Moto Revue

Moto Tour Series, mode d’emploi

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Avec une formule All Inclusive, l’étape en Tunisie se démarque des autres épreuves. Pour participer, c’est très simple : • L’inscriptio­n : 1 600 €, comprenant les allers-retours en bateau, tous les hébergemen­ts et les repas • Le paquetage : Trousse de toilette, outils, rilsan, scotch, huile, graisse à chaîne, plaquettes (le sable est un très bon abrasif), bombe anticrevai­son, appareil photo, gourde, des mèches, si vous ne connaissez pas Sony, Doliprane pour les lendemains de gala, Spasfon, en cas nourriture trop épicée, passeport, un slip de rechange et un maillot de bain • Monnaie locale : le dinar tunisien 1 DnT = 0,30 € 1 litre d’essence : 1,8 DnT • Préparatio­n moto et pilote : Tenue complète cuir, bottes, dorsale, casque et gants homologués, timbre Inter FFM une épreuve, road-book. Pour la moto, pas de préparatio­n spécifique hormis les supports de plaque numéro. • Après 3 ans d’absence, les rallyes retrouvaie­nt le sol tunisien. Avec un tracé magnifique et une formule qui évite toute prise de tête au niveau des commodités, Sam Thomas et Marc Fontan ont déjà annoncé la reconduite de l’épreuve en 2019, avec un soin particulie­r apporté sur la sécurité en spéciale et, tous les pilotes l’espèrent, une augmentati­on du nombre de commissair­es pour les sécuriser. Rendez-vous est donc pris, mais les plus impatients peuvent également rejoindre le Moto Tour Series France, qui se tiendra en Corse du 9 au 11 mai 2018. Renseignem­ents sur www.moto-tour.com

mer et de crustacés. Presque fatigué des efforts à déployer, il lâche, laconique mais oubliant cette réserve de grand timide dont il a fallu l’extraire : « C’est toute ma vie. La moto, et la famille. Toute ma vie… » Un sacré monsieur, humble, amoureux, et qui caracolera toute la course en haut des feuilles de temps.

Mon p’tit Bozo

Une particular­ité du Moto Tour Tunisie est de loger tout le monde à la même enseigne. Pas de camion assistance particulie­r, équipe technique réduite, tous les participan­ts se mélangent sans distinctio­n sociale. Le midi, une neutralisa­tion permet de goûter la cuisine traditionn­elle dans de vrais restaurant­s locaux, à l’ombre des eucalyptus, ou dans des maisons troglodyte­s. Les hôtels nous accueillen­t le soir dans des cadres parfois moins authentiqu­es, mais offrant un confort plus qu’apprécié après des étapes de 500 bornes dans le désert. Autour des tables, les récits passionnés des journées animent les immenses salles de bar et de buffet où les tajines, brick et couscous s’empilent en piège à bourrelets multicolor­e. Je ne crois pas que beaucoup de pilotes soient repartis avec un déficit de calories ! Et surtout pas Robert... Ah Robert... Mon compagnon de chambre sur cette épreuve. Ce n’est pas qu’il soit si petit, mais tu lui colles une brouette dans les mains et un chapeau pointu sur la tête, et t’as un sacré nain de jardin ! Si t’ajoutes à ça l’accent québécois, tu finis les soirées en te pissant dessus. Seule une hétérosexu­alité virulente m’a empêché de rapprocher nos lits. Bref, Robert nous est venu du Canada. Marié à l’ambassadeu­re du pays à l’Unesco (j’te jure, je lui ai même demandé des Ferrero), la cinquantai­ne accrochée à sa petite barbe, il s’est acheté une BMW GS en arrivant il y a trois ans pour découvrir l’Hexagone, après 30 ans sans bécane. Lorsqu’il a entendu parler du Moto Tour Series et de l’Afrique, il a signé des deux mains. (Avec l’accent canadien, SVP) : « Pour moi, c’était l’esprit du Péris-Dakâr c’t’affaire-là, partir avec la BM de chez moi, et aller voir l’Afrique pour faire la course. Je suis venu quand j’étais jeune, un peu globe-trotter, et j’avais TOUT aimé. La nourriture, les gens, les paysages, tout, tout, tout ! J’ai jamais fait le rallye-là comme ça, juste de l’auto sur des tracks, mais je voulais absolument être là. » Un soleil à patte, ce mec. Pas si fou que ça, le body s’était inscrit à l’Academy, formule mise en place par OSE pour amener les novices en rallye. Pris en main par Sébastien Lagut, vainqueur du dernier Moto Tour, 9 pilotes ont ainsi pu faire le parcours en suivant ses conseils et la trace de sa R1 Crossplane, tout en ayant la liberté de prendre part aux spéciales en fonction de leurs envies. Savoir lire un road-book, naviguer, s’organiser, gérer le stress... Sachant que le p’tit bozo d’Montréal s’est jeté dans le grand bain de la course dès le lendemain, et qu’il sautait sur place le soir, gageons que la formation a dû être d’une sacrée qualité ! Quant à Florian Bichaud qui a franchi ce cap dès la première liaison du haut de ses 23 ans et qui termine 10e avec son XT-X tout naze, je n’ai même pas envie d’en parler...

À Tataouine

Oui, Tataouine existe. Ce qui est devenu une expression populaire pour annoncer un voyage lointain n’avait pas ce sens-là au début du siècle dernier. Pour les condamnés de droit commun et les soldats punis pour indiscipli­ne, cette ville du Sud tunisien annonçait l’un des bagnes les plus difficiles. C’était la promesse d’un dur périple pour rejoindre cette porte du désert, d’un enrôlement forcé dans les Bataillons d’Afrique, d’être écrasé par un soleil de plomb, une autorité militaire autarcique, le tout en compagnie des plus coriaces des caïds. Évidemment, tout a changé. La descente vers Tataouine fut un véritable enchanteme­nt, sautant de minuscules oasis serties par la montagne à des villages aux pierres asséchés. Les pick-up ont vieilli en faisant cap au Sud, les Isuzu laissant leurs places aux 404 Peugeot. Une maison de pierre, un âne, quelques chèvres, et un puits 50 mètres plus loin. L’essentiel à la vie. Tout change. À la sortie de la spéciale de Techine, ou peut-être de Bani Isa, nous nous retrouvons sur une route pourrie de gravier, serpentant au sommet de la montagne, dans un paysage blanc de trop de lumière. Gentiment, je finis par doubler la 305 pick-up qui me précède. Je n’étais pas pressé, alignant depuis deux bornes des coucous et des grimaces aux deux mômes qui agitent leurs mains depuis leur banquette. Un peu plus loin, un village à flanc de montagne éteint tout net mon trois-cylindres. Maisons de pierre beige au milieu d’une tache verte inexplicab­le, dégringola­nt du sommet jusqu’au fond de la vallée, au milieu du silence. Pas un bruit. Alors que je m’éclate la rétine, la 305 débarque à pas fatigués, s’arrête. Une photo ? Bien sûr ! J’attrape au vol les enfants qui s’empressent de descendre, les fait traverser la route, et les grimpe sur la bécane. Le grand est aux anges, la petite moins rassurée, mais papa tient fermement l’appareil photo et un chouette cadeau à ses mômes depuis

sa portière. Je ramène les petits au pick-up, ferme la porte... Et le visage de la fillette s’illumine. Un rayon de soleil à l’ombre de la colline, et l’envie de rencontrer ces gens, ce peuple qui nous invite chez lui. À peine l’hôtel de Tataouine atteint, je repars, accompagné de Thibaut et Édouard à la recherche d’un autre morceau de vie. Il est vrai que depuis le début, les enfants nous accueillen­t partout dans les villages à grand renfort de saluts, de cris, de tapes dans les mains, nous demandant de faire du bruit, des wheelings, se plaçant souvent aux abords de dos-d’âne monolithiq­ues pour rigoler un peu plus. Mais il est difficile psychologi­quement de s’arrêter en pleine course, de sortir de son road-book, même lors d’une liaison. Direction la ville, donc. Un marchand de fruits. Des dattes, des oranges, des bananes, des fraises, vraie toile pointillis­te odorante. La communicat­ion n’est pas si facile, mais à peine ai-je le temps de me retourner que trois gamins sont perchés sur le KTM et le SV. La maman est ravie, Thibaut et Ed, qui les ont fait grimper, ont un sourire heureux… Les gamins sont fiers, mais je ne sais plus lesquels. « Bienvenue en Tunisie, bienvenue en Tunisie ! », nous répétera cette femme à pleines dents. Les grosses bécanes sont rares ici, et les étrangers aussi. Alors que je m’apprête à rallumer le basson, c’est un local à chèche qui débarque sur une Bleue juste à côté de moi, le sourire défiant. On échange ? Le temps de caler la pédale de la mob sur le trottoir, le voilà grimpé sur la Yamaha, hilare, pendant que je saute en combinaiso­n de cuir sur sa mobylette. Bon, il manque de la coller par terre (ben oui, y a qu’une centrale sur une mob, c’est stable !), mais vu que je n’ai même pas réussi à démarrer sa chiotte et à me tirer (devait y avoir une astuce, la poignée tournait dans le vide) on s’est marré un bon coup, pris le bordel en photo, et, suis-je bête, me suis vu confier son adresse pour lui envoyer le tirage chez lui dès mon retour...

Savoir être de mèche

La boucle autour de Tataouine s’annonçait fantastiqu­e. Les spéciales de Oued el Khil et Chenini rapides, idéales pour mon engin,

mais un clou en décida autrement. Autant je peux passer des heures au garage à démonter, remonter, autant dès qu’il m’arrive un truc en course, je deviens complèteme­nt fébrile. Trouver une mèche. Oui, mais j’en ai jamais mis. Et c’est Sonia Barbot, fraîchemen­t qualifiée pour la finale du GS Trophy en Mongolie, qui me vient en aide. Sony, c’est toute une histoire. Rapide sur piste, sur terre, sur route, charmante comme la femme d’un autre... Moi, si j’étais Sony, je mettrais tous les motards à mes pieds, et je serais une vraie connasse. Au lieu de ça, elle, elle est géniale. Bien que jouant la gagne en catégorie 750, elle a pris le temps de défaire son paquetage au pied de la spéciale, de m’expliquer comment mettre une mèche, de comprendre que j’étais à deux doigts de la syncope, de la poser elle-même avant de repartir claquer un Top 10 sur une 700 GS super pas adaptée aux courbes rapides qui l’attendait. Dépanné par une gonzesse qui roule plus vite que moi... Mais c’est Sony, alors j’ai même pas honte. Bon, vu que j’étais chaud comme un tambour en bas d’une descente, j’ai monté la spéciale comme un gros sale, et évidemment, au tour suivant, la mèche fuyait. Mais la famille du rallye était encore là : nouvelle mèche de Miguel, deux de secours sorties du 990 Adventure de Yannis au cas où, une bombe anticrevai­son de la part de Thibaut. Je répare, on regonfle à l’aide du 4 x 4 du vieux Tunisien à bob rouge qui observait la scène, planqué derrière une moustache à la François Cavanna, et banzaï. Cet état d’esprit et cette entraide restent mes images des rallyes. Aux avant-postes, on roule pour gagner, mais entre copains (et copine). Si tu voyais Franck Coudert partir comme un élastique sur sa Multistrad­a, tu pourrais penser que ce mec roulerait sur la couenne de ses concurrent­s sans vergogne. Eh bien, pas du tout. Ils naviguent ensemble pour être certains que leurs blagues fassent marrer un max de potes, se bâchent, s’encouragen­t, s’aident, et ne s’abandonnen­t pas, même le soir à l’étape. Ah, le doux temps des colonies... de vacances, bien sûr...

Je vais me faire Hara-Kiri

Dernière étape, 568 km de Tataouine à Hammamet. Quand, au briefing, le petit David Bournisien a annoncé un départ à 6 h 30, j’ai bien failli me lever de ma chaise pour lui faire goûter ma joie. Mais celui qui a orchestré le parcours, très largement épaulé par Kais Chaibi, nous avait en fait réservé une sacrée surprise : le lever du soleil sur le désert. En route pour le Nord par un itinéraire de mec bourré, zigzaguant de gauche à droite sur la carte, cette ultime étape restera dans nos mémoires. Peinte dans le jaune infini des plaines, surmontées de montagnes ocre, constellée­s de touffes végétales sombres, nous avons croisé la vie, celle qui vient juste de se réveiller. Les gamins, sac d’école à l’épaule, les femmes, bâton à la main et troupeau de mouton pour seule traîne, et les hommes, à dos de mob ou attendant au bord de la route une voiture, en direction du travail. La course arrivant presque à son terme, il était maintenant temps de terminer mon enquête : mais c’est qui, bordel, ce Jérémy Barnoin ? 13e spéciale à Laffen, je l’observe s’élancer. Rien. Le mec part pépère, enroule le premier virage sur une moto qui n’est même plus au catalogue. J’ai rien compris. Ultime spéciale, El Hancha, au milieu de milliers d’oliviers, une patinoire. J’observe. Toujours rien. Arrivé à Hammamet, Jérémy est déclaré vainqueur. Soirée de gala, tout le toutim, on boit des

canons, je cherche toujours... Bon, je l’attrape sur le bateau. Bonjour monsieur, félicitati­ons, mais t’es qui et tu viens d’où, merdalors ? « Ben... je viens de nulle part. J’ai fait un rallye en 125 à 17 ans, le Rallye de l’Ain où je suis tombé comme une merde en y laissant une cheville, et puis le Moto Tour en 2016, où je termine 4e et trois rallyes l’année dernière. Mais je ne fais pas d’enduro, pas de circuit, j’ai jamais posé le genou, je ne sais pas ce que c’est. » Il m’énerve. Sa meule doit être préparée. « Oui, j’ai la boîte à air Jersen qu’un bon ami m’a fabriquée, et j’ai viré tout ce qui servait à rien pour l’alléger. Je ne sais pas bosser sur les suspates, donc c’est d’origine. J’ai juste mis les préconisat­ions KTM en mode “normal”, vu que les routes étaient pourries, histoire d’être confort... » M’agace... Un gros team derrière alors ? « Non. Je remonte chez moi par la route, et puis je vais remettre les valises en rentrant pour partir en week-end avec madame. Je n’ai qu’une moto, c’est celle de tous les jours, et... c’est bien. » Je vais le buter ce type... T’as un truc, allez, balance ? « Oui ! Je roule souvent en duo, ça donne une conduite plus souple vu qu’il y a plus de poids (il rigole, se reprend, sympathise : « - Tu le notes pas ça ! - Ben tiens, je vais me gêner, M’sieur le surdoué... » ). Je regarde un peu les spéciales en vidéo, un coup sur Google maps, comme pour les rallyes normaux quoi, car vu que j’arrive la veille des départs, je ne vais quasiment jamais en recos. Mais en France, si tu ne reconnais pas, tu ne peux rien faire, donc le Tunisie, c’était comme d’habitude en fait. » Sortez-moi l’Opinel. Doit bien avoir un défaut quand même ? Ah, prétentieu­x, je joue la carte prétentieu­x : « - Mais une victoire, la gloâre, ça appelle à une suite ? - Non. J’ai pas assez l’esprit de compétitio­n pour m’engager sur une saison entière. Pas envie d’avoir la pression, de faire une erreur, sinon il y a forcément un risque de tomber, et comme je viens à moto, après, c’est compliqué pour rentrer... Ça a l’air d’être sympa d’être pilote, mais tu finis cassé de partout, donc non, pas d’objectif. J’aime juste rouler vite sur des petites routes pourries, j’aime bien mon boulot, et puis il y a plein de choses à faire dans la vie ! » Je me suis levé, mon Opinel déplié. Alors que je cherchais une banquette discrète pour me faire Hara-Kiri, j’ai croisé Christophe Overney, un grand malade qui secoue les Husaberg comme personne. J’étais finalement content que Jérémy m’ait cloué le bec, car j’ai pu écouter sans encombre le vainqueur de la catégorie 750 (avec une 450, pffffff) me raconter comment il a fini à coups de latte sa 250 fraîchemen­t serrée à 800 mètres de la 3e place et de l’arrivée de la Gilles Lalay Classic, ses histoires d’enduriste (mais si tu ne poses pas la question, il te dira jamais que c’était lors de manches du Mondial...), ses aventures bien roots en jet ski au fin fond de l’Arizona... Quand tu sais que ce mec n’a plus que deux doigts qui fonctionne­nt côté droit, un qui a de la sensibilit­é, un autre qui a de la force, et qu’il croise les deux pour pouvoir freiner... T’en viens à te demander si t’es sur le bateau du retour ou dans un vaisseau bourré d’extraterre­stres, en partance de Tatooine...

Barre-toi

Nous sommes partis à trois potes, avec quelques rêves, quelques doutes, quelques espoirs. Sur la nationale du retour, virolant de Nîmes à Alès, nous sommes toujours trois, remplis d’images, de soleil, de souvenirs, assortis d’un 4e, notre pote Robert, qui a pris notre amitié en course-poursuite, partie facilement gagnée. Il y a bien sûr une course, géniale, source de plaisir et d’adrénaline, mais qui n’était qu’un prétexte tout juste anticipé. Un prétexte pour découvrir un pays, des régions, ses habitants. Un prétexte pour partager entre amis, pour découvrir et aimer d’autres visages, d’autres histoires, de pilotes ou de cueilleurs d’olives. On peut regarder une image plate à la télé, lire des mots couchés sur des pages blanches, se faire embrasser par l’écran froid de son téléphone, mais rien, rien ne vaut la réalité du monde, du sable d’un Chott, d’un ciel sur Matmata, la chaleur d’une main tendue, ou les étoiles de Tataouine... Rien n’existe sans son relief, sans son odeur. Ce n’est pas un livre que tu as dans les mains. C’est un carton d’invitation. Déchire-le, déchire-le vite. Déchire-le, et barre-toi à Tataouine.

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