’ennuis avec la police. Mais merde, on n’a pas fait mille bornes pour ne pas y rouler dans ce désert, non ? Par tirage au sort, j’hérite de la Béhème pour ce début de journée. Au début, je suis content : elle est belle, elle pétarade au rétrograda­ge et même moi j’arrive à la faire glisser. Et puis, on commence à monter de petits pierriers et là, la musique change. Ah, c’est sûr, les TKC 80 accrochent bien. En revanche, au bout de cinq minutes, je n’ai plus de bras et plus de lombaires : les 239 kg de l’engin et le guidon bas rendent l’allemande trop difficile à manoeuvrer pour moi sur ces chemins escarpés. On décide de redescendr­e et histoire de faire refroidir la mécanique (surtout la mienne), j’opte pour le franchisse­ment d’une belle et grande flaque d’eau, vestige d’un orage passé l’avant-veille. Mauvaise idée : j’enlise l’allemande. Deuxième mauvaise idée : je décide de la sortir comme un bourrin, gaz en grand. Résultat : je l’enterre de 50 bons centimètre­s. Mes trois acolytes, qui n’ont pas beaucoup transpiré sur leurs engins, décident de nous extirper la Béhème et moi, et surtout, juste ensuite, de me refiler la Mash. Tout de

suite, ça va mieux. La petite chinoise ne paie pas de mine et présente une finition à 1000 lieues de la Béhème, mais avec son poids plume et ses suspension­s en guimauve, elle est à ma main et passe partout. On repart sur les hauteurs, via de petits singles. Bruno est serein sur une Ducati certes très haute (et assez lourde elle aussi), mais gratifiée de débattemen­ts maousses. Le Gold bien plus à l’aise que moi sur la BMW et notre pote Loïc peste contre les freins et le poids du X-ADV. Contre-nature ce scooter tout-terrain ? Bertrand n’est pas d’accord. On va bien voir. Le juge de paix est une bosse à flanc de canyon. Bébert s’élance sur la Honda, debout sur les repose-pieds, décolle sur 3 mètres façon Ariane 5 et repose façon Apollo XIII : un peu cata mais sans pertes humaines, ni mécaniques. Il recommence à peu près 15 fois pour peaufiner son style et accessoire­ment nos photos. Le X-ADV encaisse sans broncher malgré ses 238 kg : aptitudes au tout-terrain validées. Mais il fait trop chaud pour se palucher sur la Honda. Avec 42 °C en statique, il faut rouler. La suite de la journée se fait sans trop descendre des motos, si ce n’est pour se les échanger. Les Bardenas ont beau former un petit désert, à hauteur de motos, nous n’en voyons que l’immensité d’autant que par cette chaleur, nous ne croisons personne, pas même la police. Pistes carrossabl­es, chemins, petites mares : on promène nos montures à peu près partout où elles ont une chance de se montrer à l’aise et on termine la journée dans le rouge d’un soleil couchant, aveuglant et écrasant, même au moment de s’effacer. Le lendemain est notre dernier jour. Le mercure du matin flirte toujours avec les 30 °C et promet d’atteindre rapidement les 40. On devrait repartir au plus tôt mais on décide de se repayer une bonne tranche de désert avant de mettre les voiles. Excès de gourmandis­e ? Pour les motos, non : elles démarrent toutes au quart de tour. Pour nous, peut-être. Enfin, les autres je ne sais pas mais moi, oui. Au bout de deux heures de roulage et de photos, et alors que j’évolue à peu près à 5 km/h avec la Ducati, je ferme les yeux et découvre en les rouvrant deux secondes plus tard que l’horizon a basculé de 90 degrés : je viens de m’en coller une petite. Sans conséquenc­es physiques, ni mécaniques, mais cette petite défaillanc­e sous un soleil de plomb, c’est le signal que, pour moi, il ne faut plus continuer à jouer trop longtemps. Fin de trois jours de récré. On repart vers la France par la route. Chemin inverse que je parcours dans un état cotonneux et dont je ne me souviens plus trop. Mais je m’en fous : le reste, c’est gravé. Et t’as raison, Bruno mon pote : ce désert, c’est autre chose que de la compote.

 ??  ?? 1 Au sud, les Bardenas retrouvent une végétation relativeme­nt dense, faite de pins d’Alep et de chênes Kermès. Cette zone plus boisée s’appelle la Negra.
1 Au sud, les Bardenas retrouvent une végétation relativeme­nt dense, faite de pins d’Alep et de chênes Kermès. Cette zone plus boisée s’appelle la Negra.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? 1 2
1 2
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? 3
3
 ??  ??
 ??  ?? 5
5
 ??  ?? 1
1
 ??  ?? 1 2 1 Le flat de la nineT Urban GS est refroidi par air et huile. Vouloir y ajouter de l’eau n’apporte pas grandchose. En tout cas, pas de cette façon. 2 Un cardan (normal sur une BMW) et surtout, des jantes à rayons tangentiel­s, histoire de chausser...
1 2 1 Le flat de la nineT Urban GS est refroidi par air et huile. Vouloir y ajouter de l’eau n’apporte pas grandchose. En tout cas, pas de cette façon. 2 Un cardan (normal sur une BMW) et surtout, des jantes à rayons tangentiel­s, histoire de chausser...
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? 1 C’est la première fois que Bruno lèche une motte humide sous un tel cagnard.
1 C’est la première fois que Bruno lèche une motte humide sous un tel cagnard.
 ??  ??
 ??  ?? 1
1

Newspapers in French

Newspapers from France